Bolivie : le défi historique d’un peuple

Le 12 octobre dernier, le peuple bolivien a été appelé à s’exprimer sur l’avenir du pays andin dans une tournée électorale historique. Pour la troisième fois consécutive, le candidat indigène du Mouvement au Socialisme (MAS), Juan Evo Morales Ayma, a remporté la victoire au premier tour, avec un score de 60%. Le peuple a choisi : la Bolivie continuera son laborieux chemin de changement social, économique, culturel et politique, initié par le gouvernement de Evo Morales en 2006. Il n’est pas question de retour en arrière, vers des années marquées par des injustices et des inégalités croissantes.

Les élections nationales boliviennes de 2005 et de 2009 proclament le triomphe du candidat indigène Evo Morales, ex-syndicaliste et acteur de premier ordre au sein des mouvements sociaux. C’est un tournant sans précédent pour le pauvre pays andin qui, pour la première fois, est gouverné par un président d’origine indigène et de tendance progressiste (socialiste). Le 12 d’octobre 2014, Evo est réélu président de la Bolivie avec 60% des voix, contre 25% à son adversaire principal, le riche industriel Samuel Doria Medina. Mais qu’est-ce qui explique, après près de dix ans de présidence et beaucoup de défis, cet appui constant à l’administration Morales ? Quelles sont les caractéristiques de ce pays ? Et finalement, comment la situation politique et socio-économique a-t-elle évolué depuis l’arrivée au pouvoir du MAS ?

{{{Le contexte historique}}}

Quand on parle de la Bolivie contemporaine, il est impératif de tenir compte de la situation dans laquelle se trouvait le pays avant 2006. Evo Morales hérite de l’un des pays les plus pauvres de l’hémisphère occidental, avec des déficiences immenses du point de vue institutionnel, technique et démocratique. La population indigène, qui compose le pays à 40 % ou à 60 % selon les estimations (62% d’après le recensement de 2001, 40% dans celui de 2012), se trouve écartée de la sphère politique, mais aussi de la vie sociale du pays, depuis pratiquement l’arrivée des colons espagnols au 16ème siècle.

Pour bien comprendre la question indigène bolivienne, il est nécessaire de retourner en arrière dans le temps, en dressant l’évolution de la question indigène en Bolivie.

Dans un premier temps, le système de domination colonial s’est installé par le biais d’un processus d’assujettissement de la population indigène, considérée comme une race inférieure et exploitée jusqu’au bout pour travailler dans les mines. Au 16ème siècle, les mines de Potosi, riches en argent, or et étain, jouaient un rôle d’envergure dans la « première mondialisation », contribuant massivement au commerce de minéraux précieux vers l’Europe (1).

En 1825, arrive l’indépendance du pays de l’Empire espagnol. La Bolivie devient une République fondée sur les principes de liberté et d’égalité. Néanmoins, toutes les nouvelles Républiques latino-américaines, reproduisent le régime racial qui avait été imposé par les régimes coloniaux. L’émancipation des indigènes reste un rêve lointain.

La montée de la bourgeoisie libérale réformiste post-révolution française au milieu du 19ème siècle fut source d’importants changements. Les indigènes devinrent une cible de la stratégie de « citoyennisation » des nouvelles élites, visant à inclure ces populations dans le système fiscal universel. La deuxième motivation de cette politique d’inclusion fut celle de s’emparer des terres des indigènes afin de promouvoir une agriculture commerciale correspondant aux intérêts des grands propriétaires fonciers. En quelque sorte, la nouvelle bourgeoisie « acheta » la voix indigène en lui proposant une redistribution des terres, mais en la privant derrière son dos de ses bases juridiques. Ce fut un succès : l’alliance entre libéraux et indigènes fut établie ; la passivité sociale allait suivre le processus (2).

Il fallut attendre une centaine d’années pour assister au réveil indigène et à la transition vers un nouvel ordre citoyen et social.

La période néolibérale des années 80-90 fut marquée par une austérité sauvage imposée de l’extérieur, suivie par une explosion de l’hyperinflation. Cela contribua au fleurissement de mouvements sociaux (et indigènes). Les acteurs religieux progressistes, acteurs de la doctrine de la théologie de la libération (3), poussèrent l’émergence d’un nouveau type de mouvement indigène en fournissant des dispositifs organisationnels, logistiques et éducationnels (4).

Poussés par cette théologie de la libération, les mouvements sociaux et indigènes s’organisèrent au sein de partis politiques structurés afin de politiser et de renfoncer leurs revendications. C’est à ce moment que l’Etat décida d’accorder des concessions par le biais de réformes multiculturelles (droits collectifs) et par un processus de décentralisation. Par contre, ces concessions ne s’accompagnèrent guère d’une volonté de démocratisation ou de vrai changement de la structure étatique, mais s’inscrivait dans ce que les experts définissent comme le « régime de citoyenneté néolibéral ». Ce régime visait à la prédominance des droits civils et politiques sur les droits économiques et sociaux. Cette prééminence permettait la survie d’un système favorable à l’accumulation de capital par les grandes corporations internationales et l’oligarchie nationale, en dépit des droits accordés aux travailleurs (5).

Un contexte qui, dans les faits, s’avérait en conformité avec la tendance internationale, initiée par la crise du capitalisme keynésien des années 70. Néanmoins, pendant la décennie des années 90, les mouvements indigènes gagnèrent en puissance et, surtout, en confiance en leur propres moyens. De nouveaux espaces d’organisation virent le jour et, avec eux, la formulation de revendications plus radicales et plus profondes : redistribution des richesses, participation politique, nationalisation des secteurs stratégiques, protection de l’environnement.

{{{De la « guerre de l’eau » à l’élection de Evo Morales}}}

En Bolivie, la fin de cette décennie fut marquée par l’éclatement de la « guerre de l’eau », événement-clé de l’histoire du pays et épisode déclencheur de la dynamique sociale et politique qui conduisit à l’élection de Evo Morales en 2006. Tout commença en septembre 1999, quand le président bolivien Hugo Banzer (ex dictateur du pays dans la période des dictatures militaires des années 70-80) signa un contrat avec la multinationale états-unienne Bechtel. L’objectif : privatiser le service de l’eau de la ville de Cochabamba, sous pression de la Banque Mondiale. Les tarifs de l’eau dans la ville grimpèrent de plus de 40%, obligeant les familles les plus pauvres à choisir entre l’eau et d’autres services basiques. C’est ainsi qu’une révolte populaire de grande ampleur envahit les rues de la ville, obligeant, après 4 mois de lutte, la multinationale Bechtel à quitter le pays.

La victoire de la « guerre de l’eau » est à saisir comme une victoire du peuple contre la tyrannie des multinationales. Un exemple pour les peuples du monde entier en lutte contre le néo-colonialisme. Au sein de la « coalition » qui permit cette victoire, les “cocaleros” jouèrent un rôle capital. A leur tête, il y a avait Evo Morales. Une personne pratiquement inconnue mais qui, quelques années plus tard, deviendra l’homme le plus important du pays.

En 2003, l’élan de la mouvance sociale se traduisit dans ladite « guerre du gaz », motivée par la volonté de sauvegarder la souveraineté nationale sur le gaz du sous-sol bolivien. En 1997, le président Gonzalo Sanchez de Lozada, agent bolivien du néolibéralisme international, pensa opportun de brader le gaz du pays aux entreprises privées par un décret gouvernemental sur la propriété des gisements. De surcroît, il décida en 2003 d’accorder le contrôle presque total de la commercialisation du gaz à un ensemble de multinationales, à la tête desquelles se trouvait British Petroleum, déclenchant ainsi la rage du peuple.

En 2005, au moment des nouvelles élections, l’ensemble des mouvements sociaux, protagonistes des événements de 2000 et 2003, assurèrent leur soutien au candidat du Mouvement au Socialisme. Evo Morales promit la refondation de l’Etat par la création d’une Assemblée Constituante, la nationalisation des ressources du pays, la « multinationalisation » de la société bolivienne et une forte politique sociale pour en finir avec les énormes inégalités.

{{{Un peuple dont la conscience politique est exceptionnelle}}}

Ici, en Bolivie, il est possible de vivre quotidiennement les effets d’une effervescence politique constante. Les blocages de routes et les manifestations hebdomadaires, même si elles sont souvent dénoncées de suivre des intérêts sectoriels et égoïstes, expriment cette situation particulière. La population bolivienne s’informe de manière permanente sur les questions politiques du pays, mais aussi sur ce qui se passe au niveau international. Le niveau de politisation et de participation des Boliviens est sans doute au-dessus de la moyenne du reste des pays latino-américains. L’origine de cette exceptionnalité est à considérer dans le contexte des conflits sociaux qui ont secoué le pays après 1999, comme la « guerre de l’eau » et « la guerre du gaz ». (6)

La révolution nationale de 1952 est même symptomatique de l’unicité de la Bolivie dans ce sens-là. Cette révolution représenta un événement sans précédent dans l’histoire de la décolonisation. Il vaudrait mieux parler d’un acte de « dé-néocolonisation » étant donné que les Etats d’Amérique du Sud gagnèrent leur « indépendance » dans la première moitié du 19ème siècle, bien avant les autres pays colonisés d’Afrique et d’Asie. Il est difficile de repérer dans les pays du sud, dans une époque aussi précoce, un cas analogue à celui de la révolution bolivienne de ‘52. Un soulèvement populaire ayant comme but le renversement de l’ordre oligarchique en place, la nationalisation des ressources du pays, l’établissement d’une réforme agraire et d’une démocratie formelle, était un événement rare dans ce moment historique (7). Imaginez que cette révolution fut tellement avant-gardiste qu’elle concéda des droits sur l’eau aux communautés indigènes ! Plus de 50 ans après, ces concessions représentent encore une chimère pour la majorité des populations latino-américaines.

D’un point de vue gramscien (Antonio Gramsci, philosophe marxiste italien, maître penseur des sociétés européennes du 20ème siècle), la Bolivie est sur la bonne voie. Les analyses de Gramsci se préoccupent du rôle des idéologies, du fonctionnement de la mentalité humaine, des sentiments des masses, du conformisme et de la psychologie populaire. Dans ce sens, il envisage le « sentiment commun » en tant qu’entrave pour l’émancipation politique, sociale et culturelle d’un peuple. Le « sentiment commun » se défini comme une conception du monde désagrégée, dogmatique, conservatrice, favorisant la passivité et l’acceptation du statu quo. (8)

Aujourd’hui, la Bolivie – au moins dans sa composante paysanne-indigène –est relativement libérée de cette culture dominante. Depuis l’ère de la grande révolte de Tupac Katari contre l’ordre colonial, en passant par la guerre de libération de Simon Bolivar, cette partie de la population a entamée progressivement un processus de décolonisation mentale apte à forger une vision nouvelle, une société nouvelle. Un processus qui continue à présent. Cela signifie que le « sentiment commun », c’est-à-dire la culture occidentale, globalisante et néocoloniale, a désormais perdu sa place hégémonique au sein de la société bolivienne. Un pas vital vers une émancipation définitive et totale des résidus coloniaux. Quel sera le prochain pas ? La construction d’un sentiment commun différent, fondé sur la solidarité, sur l’unité, sur les valeurs socialistes et anticapitalistes. La Bolivie est sur la bonne voie, mais le chemin est encore long et pas mal piégé.

Dans la pensée de Gramsci, la société civile joue un rôle fondamental. En Bolivie aussi, et il ne pourrait pas en être autrement. Au sein de cette société civile, l’articulation de multiples organisations sociales (culturelles, religieuses, politiques, syndicales etc.) constitue la « base éthique de l’Etat ». C’est à travers cette base que se propagent les valeurs, les normes morales et intellectuelles de l’ensemble social, auxquelles la société politique, l’Etat, devra « se soumettre ». La « guerre de l’eau », suivie de la « guerre du gaz », est un événement caractéristique d’un tel processus. En effet, par le biais de ces luttes, la société civile bolivienne a gagné en conscience politique, en puissance, forgeant les valeurs et les normes incontournables de ce nouveau temps. C’est en embrassant ces nouvelles revendications que le MAS s’est s’assuré la prise historique du pouvoir.

{{{Un gouvernement des mouvements sociaux/indigènes ?}}}

Grâce à ces caractéristiques, le MAS est reconnu aujourd’hui comme étant un gouvernement des mouvements sociaux. Il s’agit de l’un des symboles d’une refondation sociale sans équivalents dans l’hémisphère progressiste latino-américain : une refondation par un « gouvernement des mouvements sociaux » et non pas par un personnage ou un parti. Le parti politique en soi (le MAS) est donc considéré comme un instrument politique au service du peuple. Le parti ne doit pas représenter le peuple, il doit être le peuple. Les mouvements paysans, indigènes, syndicaux, victimes du néolibéralisme, protagonistes des révoltes populaires de 2000 et 2003, maintiennent ainsi un contrôle direct sur la structure du parti et sur les personnes élues. Par ces particularités, le MAS ambitionne de dépasser la logique dichotomique entre le social et le politique. Une logique à la base de l’exclusion de ces mouvements de toute forme de pouvoir et de participation avant l’arrivée au pouvoir de Evo Morales.

Le gouvernement de Morales ne se veut pas seulement comme un gouvernement des mouvements sociaux, mais aussi comme un gouvernement des mouvements indigènes. La nouvelle constitution bolivienne, approuvée par un vote populaire en 2009, est dans ce sens symptomatique de l’ère Morales, établissant les fondements du nouvel Etat plurinational. Un Etat unique, constitué d’une variété de nations, avec un gouvernement de représentation plurinational qui permet à toutes les collectivités de jouir et d’exercer leurs droits. La constitution a impulsé une dynamique d’autonomisation des peuples indigènes et a permis notamment la décentralisation administrative, ouvrant des espaces d’auto-organisation et d’autonomie. (9)

Cependant, ces nouveaux traits caractéristiques de l’Etat plurinational en Bolivie ne sont pas exempts d’ambiguïtés. Dans les zones d’exploitation minière à l’ouest du pays par exemple, la contamination des eaux, de la terre et la dépossession de certaines communautés par les entreprises transnationales ont contribué à faire resurgir un conflit social entre les autorités et ces communautés. Il faut donc constater l’existence de tensions dialectiques permanentes : d’un côté la volonté de répondre aux revendications indigènes et communautaires et de l’autre la volonté d’industrialisation, d’accumulation de capital primaire nécessaire pour les investissements publics dans le social.

Ces difficultés actuelles, selon le vice-président bolivien Alvaro Garcia Linera, révèlent des tensions qui sont propres à chaque processus de transformation sociale. Ce sont « des tensions créatives au sein de la révolution ».10 Dans un texte publié dans Le Monde Diplomatique, le vice-président identifie quatre tensions créatives « qui ont surgi au sein du bloc national-populaire entre les différentes classes qui conduisent le processus de changement, à propos des modalités de son pilotage ».Selon Garcia Linera, ces tensions sont inhérentes au « processus révolutionnaire bolivien » et «d’un côté, elles en menacent la poursuite ; de l’autre, elles permettent d’imaginer les moyens de passer à l’étape ultérieure ».La tension principale envisagée par Garcia Linera concerne justement la dialectique entre l’Etat et les mouvements sociaux (et également indigènes). Cela peut sans doute s’expliquer par des attentes populaires très hautes, des menaces et des défis internes et externes toujours actuels. De plus, la nature même d’un « gouvernement des mouvements sociaux » implique des controverses naturelles : « : concentration et décentralisation des décisions ; monopolisation et socialisation des actions exécutives ; rapidité des résultats et lenteur des délibérations ». Quelle recette pour une telle problématique ? Selon le vice-président, pour dépasser cette contradiction, le premier pas sera la démocratisation et puis l’appropriation par la société du processus juridique d’arbitrage. Il faut pousser une avant-garde garante de l’intérêt commun. Dans un premier temps, l’objet devrait être la réduction des inégalités par une redistribution des richesses. La deuxième étape, constituerait la transformation progressive du peuple en instance collective. (11)

{{{La Bolivie aujourd’hui}}}

Mais finalement, comment la situation politique et socio-économique a-t-elle changé depuis l’arrivée au pouvoir du MAS ?

En premier lieu, il faut souligner comment Morales a réussi à freiner – sans pour autant l’annihiler -l’avancée inexorable de la vague néolibérale dans son pays. L’affaiblissement du rôle de l’Etat et la conséquente réduction des dépenses publiques, les privatisations (des entreprises publiques mais surtout des ressources naturelles), la flexibilisation du marché du travail, l’austérité… tous ces traits typiques d’une politique économique néolibérale ont été « neutralisés » par le gouvernement du MAS. Au cours de sa présidence, Evo Morales a nationalisé depuis 2006 plus d’une vingtaine d’entreprises dans des secteurs stratégiques : hydrocarbures, pétrole, électricité, aéroports… Ces opérations ont clairement permis au gouvernement d’augmenter ses revenus, investis par la suite dans d’importants programmes sociaux. Mais ce n’est pas suffisant. Le travail de « dé-néolibéralisation » est loin d’être achevé. De nombreuses (trop nombreuses !) entreprises multinationales sont encore présentes sur le sol bolivien, notamment dans l’exploitation minière et dans l’agro-industrie. La nationalisation est un processus délicat, plus encore dans un pays caractérisé par une situation économique aussi fragile et aussi peu diversifiée comme la Bolivie. Et c’est justement cette « non-diversification » du système économique bolivien, centré presque exclusivement sur l’exportation d’hydrocarbures qui représente aujourd’hui une réalité inconfortable. L’incertitude qui règne aujourd’hui au sein du marché international des matières premières devrait être prise comme une sonnette d’alarme par le gouvernement.

Les améliorations et les progrès en termes sociaux sont indéniables. Selon des sources gouvernementales, reconnues par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la pauvreté extrême a chuté de 24,3% à 12,2% dans les villes et de 62,9% à 40,9% dans les campagnes entre 2005 et 2012. Selon le PNUD, la Bolivie est le pays de la région latino-américaine qui a enregistré la plus importante réduction de la pauvreté. Une telle amélioration a été rendue possible par les politiques publiques du gouvernement Morales touchant les thèmes de la sécurité sociale et la volonté de permettre à tout le monde de vivre un vie digne. Il faut citer, entre autres, le programme « Renta Dignidad » (« Dignité de Revenu) qui garantit un revenu aux personnes âgées de plus de 60 ans ne bénéficiant pas d’une pension ; le programme « Bono Juancito » qui lutte contre l’analphabétisme et a permis la réduction drastique de ce dernier ; ou encore le programme « Juana Azurduy » dont l’objectif est de réduire la mortalité maternelle et infantile ainsi que la dénutrition chronique des enfants de moins de deux ans.

L’Index de Gini aussi, instrument pour calculer statistiquement le degré d’inégalité dans un pays, a connu une évolution importante, enregistrant une réduction de 3,5% entre 2008 et 2012.

Le salaire minimum a connu une ascension incroyable depuis l’arrivée au pouvoir de Morales en 2006. En 2005, le salaire minimum national était de l’ordre de 440 bolivianos (environ 50 euros), il s’élève à 1’488 bolivianos (170 euros) en 2014. Une montée qui a permis une amélioration considérable des conditions de vie de la population la plus vulnérable, en plus d’une dynamisation de la mobilité sociale.

Pour conclure, il faut noter aussi la capacité de l’administration bolivienne à consolider l’économie du pays durant les dernières décennies, au bénéfice des plus fragiles. Le cauchemar de l’hyperinflation des années 80 est, aujourd’hui, éliminé. Comme l’explique Stefanoni, « au cours de ces sept dernières années, Evo Morales a expérimenté beaucoup de choses – surtout en ce qui concerne la conception institutionnelle du pays – mais il ne s’est jamais écarté d’une politique macroéconomique attentive à l’équilibre budgétaire».

{{{Conclusion}}}

Il faut être franc. La Bolivie est encore loin d’avoir éliminé la pauvreté extrême qui frappe les communautés indigènes, rurales et les quartiers urbains, alimentés par l’exode rural. La Bolivie est encore loin d’avoir surmonté sa vulnérabilité sociale, qui fait que réduction de pauvreté ne rime pas toujours avec ascension de classe. La Bolivie est encore loin, en dépit parfois des paroles de ses dirigeants, d’avoir instauré une société socialiste et d’avoir effacé du pays tout résidu néo-libéral. La Bolivie est encore loin d’être un pays intégralement indépendant, étant donné que la majorité des investissements directs nécessitent des crédits étrangers. La Bolivie est encore loin d’avoir éliminé la corruption, commun dénominateur de la grande majorité des pays du soi-disant « Tiers-Monde ».

Oui, en décembre 2013, McDonalds a été chassé du pays, mais Burger King est toujours là, Monsanto aussi et Coca-Cola continue à être la boisson préférée des Boliviens.

Mais d’autre part, comment pourrait-il en être autrement ? En 2006, Evo héritait de l’un des pays où les recettes néo-libérales, préparées par les deux grands chefs, le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, avaient été appliquées avec le plus de rigueur. La désindustrialisation du pays était totale, l’emprise des multinationales sur les riches ressources du sous-sol aussi. La corruption atteignait des niveaux stratosphériques, la pauvreté et la marginalisation sociale constituaient la norme. Le PIB était de l’ordre de 8 milliards de dollars, avec un PIB de 900 dollars par tête d’habitant (contre 3’095 dollars aujourd’hui !). Même si le PIB ne devrait pas être considéré comme un instrument légitime de mesure de la richesse d’un pays, il reste intéressant de le comparer au cours d’une période donnée. 38% de la population vivait dans la pauvreté extrême, c’est-à-dire avec moins d’un dollar par jour. (12) L’espérance de vie atteignait les 63 ans… Comment relever le pays d’une telle situation ? Une seule possibilité : par un processus inclusif, participatif, émancipateur, redistributif et démocratique.

Le processus de changement bolivien est et sera long, difficile, semé d’embûches à la fois externes et internes. Cela reste un processus fondamental pour l’avenir de la Bolivie et de son peuple, mais pas seulement. L’avenir du continent, du réveil latino-américain et du processus d’intégration économique et politique dépend aussi des réussites de chacun. Dans ce mouvement, sans aucun doute, le cas bolivien représente l’un des cas les plus intéressants. Sans oublier que la Bolivie joue un rôle moteur au sein du « bloc progressiste latino-américain», tout comme le Venezuela, le Nicaragua, Cuba et l’Equateur. Un bloc qui participe activement à la dynamique de « multilatéralisation » des relations internationales et qui contraste avec l’unipolarité et l’exceptionnalisme du bloc occidental guidé par les Etats-Unis. Mais surtout, un bloc qui a très envie de se libérer des dernières chaînes de l’impérialisme, toujours à l’avant-garde et toujours aussi gourmand, notamment dans ces temps de vaches maigres. La crise de 2007/2008 a accéléré le déclin du système économique néolibéral et, par conséquent, de l’ordre unipolaire. Les crises du capitalisme se traduisent, comme l’histoire nous l’enseigne et nous le démontre aujourd’hui, par une intensification de l’agressivité impérialiste. Les événements contemporains en Ukraine et au Moyen-Orient (sans oublier l’Afrique et l’Asie) devraient servir de leçon. Le succès de l’action impérialiste est [pour le système capitaliste] une question qui relève de la survie. C’est dans un tel contexte que les formes de résistance latino-américaines, dont la bolivienne, assument une importance tout simplement vitale pour la liberté des peuples contre le néo-colonialisme. J’espère, de tout cœur, que la Bolivie de Evo Morales sera en mesure d’avancer vers cet avenir.

{{{Références}}}

ABI, « Aumento del salario mínimo entre 2006 y 2012 casi triplica inflación acumulada en ese periodo», La Razón, 28 mars 2013.

GARCIA LINERA, Alvaro, « Bolivie, les quatre contradictions de notre révolution », Le Monde Diplomatique, 2011.

GARCIA LINERA, Alvaro, « Las tensiones creativas de la revolución », La Paz, La Razón, 2012.

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or post-development?», in Cultural Studies, 24(1), 2010, pp1-65.

YASHAR, Deborah, « Democracy, Indigenous Movements, and the Postliberal Challenge in Latin
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TORO, Edgar, « Acuerdo permite subir el salario mínimo de Bs 1.200 a Bs 1.440 », La Razón, 22 avril 2014.

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MARQUES-PEREIRA, Bérengère et GARIBAY, David, La politique en Amérique latine : Histoires, institutions et citoyennetés, Armand Colin, 2011.

MUNOZ CHAVEZ, Javier y ROSALES RIVERA, Claudia, «Las guerras del agua y del gas como plataformas de la Asamblea Constituyente en Bolivia. La defensa de los recursos naturales como catalizador de la transformación social », Institución de Investigación y Debate sobre la Gobernanza, 2007.

FILIPPINI, Michele, Gramsci globale. Guida pratica agli usi di Gramsci nel mondo, Bologna, Odoya, 2011.

STEFANONI, Pablo, « Sept années de gouvernement d’Evo Morales. La nouvelle configuration politique en Bolivie », Alencontre, 2013.

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BENICHOU, Sarah, « Antonio Gramsci, l’hégémonie comme stratégie », Que faire ?, N.9, Octobre 2008.

Source: Investig’Action

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