En Ratzinger, les architectes du Choc des civilisations ont-ils trouvé leur Apôtre ?

Des librairies américaines et européennes sont remplies d’ouvrages mettant en garde contre le « péril vert », le lien entre « l’islam et le terrorisme », « le complot musulman » et autres. Des chaînes de télévision et des radios recyclent les mêmes clichés et propagent l’idée selon laquelle les « peuplades » musulmanes ne sont pas comme « Nous » et n’acceptent pas « Nos valeurs ».

Le but visé par tous est le même : soumettre les « masses » occidentales aux idées néo-conservatrices et les fédérer contre un ennemi commun afin d’une part de tuer toute lutte et révolte sociale contre la classe dominante, de pratiquer les politiques néolibérales les plus sauvages en toute tranquillité et enfin de mener des guerres destructrices contre les peuples musulmans avec le consentement de cette « masse ». Jusqu’à présent, l’église catholique est restée loin des idées néo-conservatrices et s’est même engagée dans une démarche de rencontre fraternelle et respectueuse envers les musulmans. Elle appelle au dialogue interreligieux et considère les échanges comme un enrichissement de la connaissance et un approfondissement de sa propre foi.

L’église catholique s’est opposée à la guerre contre l’Irak et les chrétiens jouent un rôle important dans les résistances palestinienne et libanaise.

L’église catholique fut présente avec des chefs religieux musulmans, juifs, bouddhistes et autres à Astana, capitale du Kazakhstan, pour le second congrès des chefs des religions mondiales et traditionnelles et dont l’objectif est la promotion de l’harmonie et du dialogue interreligieux. Et curieusement, c’est ce moment qui fut choisi par monsieur Ratzinger pour faire ses déclarations haineuses et provocatrices à l’encontre de l’islam et des musulmans.

Les déclarations du porte-parole du Vatican interviennent aussi au moment où l’envoyé du Vatican en Terre Sainte et les archevêques de trois autres églises ont lancé une attaque conjointe contre le mouvement sioniste chrétien, en l’accusant notamment de « promouvoir l’exclusivisme raciste et la guerre perpétuelle ».

Elles interviennent aussi juste après la guerre contre le Liban. Au cours de cette guerre, chrétiens et musulmans ont uni leurs forces pour faire face à l’agression israélienne. Le général Michel Aoun, représentant de la communauté chrétienne, s’est allié au Hezbollah et le Président libanais Émile Lahoud est considéré comme proche du bloc Hezbollah-Aoun. Les chefs spirituels des différentes communautés chrétiennes et musulmanes ont condamné « l’agression dirigée contre le Liban » et dénoncé fermement « les crimes de guerre perpétrés par l’armée israélienne ». Ils ont également rendu hommage à « la résistance du peuple libanais dont le Hezbollah constitue une partie intégrante ». L’armée israélienne a essuyé une défaite sans précédent et sa stratégie qui vise à « l’atomisation de tous les pays arabes afin que la région puisse être saucissonnée en petits États non-viables et incapables de résister à la puissance militaire israélienne… ces mini-pays seront composés tous autant qu’ils sont d’un bric-à-brac de minorités et de groupes ethniques mutuellement hostiles » a échoué au Liban.

Les paroles du pape interviennent aussi au moment où à Gaza, musulmans et chrétiens continuent de vivre en bonne entente et Janette Khoury, chrétienne, fut élue maire à Ramallah avec le soutien du FPLP et du Hamas. Mgr Sabbah, Militant de la cause palestinienne et patriarche latin de Jérusalem, a déclaré qu’en Palestine chrétiens et musulmans sont un seul peuple « Cette conviction existe chez tous les responsables palestiniens, y compris au Hamas » et « le Hamas s’est rapproché des chrétiens » a-t-il affirmé.

Les VRP du Choc des civilisations, amateurs des eaux troubles, voient d’un très mauvais œil de tels rapprochements et malheureusement ils ont enfin trouvé leur Apôtre. Aussitôt le discours papal prononcé, le texte fut traduit et diffusé instantanément sur toutes les chaînes satellitaires arabes. Comme dans le cas des caricatures, les réactions des peuples musulmans sont d’abord parties du Pakistan, pays allié des Etats-Unis, pour se propager ensuite dans la plupart des autres pays musulmans. Les médias occidentaux se sont aussitôt mis à la tâche et ils ont diffusé en boucle les images de foules musulmanes au bord de l’hystérie prouvant ainsi au reste du monde la « dangerosité » des « fous » d’Allah et montrant à tous les chefs religieux présents au congrès d’Astana l’inutilité de leurs actions. La question qu’on se pose est « Monsieur Ratzinger a-t-il perdu la raison, a-t-il été piégé ou bien voulait-il à travers ce discours se couper de l’attitude adoptée par l’église catholique et soutenir clairement Bush dans sa croisade contre le « fascisme » islamique ?

Pour répondre à cette question, une rétrospective du parcours du pape s’avère utile pour cerner sa personnalité.

Fils d’un policier, l’adolescent Joseph Ratzinger a servi dans les jeunesses hitlériennes, puis il s’est engagé dans l’armée allemande. Il servit tour à tour dans la défense antiaérienne, pour la protection d’une usine BMW où travaillaient des déportés du camp de Dachau, puis au début de 1945 à la construction des fossés antitanks en Hongrie et en Autriche. De cet endroit, il n’aurait pas pu ne pas voir les convois juifs passer en direction des camps de la mort. Il ne déserta l’armée nazie qu’au moment de sa déroute, en mai 1945, à l’approche des Alliés. Quand ces derniers arrivèrent dans son village, Joseph Ratzinger fut identifié comme soldat et emprisonné dans un camp de prisonniers de guerre, dont il fut relâché quelques mois plus tard.

Certains diront que Ratzinger était enrôlé de force dans les jeunesses hitlériennes ; pourquoi alors d’autres adolescents qui avaient fréquenté d’autres séminaires en même temps que lui ont pu ne pas intégrer les jeunesses hitlériennes ?

Pendant les années 80 et 90, lorsqu’il était cardinal, Ratzinger montra son aversion pour toute idée progressiste en condamnant de façon très dure la théologie de la libération, il mit en marche un processus de répression qui a réduit au silence plusieurs théologiens en Amérique latine. Il interdit l’enseignement de ce mouvement dans les lieux contrôlés par l’Eglise catholique et alla jusqu’à l’excommunication du Père Tissa Balasuriya du Sri Lanka.

Et pour bien marquer ses préférences idéologiques, le nouveau pape, a réhabilité quatre figures historiques de la de la Fraternité Saint-Pie X, secte catholique schismatique proche de l’extrême droite fondée en 1970 par Marcel Lefebvre. Le mouvement Lefebvriste, qui revendique la légitimité, est un mouvement intégriste qui serait prêt à brûler les hérétiques et dont l’extrême droite est son terreau de prédilection.

Marcel Lefebvre avait soutenu publiquement Le Pen, avait critiqué sévèrement la visite d’une synagogue par Jean-Paul II et les rencontres inter-religieuses, avait affirmé que le pape Jean-Paul II était inspiré par le diable et les francs-maçons, avait déclaré publiquement son admiration pour les régimes qu’ont mis en place Franco et Salazar…(voir wikipedia). Les lefebvristes sont aussi connus pour produire une abondante littérature antisémite et raciste.

Mais Joseph Ratzinger est surtout l’homme de " Dominus Iesus", une déclaration qui affirme la supériorité de la religion catholique sur les autres religions. Ce texte signé par Ratzinger établit que la foi catholique en Jésus-Christ est l’unique et seule voie de salut pour les hommes d’aujourd’hui ; ce texte exclut radicalement l’idée de dire que toutes les religions se valent et les théories relativistes sont vues comme un péril « au nom du pluralisme religieux, elles [les théories relativistes] négligent le caractère définitif et complet de la Révélation de Jésus-Christ ». Ce texte considère les adeptes d’autres religions comme des brebis égarées qui n’ont objectivement pas la plénitude des moyens du Salut. L’Eglise catholique seule peut leur faire connaître la seule et unique source de Salut et le dialogue interreligieux doit faire partie de la mission évangélisatrice « le mystère chrétien, qui dépasse toute limite d’espace et de temps, réalise l’unité de la famille humaine ».

En août 2005, Ratzinger n’a trouvé aucune gêne à recevoir Orianna Fallaci, auteur d’écrits racistes et islamophobes, dont voici un extrait de son « œuvre » « Au lieu de, contribuer au progrès de l’humanité, [les fils d’Allah] passent leur temps avec le derrière en l’air à prier cinq fois par jour […]. Ils se multiplient comme des rats […]. Il y a quelque chose, dans les hommes arabes, qui dégoûte les femmes de bon goût. ».

On connaît aussi l’hostilité du pape à l’entrée de la Turquie au sein de l’UE « Historiquement et culturellement, la Turquie a peu en commun avec l’Europe (…) Il serait mieux qu’elle devienne un pont avec le monde arabe ou qu’elle forme avec lui son propre continent culturel » avait-il déclaré.

Aujourd’hui, avec ses déclarations, monsieur Ratzinger essaie de réveiller la peur archaïque de l’islam, refoulée de l’histoire pour ramener à la surface l’univers du moyen âge avec ses horreurs, ses tribunaux de l’Inquisition et ses croisades. Monsieur Ratzinger réutilise les armes intellectuelles forgées aux XIIe-XIIIe siècles pour insulter, humilier et propager la haine. Lorsqu’il évoque et soutient les écrits de l’empereur byzantin Manuel Paleolagos II « Montre moi ce que Mohamed a apporté de nouveau, et tu ne trouveras que des choses diaboliques et inhumaines », le pape puise dans les plus puants des égouts de l’histoire car les byzantins étaient en première ligne pendant des siècles dans leur haine des musulmans et se sont illustrés particulièrement dans l’emploi du dénigrement systématique et de l’injure envers le coran et le prophète.

Quand monsieur Ratzinger fait appel à la raison comme arme pour prouver que seul le christianisme est conforme à la raison et que le musulman est « irrationnel », il utilise une stratégie élaborée au XIII siècle « qui refusait d’écouter la raison chrétienne devait être irrationnel : le juif aveugle, l’hérétique obstiné, le sarrasin porté sur la chair ». Mais nous sommes plus au moyen âge chrétien et Monsieur Ratzinger n’est pas un homme ignorant, il sait que le monde musulman a porté le flambeau de la civilisation pendant les trois quarts d’un millénaire, une période de splendeur deux fois plus longues que celles des Grecs et qui a influencé l’occident plus directement et plus diversement que les grecques eux-mêmes, comme l’explique Sigrid Hunke. Mais monsieur Ratzinger compte sur l’ignorance des autres. En effet, l’étude de l’histoire du monde en occident débute par l’Egypte ancienne et Babylone, puis la Grèce et Rome puis Byzance, le moyen âge chrétien et enfin les temps modernes. Le moyen âge musulman est complètement et délibérément occulté et les remarquables réalisations du monde musulman et ses contributions dans la civilisation occidentale sont dénigrées, masquées et ignorées.

Quant à la violence de l’islam invoqué dans le discours du pape, une petite incursion dans l’histoire et un petit calcul lui aurait montré que les musulmans n’ont pas tué ou massacré ne serait-ce que 10 % du sang musulman versé par l’occident chrétien.

L’homme lettré sait que durant tous les siècles derniers, l’occident a eu le monopole de la violence « La politique de l’Occident face au monde arabe n’est pas seulement criminelle, elle est insensée. Demandons-nous un instant comment les Arabes peuvent voir une histoire qui inclut la guerre d’Algérie, Suez, la création d’un Koweit " indépendant " (par les Britanniques en 1961), les interventions au Liban (dont l’invasion israélienne en 1982), la mise en place de fantoches néo-coloniaux (comme nos amis les rois du Maroc), les menaces sur la révolution nationaliste en Irak (bien avant Saddam Hussein), la création de l’Etat d’Israël et le soutien constant à celui-ci, la guerre du Golfe et l’embargo, ainsi que les nouvelles manœuvres contre l’Irak. Et posons nous cette question, non pas en pensant à leurs valeurs, leur religion ou leur culture, mais en pensant à la réaction que nous aurions si nous étions mis dans cette situation – par exemple, en comparant avec les réactions aux Etats-Unis suite au 11 septembre (qui a fait, pour ne prendre que ce cas, 300 fois moins de morts que l’embargo contre l’Irak), y compris la panique, l’hystérie et les appels à la vengeance » et il faudrait exiger que « les architectes intellectuels de la politique occidentale au Moyen Orient élaborent dorénavant des politiques face au monde arabe qui s’efforcent de réparer tant de sang et de larmes. » s’indigna Jean Bricmont.

Avec cet itinéraire, ce pape ambitieux, qui est logique avec lui-même, se croit l’architecte de la Cité de Dieu et caresse le rêve de recatholiciser l’Europe et le monde entier. Il est le candidat idéal des architectes du Choc des civilisations et de leurs alliés pour devenir leur Apôtre.

Bibliographie

[1] Le soleil d’Allah brille sur l’occident, Sigrid Hunke, Albin Michel, 1963.

[2] Les sarrasins John Tolan Aubier/Collection Historique, 2003.

[3] Pour un regard chrétien sur l’islam, Robert Caspar, 1990.

[4] L’Andalousie arabe, une culture de tolérance, Maria Rosa Menacal, traduit de l’anglais par Mélanie Marx, collection Mémoires, 2004.

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