Honduras : l’oligarchie perpétuelle

Le 28 juin, le président du Honduras était renversé par un coup d’état militaire sous le prétexte que la consultation populaire qu’il avait convoquée pour ce même jour aurait eu pour finalité de permettre sa réélection. Une prétention inacceptable pour une oligarchie, qui sous la bannière des deux partis dominants (Parti National et Parti Libéral) se perpétue elle-même au pouvoir depuis des décennies.

 

Le Honduras est un petit pays d’Amérique centrale dont on a parlé pour la dernière fois, il y a 11 ans à propos de l’ouragan Mitch qui avait dévasté la région. Pour les rares personnes qui suivent la situation de ce pays depuis la France, l’ alerte de coup d’Etat avait été lancée depuis vendredi, le même jour ou les médias du monde entier titraient sur la mort de Michael Jackson. Pas de chance donc pour ce petit pays et pour ce peuple dont la trajectoire historique et politique reste méconnue.
 
Pour éviter de se contenter une fois de plus de raccourcis faciles et tenter de comprendre se qui se passe actuellement au Honduras, il faut d’abord situer les forces en présence et éclairer un peu les trajectoires de quelques uns des protagonistes. A commencer par celle du président José Manuel Zelaya. Elu sous la bannière du Parti Libéral, l’actuel président s’est rapidement attiré l’inimitié d’une fraction de son propre parti, lequel depuis des décennies se relaie au pouvoir avec son alter ego le parti National (conservateur) pour gérer au mieux les intérêts d’une oligarchie qui détient depuis toujours les manettes du pouvoir économique. Zelaya, au contraire de ses coreligionnaires avait misé sur une politique plus indépendante des Etats-Unis et un rapprochement avec les pays membres de l’ALBA. Pour autant, le gouvernement de José Manuel Zelaya, n’a ni rompu avec l’économie de marché, ni même avec certaines pratiques autoritaires qui ont été une constante de la vie politique au Honduras. Certaines organisations, paysannes notamment, continuent d’en faire les frais. Toutefois, à partir du rapprochement avec l’ALBA une partie significative des mouvement sociaux, y compris ceux qui s’étaient montrés par ailleurs critiques à son égard lors de son élection, a rallié un président désormais orphelin de parti politique.

Il est intéressant de relever également que Roberto Micheletti, président du congrès jusqu’à il y a peu et qui vient d’être hâtivement nommé remplaçant du président renversé, est au sein du parti libéral, un rival de Zelaya pour les élections qui s’annonçaient en novembre 2009. La perspective d’une assemblée constituante soumise ce dimanche à la consultation populaire bouleversait donc ses plans de carrière. Son manque d’enthousiasme  pour cette initiative n’a donc rien d’étonnant.
 
Pour les organisations sociales en revanche, la consultation appelée par Zelaya et le projet de constituante, ne se résumait pas à des calculs politiciens concernant son éventuelle réélection, mais constituait une réelle opportunité de modifier l’ordre immuable d’une gestion affairiste du pouvoir… Au moins en théorie… la consultation, et si le résultat de celle-ci avait été favorable, la mise en pratique de la proposition aurait pu par la suite, permettre de juger sur pièce. Mais force est de constater qu’une partie de la classe politique, drapée dans des arguments constitutionnels et de respect de la démocratie représentative, s’est arrogée le droit de trancher la question et d’y répondre avant même qu’elle soit posée à l’ensemble des citoyens en faisant intervenir l’armée.
 
L’armée hondurienne, justement, mérite qu’on s’arrête brièvement sur son parcours. Des  années 60 jusqu’aux années 90, le Honduras a été le seul pays a ne pas connaître de conflit armé ouvert, à la différence des pays voisins(Guatemala, Nicaragua, El Salvador). Cette conjoncture régionale a néanmoins donné prétexte aux gouvernements de l’époque pour imposer plusieurs décennies de ce qui s’est appelé la « politique de sécurité nationale », un curieux euphémisme pour désigner des années de répression et de terreur auquel des milliers d’opposants n’ont pas survécu. En l’absence de conflit déclaré, pas d’accords de paix, pas de politique, dite de réconciliation, pas d’états d’âmes concernant les crimes du passé, pas de justice. Les associations de familles de disparus continuent de réclamer les leurs, les opérations militaires continuent à semer ponctuellement la terreur dans les campagnes. L’impunité est reine… Rappelons, au passage, que le Honduras détient le palmarès des morts en milieu carcéral. A plusieurs reprises en effet, et dans un passé récent, des mutineries dans les prisons ont été matées à feu et à sang (et ce, dans le sens littéral des termes), causant de nombreuses victimes. Enfin, nulle part dans la région, comme au Honduras, la politique « anti bande », étendue à l’ensemble de la jeunesse n’est appliquée de manière plus sauvage et meurtrière.
 
Par ailleurs, il faut également mentionner que le Honduras a été et reste la base arrière des opérations militaires étatsuniennes ouvertes et occultes dans la région. La base militaire de Palmerola (proche de la capitale) est la plus importante à subsister en Amérique centrale. On comprend donc aisément la sensibilité extrême du grand voisin du nord à tout changement politique qui pourrait, à terme risquer de remettre en question sa présence dans la zone. A ce titre les accusations de corruption formulées il y a peu par Otto Reich à l’encontre du  président Zelaya doivent peut être à postériori, être considérées comme une manière de déclencher les hostilités ou en tout cas de donner le feu vert à la classe politique et à l’armée hondurienne pour reprendre fermement le pouvoir en mains.

Pour autant le déroulement des faits qui a commencé par le refus des forces armées d’installer les urnes pour la consultation du 28 juin, s’est poursuivie par l’alliance des institutions contrôlées par les partis traditionnels et a mené au coup d’Etat ne constitue qu’un retour à l’ordre ancien où classe politique et forces armées se partagent ouvertement le contrôle du pays. Et comme il se doit, dans ces cas là, il ne manque même pas, un petit air de conflit régional, comme au bon vieux temps des années 80. La veille du coup d’Etat, au moins deux quotidiens honduriens dénonçaient « l’invasion imminente du pays par des hordes armées venues du Nicaragua voisin ». Il ne manquait plus que çà !

Source: Envoyé par l’auteur

Photo: http://orhpositivo.wordpress.com/2009/06/30/ultimas-noticias-en-vivo-el-golpe-de-estado-en-honduras/

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