Fini de cuisiner dans les commissariats

Si, en France, et depuis belle lurette, la loi autorise un contact avec un avocat au cours de la garde à vue et si la présence de l’avocat aux côtés de son client chez le juge d’instruction va de soi, en Belgique, l’avocat reste encore tenu à l’écart de l’enquête et n’a, jusqu’au procès, qu’un rôle de mouche du coche !

En dépit de la réforme dite Franchimont., il est à la traîne de la police et du parquet aux moments pourtant les plus cruciaux pour ceux qu’il est chargé de défendre : le premier choc avec la police et la privation de liberté. Houspillé par la cour européenne des droits de l’homme, Stefaan De Clerck,  actuel ministre belge de la justice, songe à importer le dispositif français au moment même où ce dispositif est jugé obsolète tant par le Conseil constitutionnel et par la cour de cassation de France ! Une guerre de retard ! Pour garantir les droits fondamentaux proclamés notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l’assistance de l’avocat doit être immédiate et son rôle le plus large possible, a décidé la plus haute juridiction française le 19 octobre dernier (dans la ligne de l’avis du Conseil constitutionnel du 30 juillet)!  Rien de semblable du côté de la justice belge qui  patauge, temporise et attend que le législateur se mouille, en faisant mine  de ne pas bien comprendre ce qu’exige la cour de Strasbourg…  Pourtant, spécialement, depuis son célèbre arrêt Salduz (du nom d'un adolescent condamné, en Turquie, pour avoir participé à une manifestation de soutien au PKK et qui s'était plaint d'avoir été mis sur le grill par la police sans avoir pu obtenir l'aide d'un avocat parce que la loi turque de l'époque l'interdisait pour les délits politiques) la cour européenne des droits de l’homme ne cesse de clamer que l’assistance d’un avocat dès l’interpellation par la police est un droit fondamental dont la violation gangrène tout le procès !

Une pluie de condamnations par la cour des droits de l’homme  

 
Si certains juges belges ont compris la leçon et ont ouvert les cabinets d’instruction aux avocats, la cour de cassation, les parquets et les autorités policières renâclent et font la sourde oreille. Voire, l’autruche ! Notre vielle façon de faire serait bonne et les juges européens de Strasbourg de doux rêveurs, voire de dangereux laxistes faisant fausse route !  Et la patate serait tellement brûlante que seul le législateur serait apte à y toucher 8 A lui de fixer des limites (car c’est ça qu’attendent les policiers et juges conservateurs) au rôle des avocats dans les enquêtes pénales et les arrestations.  Mais le gouvernement belge démissionnaire (et dans un pays à l’avenir incertain) est tout à fait dépassé par la pression strasbourgeoise où les coups de semonces se multiplient et ne sait comment agir !   Si la hiérarchie judiciaire et policière s’obstine à freiner des quatre fers, comme elle le fait, pour écarter les avocats des gardes à vue et des mises en détention préventive, la Belgique (certes moribonde, mais dont on peut espérer qu’elle reste démocratique) collectionnera  les condamnations à Strasbourg. La honte d'être montrés du doigt pour avoir violés les droits de l'homme  ne paraît pas effrayer grand monde. Il en irait peut-être autrement si les répercussions financières des condamnations à Strasbourg pesaient sur les responsables et non sur les finances de la collectivité…  


Pourtant pas la mer à boire !
 
 
Pourquoi  des droits et des usages en vigueur quasiment partout paraissent-ils impraticables,  voire funestes,  en Belgique ? Il y a des lustres, on le sait grâce aucinéma,  qu’aux Etats-Unis,  par exemple, un suspect peut rétorquer à un policier qu'il ne parlera qu'en présence de son avocat !  Pour ses détracteurs,  la consultation d'un avocat et, a fortiori,  sa présence lors des interrogatoires vont freiner l'enquête et le délai de garde à vue de 24 h deviendra trop étriqué.  C’est perdre de vue qu’en conseillant à son client de ne pas s’empêtrer dans des mensonges, ne fut-ce que parce qu’ils lui seront fatals par la suite, l’avocat facilitera souvent le travail du policier ou du juge ! Et, dans bien des cas, la personne interpellée se satisfera d’un rapide contact téléphonique avec son avocat avant ou pendant son interrogatoire. Ce n’est donc pas la mer à boire, pour les enquêteurs, de mettre Saldüz en pratique, même en 24h !



Un secret de Polichinelle !


Aucun texte légal n'interdit la présence de l'avocat dès la garde à vue et devant le procureur ou le juge !  Pourquoi attendre  que le législateur l’organise ? Certains invoquent le secret de l’instruction. C’est de l’hypocrisie et du cynisme ! Tout le monde sait que le prétendu secret de l’instruction  appartient à Polichinelle  à une époque où il n’ya plus une arrestation, plus une déclaration et plus un fait divers qui ne soient connus de la presse avant même que l'encre des procès-verbaux ne soit sèche ! D’autres, dans les palais de justice, craignent des couacs  dans les procès en cours ? Des aveux écartés, des procédures à recommencer et des relaxes dites techniques, c’est parfois le prix à payer quand on n’a pas été prévoyant ! Comme  l’énorme majorité des personnes poursuivies « plaident coupables » dès les premiers pas de l’enquête et restent tête basse jusqu’au jugement, les cas où cela pourrait se produire ne sont pas légion ! 



Une petite révolution culturelle…



Saldüz doit, en réalité, entraîner une petite révolution culturelle chez les policiers et les procureurs, habitués à travailler sans avoir personne ‘dans les pieds’ A l’avenir,   Plus question de cuisiner un suspect jour et nuit pour l'amener à « cracher lemorceau ».   Terminés les aveux extorqués contre une fallacieuse promesse d'indulgence. Fini le mandat d'arrêt agité sous le nez d'un suspect qui aurait le toupet de garder le silence. Aux oubliettes (on l’espère !), l'interrogatoire musclé ou l'audition-marathon !  Moins de risques, enfin, de dossiers qui partent en quenouille à cause du flair incontrôlé d’un policier La conviction forcenée d’un seul policier fut pour beaucoup, dit-on, dans la récente la condamnation (sans preuves) de la parachutiste limbourgeoise, Els Clottemans, par les assises de Tongres : qui sait si, contredit dès le départ  par un avocat, ce policier n’aurait pas changé de cap ?    Chez nombre de policiers et de magistrats,  une métamorphose était déjà en marche depuis longtemps grâce à la science et à la technique. Sans attendre Saldüz et ses conséquences, la religion de l'aveu et la traque obsessionnelle du mensonge avaient déjà, chez les plus avisés, cédé la place à la culture de la preuve matérielle ou scientifique. A quoi bon, il est vrai, vouloir à tout prix forcer quelqu'un à parler en le cuisinant jusqu'à qu'il "craque" alors que son ADN ou son téléphone ont déjà tout révélé ?

Jean-Marie Dermagne, Avocat, ancien bâtonnier  et membre de la commission pénale de l'ordre des Barreaux.   

Envoyé par l'auteur pour Investig'Action

Dessin originale de Sakoch

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