Feindre une volonté de paix en Palestine

Le célèbre reporter britannique Fisk ironise: « Les «visions» reviennent. Quand Bush voulut bombarder l’Afghanistan, il annonça soudain sa «vision» d’un Etat palestinien. Puis, cela disparut de son écran radar.

Ca revient. Une résolution de l’ONU évoque «la vision d’une région où deux Etats vivent côte-à-côte». Mr. Bush aurait-il une autre guerre en tête?»(1)

Pour dominer le Moyen-Orient, les Etats-Unis s’appuient depuis toujours sur deux pions essentiels. Un porte-avion surarmé, Israël : les plus importants crédits militaires versés à l’étranger. Et un porte-avion économique : l’Arabie Saoudite, chargée de contrôler 60% des pétro-dollars de la région et de les recycler à Wall Street et dans les emprunts US. Sans cette manne, les Etats-Unis, endettés de 445 milliards $ par an, seraient en faillite.

Donc, les Etats-Unis n’ont jamais accepté qu’un Etat du Moyen-Orient puisse tenir tête à Israël. Ils se sont acharnés à briser, l’un après l’autre, l’Iran (coup d’Etat en 1952), l’Egypte de Nasser, puis l’Iran et l’Irak (en les poussant à la guerre entre eux), puis l’Irak de Saddam. Au gré des humeurs et des besoins, Syrie et Libye se retrouvent aussi sur la liste noire. Combinant agressions, provocations et diabolisations, Washington a toujours réussi à diviser la résistance du monde arabe.

«95% des Saoudiens soutiennent Ben Laden »

Après la chute de l’URSS, profitant du nouveau rapport de forces international, les Etats-Unis et leurs alliés se sont déchaînés pour recoloniser le monde. Premières victimes : un million d’enfants irakiens assassinés par un embargo criminel. Quant aux Palestiniens, on leur imposait l’apartheid et le nettoyage ethnique, rebaptisés « processus de paix ».

Mais aujourd’hui, le pillage des ressources des pays arabes et la répression politico-militaire sont de plus en plus contestés. Même en Arabie saoudite : selon le chef des services secrets, « 95% des Saoudiens instruits, entre 25 et 40 ans, soutiennent Ben Laden.»(2) Du coup, son pays, ajoute-t-il, « ne supporterait pas une campagne contre l’Irak, ni contre aucun pays arabe ou musulman». Il s’est aussi opposé aux critiques des Etats-Unis contre Arafat. Fin septembre 2001, l’Arabie avait refusé que son territoire serve aux armées US pour attaquer l’Afghanistan. Et, fin janvier, le prince héritier Abdallah critiquait les Etats-Unis pour leur refus de condamner la violence d’Israël(3).

L’Arabie serait-elle fragile ? Oui. «Le gouvernement saoudien est divisé, admet le Washington Post du 11 mars, entre factions favorisant la collaboration avec les Etats-Unis – notamment à cause des profits économiques et du renforcement de leur propre pouvoir – et factions qui s’opposent à l’engagement aux côtés de l’Occident

Comment expliquer cette évolution d’un pays réputé docile ? D’abord, la crise économique profonde a poussé les multinationales à augmenter sans cesse leurs marges propres, réduisant d’autant la part laissée aux classes dominantes locales, et ce en diverses régions économiques-clés. La forte chute du prix du pétrole a réduit ces revenus. Ensuite, la résistance palestinienne a mis sous pression les régimes arabes pro-occidentaux. Les masses arabes se retrouvent face à une misère croissante, y compris dans les « bastions » pro-US. Ainsi, en Arabie saoudite, le PIB par habitant est passé de 16.000 $ par an dans les années 80 à 7.000 $ aujourd’hui. 35% des hommes y sont sans emploi. Contestés, ces régimes se retrouvent obligés de tenir davantage compte de la révolte de leurs peuples face aux agressions contre les Palestiniens et les Irakiens.

Une résolution qui ne règle rien…

L’objectif immédiat de Bush, c’est de pouvoir déclencher la guerre contre l’Irak. Pour cela, il lui faut un cessez-le-feu pour se présenter comme « les défenseurs de la paix en Palestine ». Juste un cessez-le-feu, pas une vraie solution. Car la récente résolution 1397 ne règle rien : elle appelle à «cesser les actes de violence, y compris les actes de terreur », alors que la résistance palestinienne est légitime. Elle ne réclame pas le retrait israélien des territoires occupés. Elle se tait sur le retour des millions de Palestiniens chassés de leurs terres. La « vision » bushienne veut juste gagner du temps. Une fois l’Irak brisé, Washington pourrait relancer l’offensive contre les Palestiniens et contre toute force arabe trop indépendante.

Voici donc la nouvelle manœuvre. D’une part, on tentera d’embarquer les Palestiniens dans un nouveau round de négociations, interminables et stériles. Pendant ce temps, la tournée de Cheney multipliera les pressions sur les Européens et les Arabes afin de pouvoir attaquer l’Irak et y imposer les marionnettes US.

L’influente revue US Foreign Affairs prône une « invasion terrestre de l’Irak» car «une campagne aérienne à l’afghane» ne suffirait pas. Elle se plaint : certains pays laissent tomber l’embargo, «Saddam risque de se renforcer » et la Chine vient de construire un réseau de communications par fibres optiques en Irak(4). Solution coloniale classique : «Une fois le pays conquis, les Etats-Unis se retrouvaient « propriétaires » d’un pays de 22 millions d’habitants (…)Les occupants auraient à décider de la composition du futur gouvernement

C’est l’unité qui crée le rapport de forces

Pourquoi Bush veut-il attaquer l’Irak sans traîner ? A cause de ses dix années de résistance. Mauvais exemple au moment où Bush déclare au monde une guerre globale. En commençant par l’Irak, l’Iran et la Corée, mais en avertissant que la liste sera complétée plus tard. D’ailleurs les nouvelles armes nucléaires menacent aussi la Syrie, la Libye, la Russie et la Chine !

Il est important de relier la solidarité avec la Palestine à la lutte contre toutes les guerres d’agression, et en premier celle menaçant l’Irak. Certains pensent préférable de séparer les cas des deux pays. L’Europe serait prête à traiter avec les Palestiniens devenus « respectables » tandis que l’Irak…

Dangereuse illusion : l’Union Européenne est le partenaire commercial n° 1 d’Israël, donc elle pourrait faire plier celui-ci si elle le voulait réellement. Si elle ne le fait pas et n’arrête pas non plus l’embargo criminel contre l’Irak, c’est qu’elle partage la volonté des Etats-Unis d’imposer la domination des multinationales occidentales.

La seule chose qui fasse reculer les dirigeants économiques et politiques du capitalisme, c’est le rapport de forces. Que seules peuvent créer la lutte et la mobilisation internationale. Les Palestiniens ont su commencer à le modifier. Ce n’est pas le moment de changer de cap.

Pour améliorer le rapport de forces, il importe d'exiger que l’Europe lève immédiatement toutes les sanctions contre l’Irak et, par contre, sanctionne immédiatement Israël en supprimant sa clause de partenaire commercial privilégié. Il importe aussi d'organiser des actions concrètes de soutien aux revendications des Palestiniens: retrait de l'armée israélienne des territoires occupés, démantèlement des colonies, droit au retour des réfugiés et création d'un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem comme capitale.

(1) Independent, 14 mars 2002.

(2) International Herald Tribune, 28 janvier 2002.

(3) http://news.bbc.co.uk/

(4) Foreign Affairs (USA), Next Stop Baghdad? mars-avril 2002.

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