Fourest chahutée à Bruxelles : atteinte à la démocratie, oui mais par qui ?

Mardi 07 février à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), Caroline Fourest devait participer à une conférence sur l’extrême droite. En vain. Une « Burqa Pride » est venue interrompre l’office, déchaînant une véritable hystérie médiatique et politique. Blessé, l’Esprit des Lumières a quitté l’arène, jurant qu’on ne l’y reprendrait plus. Et laissant dans sa fuite une inscription sur le mur du temple : « L’Alma m’a tuer ». Pour le tribunal d’inquisition, le coupable était tout désigné. Erreur judiciaire ?

La Burqa Pride a fait couler beaucoup d’encre. On peut s’interroger sur la pertinence de ce type de chahut. Mais le problème est d’abord de savoir si la version officielle des faits a été complètement manipulée. Et si oui, pourquoi.
 

Etonnant ! La Belgique a certainement frissonné en découvrant les titres de la presse ce mercredi 08 février. Il y était question d’attentats, de mouvements islamistes et de talibans… Notre plat pays avait-il essuyé son 11 septembre ? Un groupe de kamikazes fanatiques avait-il frappé une station de métro, le quartier de l’Otan ou le Manneken-pis ? Heureusement, rien de tout cela.

Ce que nous apprenaient les médias, vidéo de téléphone portable à l’appui, c’est que la veille, à l’ULB, un groupe de chahuteurs avaient empêché la tenue d’un débat aux cris de « burqa bla-bla ». Ils n’auraient pas supporté que l’essayiste Caroline Fourest s’exprime librement sur le thème de l’extrême droite. Ce retour à l’obscurantisme, inadmissible dans les enceintes de l’université, a soulevé un tsunami de protestations à gauche comme à droite, emportant tout sur son passage, même l’exactitude des faits.
 
« L’action a été menée par un groupe d’intégristes musulmans répondant aux ordres de Souhail Chichah. » Faux. Cette « Burqa Pride » a été organisée par un groupe de personnes aux convictions religieuses et politiques diverses. Soulignons, pour ceux qui sembleraient en douter, que ces personnes étaient adultes, vaccinées et disposaient de toutes leurs facultés.
 
« Ces fascistes ne supportaient pas que Caroline Fourest s’exprime sur l’extrême droite. » Faux. L’objectif des manifestants était de protester contre l’absence de débat contradictoire. En effet, l’unique intervenant censé porter la contradiction à Caroline Fourest ce soir-là était Hervé Hasquin. Or, en 1990 déjà, cet ancien recteur de l’ULB fustigeait une « importante densité d’étrangers extra-européens » posant « d’autant plus problème que la majorité d’entre eux ne sont pas soucieux de s’intégrer dans nos populations (…) le seuil de tolérance étant atteint en de nombreux endroits[1].» Une quinzaine d’années plus tard, les attentats du 11 septembre étant passés par là, le centurion Hasquin remettait le couvert : il dénonçait l’existence de mosquées servant de « relais internationaux du terrorisme » et contre lesquelles il fallait « porter le glaive»[2]! Autant dire qu’entre ces deux laïcards obsédés par l’intégration des musulmans et les bases arrière du terrorisme islamiste, la joute verbale risquait de se limiter à des hochements de tête complices. Les manifestants estimaient donc que Fourest et Hasquin ne mèneraient qu'un pseudo – débat contradictoire sur l’extrême droite. Ils avaient fait part de ce grief plusieurs jours auparavant aux autorités de l’ULB qui ont pourtant décidé de maintenir le débat dans sa forme prévue.
 
« Souhail Chichah, le cerveau désigné de cet attentat burlesque, n’a pas saisi l’occasion qui lui était donnée pour expliquer les motivations de cette intervention. » Faux. Lorsque le micro lui a été tendu, le chercheur ne s’est pas contenté de répéter inlassablement le cri de guerre des militants : « burqa bla-bla ». Il faut d'abord souligner – beaucoup de commentateurs ayant failli à leur tâche – que ce slogan n’est pas une obscure incantation empruntée aux stylistes afghans, mais fait référence à un article du Monde diplomatique paru en 2010[3]. Le rédacteur en chef Serge Halimi y désignait le débat sur la burqa comme un effet de diversion alors que le Trésor public français venait de perdre 20 milliards d’euros suite à une erreur technique de l’exécutif dans le sauvetage des banques. Mais, expliquait Halimi, ne pas se laisser distraire par le débat sur la burqa « n’impose certainement pas de s’enfoncer sur son terrain boueux en donnant le sentiment de défendre un symbole obscurantiste. Encore moins de taxer de racisme les féministes — hommes et femmes — qui légitimement le réprouvent. ». Burqa bla-bla, drôle de référence pour des « islamo-fascistes misogynes ».
De plus, le gourou Chichah ne s’est pas contenté de marteler le credo du soir devant une horde de disciples lobotomisés comme le laisse croire la vidéo « officielle » qui a fait le tour des sites de presse. Sur d’autres images, on peut mieux distinguer Chichah motiver l’action en dénonçant l’islamophobie de gauche comme de droite. Malgré les intimidations des personnes qui l’entourent et la tentative de croc-en-jambe de la très fair-play Fiammetta Venner[4], Souhail Chichah tâche d’exposer quelques arguments en mentionnant notamment un article du Wall Street Journal sur lequel nous reviendrons. Fourest y pointe « l’incapacité des immigrants arabes à s’intégrer[5] ». Et le chercheur d’exprimer très clairement : « Nous aurions souhaité dans cette université un véritable débat contradictoire avec Madame Fourest ».

Contrairement à ce qu’a prétendu Marc Uyttendaele dans sa chronique du lendemain, Caroline Fourest n’a donc pas été empêchée de s’exprimer par des « intégristes musulmans » « parce qu’elle défend la laïcité, parce qu’elle combat les intégrismes. Parce qu’elle lutte inlassablement contre l’extrême droite [6]». Comble de l’ironie, cette version tronquée des événements n’empêche pas l’avocat médiatique de rappeler ces mots d’Henri Poincaré qui ornent le fronton de l’université : « La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une idée préconçue, ni quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être ». Et que penser de l’édito de Béatrice Delvaux pour qui « la forme talibanesque, le fond inexistant de son action [celle de Souhail Chichah] ne donnent ni à réfléchir ni matière à débat [7]» ? L’éditorialiste du Soir aurait-elle bradé son travail journalistique ou la dénonciation de l’islamophobie serait-elle un fond inexistant qui ne donne ni à réfléchir, ni matière à débat ?
 
A en croire nos commentateurs bien-pensants, une véritable bataille entre le Bien et le Mal s’est jouée dans l’auditoire K. de l’ULB ce 07 février. Avec d’un côté, la nébuleuse des islamo-fascistes, sortie de l’ombre pour bâillonner la liberté d’expression. Et de l’autre côté, Caroline Fourest, Esprit des Lumières venu faire briller les valeurs démocratiques contre les obscurantistes de tout poil. Mais le problème avec Caroline Fourest, c’est que son travail est régulièrement en contradiction avec les valeurs tout à fait louables qu’elle prétend défendre.


La laïcité, toute la laïcité, rien que la laïcité

Il ne doit pas être évident de vouloir démonter un réacteur nucléaire avec une boîte à outils d’Ikea. C’est pourtant dans ce genre d’aventure périlleuse que s’est lancée Caroline Fourest en voulant aborder la question de l’intégrisme musulman. « Je me bats contre tous les intégrismes, à partir d’une grille de lecture féministe, laïque et antiraciste[8]» confie l’essayiste. Valeurs tout à fait légitimes, mais le schéma d’interprétation n’est-il pas trop restreint pour aborder un phénomène aussi complexe que l’islamisme ? A propos de Tirs Croisés, l’ouvrage que Fourest et Venner ont consacré à l’analyse des intégrismes religieux, Sadri Khiari remarque : « Leur intégrisme est une notion non-historique. Incarnation du mal absolu, immuable, il serait une substance homogène, imperméable à l’histoire, au politique, au particulier, à l’événement. [9]» Alors, pour appuyer sa thèse et nous convaincre que l’intégrisme musulman est bien le plus dangereux, Caroline Fourest bricole et s’autorise quelques dérapages : « Si l’islam n’a pas le monopole de la violence, il est le seul à disposer d’un stock de bombes humaines » ou « la colonisation a rendu le monde arabo-musulman allergique au rationalisme »[10]. Fourest ne pointe pas ici les intégristes, mais bien le monde arabo-musulman. Dans un article au sujet des musulmans priant dans les rues du quartier parisien de la Goutte-d’Or, par manque de lieu de culte, Fourest interpelle les autorités : « Que fera la mairie lorsque les prêches douteux résonneront dans ses murs [11]? » Encore une fois, Fourest ne pointe pas les intégristes, mais bien les musulmans qui, comme tout le monde le sait, s’adonnent à des prêches douteux.
 
A partir de cette approche culturaliste et essentialiste, la journaliste pose la grande contradiction de notre époque en ces termes : « La véritable ligne de fracture se situe entre démocrates et théocrates de tous les pays, entre les partisans d’un monde rationaliste et les partisans d’un monde fanatique[12] Fourest s’octroie alors quelques accommodements raisonnables sur le concept de démocratie. Ainsi, alors que l’essayiste a toujours condamné vivement les dictatures théocrates du Moyen-Orient, elle qualifie le régime de Ben Ali d’un euphémique « pouvoir parfois étouffant », « une démocratie officielle tenue d’une main de fer par l’armée[13]. » Depuis, les Tunisiens ont fortement déçu Caroline Fourest. Ils ont eu l’imbécillité crasse de ces peuples allergiques au rationalisme : élire massivement le parti Ennhada. Les Tunisiens doivent se ressaisir, tonne la journaliste, car « à moins d’un sursaut, laïque et déterminé, la liberté d’expression – si chèrement acquise – est en sursis en Tunisie. » En fait, Caroline Fourest a beau réfuter officiellement la théorie du « choc des civilisations », elle l'applique bel et bien dans une version soi-disant teintée de progressisme. Arborant fièrement les armoiries de l’universalisme des Lumières, la journaliste développe une vision très ethnocentrique de la démocratie. A croire que la laïcité à la française devrait être appliquée partout dans le monde, en dépit des différences culturelles, historiques et sociales. 
 
Afghanistan, Irak, Palestine, Iran… Parti en guerre contre le monde arabo-musulman, l’Occident est toujours soucieux de justifier les pires interventions. Aussi, dans le contexte islamophobe actuel, les idées de Caroline Fourest trouvent un certain écho. La journaliste multiplie les tribunes et se classait il y a deux ans dans le top 10 des chroniqueurs les plus médiatisés[14]. Son travail est pourtant loin de faire l’unanimité. En 2006, lorsque le jury du Prix du Livre politique de l'Assemblée nationale décide de récompenser La tentation obscurantiste de Fourest et Venner, cinq sociologues, spécialistes du monde musulman, publient une tribune cinglante dans le Monde. Jean Baubérot, Bruno Etienne, Franck Fregosi, Vincent Geisser et Raphaël Liogier fustigent « l'intronisation officielle accordée à un pamphlet qui s'érige frauduleusement en argumentaire rationnel, alors qu'il ne repose que sur le trafic des émotions, des peurs, permettant d'ânonner des lieux communs sur l'islam et les musulmans.[15] » La critique de l’intégrisme musulman ne mérite-t-elle pas mieux qu’un discours qui joue sur les peurs et les amalgames ?


Tous les jours Halloween

C’est une qualité qu’il faut lui reconnaître : Caroline Fourest sait faire peur. En 2005, elle publie un article alarmiste dans le Wall Street Journal : « The war for Eurabia [16]». L’Eurabia est une théorie conspirationniste très prisée dans les milieux réactionnaires qui fantasment sur l’islamisation de l’Europe. Le journaliste britannique Johann Hari la qualifie de « Protocoles des Sages de La Mecque »[17]. Caroline Fourest s’est défendu d’avoir choisi ce titre. Si on ne peut lui reprocher ce choix, on ne peut pas non plus reprocher à la rédaction du Wall Street Journal d’avoir mal fait son travail : elle a bel et bien résumé en une accroche l’idée principale qui se dégageait de l’article. En effet, dans cette chronique d’épouvante, la journaliste joue sur les émotions et tire la sonnette d’alarme : « Le monde occidental, et l’Europe en particulier, est le principal champ de bataille des islamistes. Les services secrets déjouent régulièrement des attentats terroristes dont les cibles se situent sur le sol européen. (…) En Europe, [les islamistes] profitent de la liberté d’expression et de la démocratie, ainsi que de l’incapacité des immigrants arabes à s’intégrer. (…) L’Occident est utilisé comme une formidable base arrière pour recruter de nouvelles troupes. (…) Les leaders de l’islam politique radical se trouvent plus souvent à Londres ou à Genève qu’à Kaboul ou à Bagdad. » Comme toute bonne théorie du complot, cette vision cauchemardesque n’est pas étayée par des faits précis et objectifs. Mais Caroline Fourest ne semble pas s’embarrasser de ce genre de détails. Les informations de l’intellectuelle laïcarde doivent être prises pour parole d’évangile. Même si pour l’année 2010, sur 249 attentats commis en Europe, trois seulement étaient liés au terrorisme islamiste[18].
 

Combattre le feu par le feu

A travers son discours émotionnel, Caroline Fourest nous offre un autre exemple de ses contradictions. En effet, la journaliste s’est toujours opposée à l’extrême droite. Mais peut-on raisonnablement douter qu’un article comme « The war for Eurabia » ne contribue pas à faire le lit de cette mouvance politique ?
 
Dans son papier, Fourest pointe la « Genève Connection » : « Autre havre des islamistes, la Suisse non plus ne s’est pas encore décidée à agir. (…) Le pays hésite à s’attaquer aux islamistes. » Quatre ans plus tard, la Suisse a agi : 57,5% d’électeurs ont approuvé le projet de loi de la droite populiste sur l’interdiction des minarets. Certainement de bonne foi, l’éditorialiste a critiqué cette décision[19]. En revanche, son explication de ce dérapage politique témoigne d’une malhonnêteté intellectuelle certaine. En introduction de sa chronique, Caroline Fourest s’interroge sur les coupables. Seraient-ce les élites qui n’auraient rien vu venir, le peuple qui aurait exprimé son ras-le-bol, les médias qui parleraient trop de l’islamisme ou les intégristes qui en feraient trop ? Mais « laissons de côté les jugements moraux pour s’interroger sur l’intention, le contexte et la portée de ce vote » poursuit la journaliste. Pourtant, la question de la responsabilité revient en fin d’article, en douce. Fourest ne pointe plus alors qu’une seule piste : « Les médias ont, peut-être, trop donné la parole aux prédicateurs. » Apprécions toute la rhétorique du « peut-être » et combien la responsabilité des éditorialistes qui fantasment sur le péril islamiste n’est pas engagée.
 
Dans un éditorial du Monde de décembre 2011, Caroline Fourest nous dévoile une autre facette de son étrange rapport à l’extrême droite. Une enquête vient de révéler que 61% des Français sont favorables au droit de vote des étrangers non communautaires aux élections municipales. Partant de cette « nouvelle plutôt réjouissante », Fourest conclut, après quelques pirouettes rhétoriques[20], qu’il serait préférable de … ne pas accorder le droit de vote aux étrangers, car cela risquerait de faire le jeu… du Front National. Alors que le PS est favorable à cette mesure, Caroline Fourest rejoint ainsi Marine Le Pen et la girouette Sarkozy.
Et pourtant, « je ne me dis pas de gauche, je le suis[21] » affirme la journaliste. Si elle sent le besoin de le préciser, c’est qu’on finit par en douter. Car de quelle gauche parle-t-elle ? Celle qui impute à la psychologie du peuple grec une lourde part de responsabilité dans la crise tout en écartant une analyse systémique des mécanismes de la dette[22] ? Celle qui juge les mesures d’austérité comme un moindre mal tout en omettant d’évoquer d’autres pistes comme un audit citoyen sur la dette[23] ? Ou bien celle qui estime qu’un Etat colonial, qui pratique l’apartheid, est quand même démocratique[24] ?


Une intellectuelle faussaire ?

Evidemment, il est toujours difficile d’accomplir de telles acrobaties idéologiques en campant sur des arguments objectifs et rationnels. Aussi, Caroline Fourest recourt parfois à des méthodes journalistiques douteuses. « Frère Tariq[25] », l’ouvrage qui lui a valu le sacre médiatique, est un exemple assez parlant. Bien décidée à prouver aux naïfs que Tariq Ramadan tient un double discours et incarne le mal absolu, Caroline Fourest affirme : « depuis qu’il prêche en France, le climat dans les cours de récréation et les salles de classes a incontestablement changé. » Dans la même veine, Fourest érige le procès d’intention en argumentaire pour étayer sa thèse. A propos du prénom de l’ « inquiétant » prédicateur, la journaliste soutient : « Ses parents ne lui choisissent pas n'importe quel prénom : "Tariq" fait écho au nom de Tariq Ibn Zyad, le premier conquérant musulman à avoir foulé la terre chrétienne d'Espagne.» Et, insiste-t-elle : « Peut-on croire sérieusement que [ses parents] (…) ont choisi le prénom de leur fils par hasard ? Cela paraît peu probable quand on sait à quel point le chemin de chaque membre de cette famille est tracé d’avance. » Petit conseil aux futurs parents qui liront cet article : soyez vigilants lorsque vous choisirez le nom de votre enfant : Caroline Fourest pourrait un jour fondre sur votre progéniture et vous attribuer les plus viles intentions.
 
Tariq Ramadan n’est pas le seul à faire les frais des méthodes douteuses de la journaliste. Dans Les intellectuels faussaires, Pascal Boniface épingle l’essayiste aux côtés notamment de BHL et de Frédéric Encel. Qualifiant Fourest de « serial-menteuse », le directeur de l’IRIS répertorie nombre d’erreurs et d’approximations de la chroniqueuse surmédiatisée. Il rapporte également une mésaventure personnelle. Venue témoigner en faveur de Mohamed Siffaoui dans un procès intenté pour diffamation, Caroline Fourest explique avoir découvert Boniface à travers son ouvrage « Halte au feu ». « Elle affirma alors, rapporte Boniface, que son reproche principal à mon encontre concernait… mon absence de condamnation du terrorisme. Manifestement, cette “ chercheuse ” ne s’est pas plongée très en profondeur dans l’ouvrage par lequel elle est censée m’avoir découvert. Le chapitre 6, intitulé “ Terrorisme ou Terrorismes ” commence par cette phrase : “Pour moi, le terrorisme est un crime moral inacceptable doublé d’une faute politique”.[26] »

Un contexte islamophobe

Si la schizophrénie idéologique de Caroline Fourest la contraint parfois à déformer la vérité, elle a l’avantage certain de la protéger des critiques. La journaliste ne manque jamais une occasion de rappeler les nobles valeurs qui animent son combat, surtout lorsqu’on doute de ses intentions. Lorsque Souhail Chichah l’interpelle sur son article très réac paru dans le Wall Street Journal, Fourest rétorque que ce sont des mensonges pour conclure : « Vous êtes obligé de déformer mes propos, de les faire passer pour des racistes parce que vous avez peur du féminisme. Mais affrontez le féminisme ! C'est l'égalité, le féminisme, Monsieur ! » Belle technique de diversion ! La question de l’égalité entre les hommes et les femmes n’a pas été abordée dans les propos de Chichah, mais Fourest détourne la conversation sur ce terrain. La manœuvre permet de se légitimer auprès de l’assistance et de diaboliser son contradicteur.
 
Une approche suivie par l’ensemble de la presse belge francophone qui s’est jetée sur la « Burqa Pride » sans beaucoup de nuance mais avec un certain nombre d’idées reçues. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’une conférence est chahutée au sein de l’ULB. En 2007 déjà, alors que Fourest devait s’exprimer dans le cadre de la Semaine contre le racisme, des chahuteurs répartis à différents endroits de l’auditoire avaient récité du Baudelaire et singé un pseudo-débat contradictoire. Fourest avait même échappé de peu à la traditionnelle tarte à la crème. La même année, venu expliquer à l’ULB « Comment être un homme des Lumières aujourd’hui », Philippe Val s’était vu interrompre par le maître-pâtissier Noël Godin : « Je propose que Val ne puisse pas placer un mot, un seul mot, tant qu'il ne conviera pas personnellement, et explicitement, le lustucru Ramadan à venir pérorer à son tour dans ce lupanar. » Un an plus tard, ce sont des étudiants de la VUB et de l’ULB qui avaient empêché Amélie Turtelboom de prendre la parole. La conférence sera annulée et la ministre de l’Asile évacuée par la police.
 
Aucun de ces événements n’a déchaîné l’ire médiatico-politique. Alors, comment expliquer le « traitement de faveur » accordé à la Burqa Pride ? « Ce n’est malheureusement pas un fait isolé, nous confie le sociologue français Saïd Bouamama : Aujourd’hui, dès que quelqu’un demande à apporter un peu de contradiction dans un débat qui touche à l’islam ou aux discriminations, il est catalogué comme intégriste. » La presse belge n’a donc pas failli à son rôle, pratiquant allègrement le deux poids deux mesures. « Cela s’explique par le contexte islamophobe qui s’est développé depuis le début de ce siècle, poursuit le sociologue. Après les attentats du 11 septembre, une campagne idéologique s’est développée d’abord aux Etats-Unis. Elle s’articulait autour de la théorie du « choc des civilisations ». Elle a ensuite touché la France. On a pu le voir avec l’hystérie provoquée par le débat sur le port du voile en 2004. Cela s’est ensuite poursuivi avec le débat sur l’identité nationale… Tous ces événements ont participé à la construction d’une image de l’islam comme une religion dangereuse. Or, l’islam est comme toutes les religions. On ne s’étonne pas que le christianisme inspire à la fois des mouvements d’extrême droite et la théologie de la libération. Mais quand un mouvement politique se réclame de l’islam, c’est tout de suite problématique. »
 
 


Temple du libre examen ou fabrique de la pensée unique ?
 
En bons organes de propagande de la pensée unique, les médias ont surfé sur la « Burqa Pride » pour nous convaincre une fois de plus que les intégristes sont partout et menacent nos valeurs démocratiques. Triste réalité. D’autant plus triste qu’elle ne surprend plus beaucoup. Ce qui est peut-être plus surprenant, c’est qu’un grand nombre d’acteurs au sein de l’ULB se sont faits l’écho de cette campagne idéologique. Le temple du Libre Examen ne serait-il plus au premier front de la bataille des idées ?
Nous avons contacté à ce sujet Anne Morelli, historienne et professeure à l’ULB. Ce jeudi 1er mars, elle devait participer à un débat sur la liberté d’expression organisé par le Bureau des étudiants de la faculté de médecine. Mais les organisateurs ont préféré reporter la séance, invoquant un contexte trop houleux et des tentatives d’intimidation. « Ce que j’aurais voulu dire à ce débat, confie Anne Morelli, c’est qu’il faut avoir une attitude pondérée sur la liberté d’expression. Si on s’attache à cette liberté, il faut l’accorder à tout le monde. Caroline Fourest ne devait pas participer à un débat contradictoire, mais bien animer une conférence. Or, c’est une personne très contestée. Par conséquent, si on plaide pour son droit à la parole, il faut aussi pouvoir inviter Tariq Ramadan ou Dieudonné par exemple. »
 
Les portes de l’université n’ont pas toujours été ouvertes à « Frère Tariq ». L'écrivain belge Nadia Geerts, aujourd’hui fortement indignée par la censure de Fourest et bien déterminée à décrocher le scalp académique de Chichah, justifiait par contre en 2007 l'interdiction de parole de Tariq Ramadan. Elle regrettait l’absence de débat contradictoire et jugeait l’accusation de « censure » excessive : « Soyons sérieux : Ramadan jouit d'une visibilité médiatique extraordinaire. Entre ses conférences, ses cours, ses livres, ses cassettes, ses articles et son site internet, il est partout à la fois. Or, la véritable censure me semble consister en une interdiction radicale d'un auteur, la prohibition de ses écrits, le risque pour ses lecteurs de se voir poursuivis et condamnés. [27] » Alors, soyons sérieux : devait-il se tenir un débat contradictoire à l’ULB ce 7 février ? Avec ses chroniques au Monde et à France Culture, ses passages réguliers sur les plateaux télé, ses treize livres, ses cinq films et son site internet, Caroline Fourest ne jouit-elle pas d’une visibilité médiatique extraordinaire ? Soyez rassurés : vous pouvez lire les écrits de Caroline Fourest. Cela coûtera ce qu’il vous en coûtera, mais vous ne serez ni poursuivi, ni condamné.Le fait est que Fourest n’est pas Ramadan et que Geerts n’est pas Chichah. Par ailleurs, Chichah n’est pas vraiment Ramadan, mais Geerts est presque Fourest.
 
En tout cas, Chichah n’est pas Fourest : en septembre 2010, des chahuteurs ont violemment interrompu un débat auquel participait ce chercheur. Chichah était accusé d’ « antisémitisme » et de « négationnisme ». Les autorités de l’ULB n’ont pas jugé ces accusations fondées, mais les chahuteurs n’ont pas été inquiétés. « Il existe un rapport de force au sein de l’université, commente Anne Morelli. Et les milieux sionistes font pression sur les autorités. Dès qu’on ne leur plaît pas, ils hurlent à l’antisémitisme. »
 
Au temple du Libre examen, y aurait-il de bons et de mauvais censeurs ? Pour avoir interrompu la conférence de Caroline Fourest, Souhail Chichah fait l’objet d’une commission disciplinaire. Il semble que la pensée unique fasse son lit dans les enceintes de l’Alma Mater : « Je ne pense pas que cela s’inscrive dans le cadre d’une campagne islamophobe, nuance Morelli. On peut dire que je suis moi-même islamophobe, “judaophobe et “christianophobe” : je pense que les religions apportent plus de mal que de bien. Néanmoins, les universités subissent des pressions économiques. Il y a une logique de rendement. On ne peut plus enseigner que les cours jugés utiles. Evidemment, cette logique d’entreprise a un effet sur les valeurs des universités. » Au risque que les traditionnels foyers de contestation s’éteignent ?

On peut juger que la Burqa Pride était maladroite sur la forme. Mais l’action a au moins eu le mérite de poser l’Université Libre de Bruxelles face à ses propres contradictions. Souhail Chichah n’a pas censuré Caroline Fourest. Il a simplement eu l’outrecuidance de réclamer plus de démocratie dans le sein de l’Alma Mater. Pourtant, aux noms de valeurs démocratiques prétendument bafouées, certains voudraient le limoger… Ce qui ne serait pas très démocratique. Absurde ? Si c’est un bel hommage rendu à la méthode Fourest, gageons que l’Université Libre de Bruxelles mérite meilleur salut.
 
 
 
PS : Le professeur Souhail Chichah fait actuellement l'objet d'une instruction disciplinaire. L'ULB devra se prononcer prochainement sur son renvoi ou non de l'université. Signez la pétition pour le maintien du professeur Chichah : http://www.petitions24.net/pour_le_…



[1]Le Soir, 12 janvier 1990

[2]Sud Presse, Belgique, 7 janvier 2004

[4]La « balayette » semble être la spécialité de cette irascible féministe. Pierre Tevanian en aurait fait les frais en 2004.

[5]Wall Street Journal, 2 février 2005

[6]La Libre Belgique, 08 février 2012

[7]Le Soir, 08 février 2012

[10]C. Fourest et F. Venner, Tirs croisés, Calmann-Levy, 2003

[11]Le Monde, 18 juin 2010

[12]Tirs Croisés

[13]Tirs Croisés

[14]Enquête et débat, juillet 2010

[15]Le Monde, 18 avril 2006

[16]Wall Street Journal, 2 février 2005

[17]The Independent, 21 août 2006

[20]Voir le méticuleux et instructif découpage de Pierre Tevanian, Retour de Flamme

[23]C. Fourest, Colère noire

[24]Tirs Croisés

[25]C. Fourest, Frère Tariq, Grasset & Fasquelle, 2004

[26]P. Boniface, Les intellectuels faussaires, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2011
 
[27] La Libre Belgique, 16 mars 2007

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