Burkina Faso : Le pays des hommes intègres se désintègre

Après de 27 ans de pouvoir sans partage, Blaise Compaoré se retrouve presque seul contre tous. Les piliers de son pouvoir démissionnent en cascade. Le 18 janvier 2014, 500 000 Burkinabè sont descendus dans les rues pour protester contre une éventuelle modification de la constitution qui permettrait à M. Compaoré d’être candidat à la présidentielle de 2015. Derrière Blaise Compaoré, c’est la Françafrique qui est contestée par les populations qui regrettent l’ère de Thomas Sankara.


La journée de contestation organisée le 18 janvier 2011 par l’opposition a rassemblé des centaines de milliers de manifestants à travers tout le pays.


Depuis 27 ans, il est à l’aise Blaise. L’homme est d’un naturel discret, donnant l’air de ne pas y toucher. Mais l’air de rien, il dirige depuis près d’une trentaine d’années un petit pays d’Afrique de l’Ouest, situé à un carrefour géostratégique entre la bande soudano-sahélienne à dominante musulmane et la région équatoriale à dominante chrétienne. Cet espace territorial bien circonscrit brille aussi d’une double particularité : d’une part par son extrême pauvreté (il est traditionnellement considéré comme l’un des 10 pays les moins développés au monde) et par sa grande richesse naturelle (on y trouve de l’or et du manganèse en grandes quantités et il est le premier producteur de coton du continent africain). Ce petit pays, qui hérita de l’époque coloniale le nom de Haute-Volta, fut rebaptisé en 1984 « Burkina Faso », ce qui signifie dans une savante association de mooré et de dioula : « le pays des hommes intègres ». L’auteur de cette poétique nomination est un jeune leader révolutionnaire marxiste et panafricaniste répondant au nom de Thomas Sankara.

Sankara est arrivé à la tête de l’alors Haute-Volta en 1983 après un coup d’état qui détrôna l’ancien chef de l’état Jean-Baptiste Ouédraogo. Sankara arriva à la Présidence du Faso avec la ferme intention de mener une « révolution anti-impérialiste » en Afrique et de développer son pays en misant sur la force de travail et l’intégrité des burkinabè. Il sera aidé dans sa mission par Blaise, son ami intime et fidèle compagnon d’armes. Enfin, pas si fidèle que cela, puisque Blaise fomentera son assassinat et le mènera à bien en octobre 1987, avec (au minimum) la bienveillance de la France, présidée alors par François Mitterrand en cohabitation avec Jacques Chirac. Blaise s’emploie alors à « rectifier » la révolution sankariste et à consolider les rênes de son propre pouvoir, notamment en éliminant les chefs révolutionnaires Henri Zongo et Jean-Baptiste Boukary Lingani, accusés de comploter contre le régime, et en étant impliqué dans l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998. Blaise apporte également son soutien à l’ancien président du Libéria Charles Taylor, reconnu coupable de crimes de guerres et crimes contre l'humanité pour avoir alimenté les trafics d’armes et de diamants pendant la guerre civile sierra-léonaise des années 1990 qui fit plusieurs dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés.

Depuis donc ce « jeudi noir » que fut le 15 octobre 1987, jour de l’assassinat de Thomas Sankara, Blaise Compaoré est au pouvoir au pays des hommes intègres. Loin de se lasser de son trône molletonné, il a fait comprendre ces derniers mois qu’il n’entend pas lever de sitôt son séant de son confortable support, bien au contraire. À 63 ans, et après avoir régné plus d’un quart de siècle sur le pays, Blaise Compaoré a annoncé en décembre 2013 vouloir briguer un cinquième mandat. Et cela au plus grand mépris de l’article 37 de la Constitution du Burkina Faso qui stipule que « le Président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct, égal et secret [et qu’]il est rééligible une fois. » Qu’importe la Constitution, répond Blaise déterminé, si elle incommode, il suffit de la modifier ! Par voie parlementaire, ou par voie référendaire ? Blaise Compaoré compte bien faire sauter le verrou constitutionnel pour gagner l’investiture lors des prochaines élections présidentielles qui auront lieu en 2015. Quant à la validité du processus électoral au Burkina Faso, comme dans beaucoup d’autres pays de la sous-région, personne n’est dupe : « ici, les morts et les nouveau-nés apparaissent sur les listes électorales, certains votent même plusieurs fois !», confie un Ouagalais (habitant de Ouagadougou).


Pourtant, depuis quelques semaines, les défections se sont multipliées au sein du parti présidentiel le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès), montrant s’il le fallait que « parti » ne rime pas toujours avec « uni ». Début janvier 2014, plusieurs figures du CDP ont présenté leur démission, sans doute pour respecter quelque bonne résolution de début d’année, mais surtout pour s’opposer à la modification de l’article 37 et leur permettre ainsi de tenter leur chance à la prochaine présidentielle en formant un nouveau parti d’opposition. Parmi les démissionnaires, on trouve pêle-mêle l’ancien chef du parti présidentiel et ancien président de l’Assemblée nationale Roch Marc Christian Kaboré, l’ancien maire de Ouagadougou Simon Compaoré, d’anciens ministres dont Salif Diallo, autrefois très proche et homme de confiance de Blaise Compaoré. Le 18 janvier dernier, la journée de contestation organisée à l’initiative des partis de l’opposition a marqué un soulèvement historique. D’après l’agence Reuters, près de 500000 manifestants ont défilé dans tout le pays, dont 250000 dans les rues de la capitale Ouagadougou. Cette mobilisation massive dépasserait de loin la révolte burkinabè de 2011, une tentative de révolution dans le sillage du « printemps arabe », peu médiatisée à l’international mais qui avait fortement fragilisé et décrédibilisé le gouvernement Compaoré.

Au vu d’une telle mobilisation populaire, beaucoup de burkinabè espèrent un changement politique majeur dans les années à venir, surtout si l’opposition regroupée derrière le chef de file Zéphirin Diabré venait à gagner les élections en 2015. Mais avant de prendre Zéphirin Diabré pour la réincarnation de Sankara sous le seul motif qu’il s’oppose à Blaise Compaoré, il convient de se poser une question : qui est exactement Zéphirin Diabré ? L’ONG française Survie, spécialiste des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines, ne se berce d’aucune illusion et cultive peu d’espoir à l’endroit du bonhomme : « ancien ministre de Blaise Compaoré, [Zéphirin Diabré] a fait une carrière internationale au sein du groupe Castel, puis à la tête d’AREVA Afrique. Libéral bon teint, il ne devrait pourtant pas trop remettre en cause les intérêts français. » Ainsi, de Charybde ou de Scylla, qui sera celui qui jettera les débris du navire Burkina sur les récifs escarpés de la realpolitik France-Afrique ?


Liens : karamareporter.wordpress.com (géopolitique) et karamareporter.mondoblog.org (transition écologique en Afrique)
 
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