« Bienvenue en Palestine » : un bien triste accueil

Le 8 juillet 2011, 40 ressortissants belges ont été retenus en Israël à l’aéroport de Tel-Aviv Ben Gourion. Partis dans le cadre de la mission internationale « Bienvenue en Palestine », ils ont été placés en centre de détention où ils se sont fait torturer par les forces de sécurité israéliennes. Deux des participants ont porté plainte pour crimes de guerre contre Israël auprès du parquet fédéral belge. C’est dans l’immense salle des pas perdus de l’ancien Palais de Justice de Bruxelles que leur avocat, Me Sébastien Courtoy, nous a reçus. Dans un ton ferme et révolté, il dénonce les conditions dans lesquelles étaient ses clients et pointe du doigt l’inertie de nos politiques.

 

« Monsieur Netanyahou, nous ne sommes pas très contents que vous ayez torturé nos citoyens », ça on n’ose pas le dire !

 

Qu’ont subi vos clients durant  ce périple en Israël ?
Ils étaient invités par des associations culturelles se situant dans les territoires palestiniens. Quand ils sont arrivés à l’aéroport de Tel-Aviv Ben Gourion, les forces de sécurité israéliennes les ont arrêtés étant donné qu’ils comptaient aller en Palestine. Ils ont alors été emmenés dans des salles d’interrogatoire où les femmes se sont fait insulter et violemment interroger. Quant aux hommes, ils se faisaient passer à tabac et asperger violemment à la lance à eau. Les forces de sécurité israéliennes filmaient les membres de la mission. L’objectif était de créer un média-mensonge en tronquant des images de militants répondant aux agressions. 
Sous un soleil caniculaire, les soldats ont entassé les activistes à quarante dans des fourgons à bestiaux  qui étaient délibérément dépourvus de moyens d’aération. Il devait y faire 60°. De temps en temps, les soldats les intimidaient avec leurs kalachnikovs. Les Israéliens leur faisaient comprendre que s’ils ne coopéraient pas, ils allaient y passer. Dois-je vous rappeler qu’avant l’opération « Bienvenue en Palestine », l’opération « flottille pour Gaza » avait effectivement tué plus de neuf personnes ?
Parmi les bénévoles, des personnes d’un certain âge commençaient à se sentir mal. Elles ont réclamé un médecin qui n’est jamais venu. Les participants ont été envoyés en prison sans eau potable, sans nourriture. Faites le test, si vous ne buvez pas pendant trois jours sous un soleil de plomb, vous mourrez ! Les soldats leur faisaient subir ce genre de tortures en leur criant : « Bienvenue en Israël ! »

Vous attaquez l’Etat d’Israël…
J’ai été amené à défendre beaucoup de personnes accusées d’antisémitisme, d’incitation à la haine raciale envers la communauté juive. Il y a 20 ans, on aurait perdu tous ces procès car ils auraient été politiques par définition et donc ingagnables. Mais tous ceux que j’ai menés ont été gagnés, tous ! Cela prouve que la magistrature belge est impartiale.
 Evidemment, on prend quelques coups quand on mène ce genre d’affaires. Il n’y a pas beaucoup d’avocats qui osent y aller. Les membres de « Bienvenue en Palestine » se sont donc tournés vers moi. Ils n’attaquent pas l’Etat d’Israël en tant que tel, mais plutôt certains responsables politiques : le premier ministre Benjamin Netanyahou, les ministres israéliens de l'Intérieur et de la Défense, Eli Yishaï et Ehud Barak, ainsi que le commandant suprême des forces armées, Gabi Ashkenazi.

Vos plaintes ont-elles une chance d’aboutir ?
Il existe en Belgique, une loi sur la compétence universelle. Celle-ci poursuit les auteurs de crimes, quel que soit le lieu où il a été commis, et sans considération de la nationalité des auteurs ou des victimes. Evidemment, en pratique, cette compétence universelle n’est applicable qu’à certains égards. Les instances européennes justifient les pressions sur la Syrie. Mais lorsque c’est l’Etat d’Israël, on ne peut pas toucher.
N’étant pas un garçon intelligent, je ne fais qu’appliquer ce que mes enseignants m’ont appris à l’université. Ils m’ont enseigné que la règle de droit est générale et abstraite. Générale, car elle s’applique à tout le monde. Abstraite, car on ne tient pas compte des caractéristiques des uns ou des autres. Le droit s’applique à tous de la même façon.
Au niveau juridique, nous avons tous les outils pour poursuivre les responsables israéliens. L’article 10 du Code d’instruction criminelle nous permet d’établir une procédure contre eux. Dans ce cas-ci, un article du Code pénal a été violé : l’article 136 pour crime de guerre. Maintenant la question est de savoir si on a le courage de prendre en charge une telle plainte.
 Il faudra trouver un magistrat courageux qui prendra notre plainte en considération. Et quand ce sera fait, on voudrait obtenir un mandat d’arrêt. A part Benjamin Netanyahou qui bénéficie d’une immunité de poursuite, tous les prévenus pourront être jugés dès qu’ils sortiront des frontières israéliennes. Ils pourraient être extradés vers la Belgique.

Les politiques belges sont-ils montés au créneau ?
Nos politiques ont fait preuve de lâcheté car ils ne se sont pas souciés du sort de certains de nos concitoyens. Yves Leterme, qui était notre Premier ministre, n’a pas rappelé son ambassadeur, n’est pas allé sur  place et n’a pas fait part de son plus vif mécontentement. Qu’a-t-il fait? Il est allé sur place et a mangé dans la main de Netanyahou.

Comment pouvez-vous expliquer l’inertie de nos politiques face à cette affaire ?
Lorsque c’est un Africain, on le traîne ici au tribunal pour le mettre en prison. Mais quand c’est un Israélien, on lui serre la pince et on se tait dans toutes les langues. Dans l’imaginaire collectif occidental façonné par les médias, j’ai toujours entendu que Kadhafi martyrisait son peuple et qu’on pouvait l’emprisonner. On travaille l’opinion et ces hommes-là, on peut aller les chercher.
Par exemple, pourquoi la Belgique fait-elle la guerre en Afghanistan ? Les Afghans ne nous ont rien fait, mais on trouve cela tout à fait normal. Par contre, quand il s’agit de dire : « Monsieur Netanyahou, nous ne sommes pas très contents que vous ayez torturé nos citoyens », ça on n’ose pas le dire ! Si les gens ne sont pas traités de la même manière, c’est que la Belgique a un intérêt à ne pas les traiter de la même façon. Israël a comme soutien inconditionnel les Etats-Unis. Et nous, nous ne sommes qu’un tout petit pays, on n’ose pas lever le petit doigt car ils dirigent le monde. Mais alors, foutons la paix à tout le monde et abrogeons une bonne fois pour toute la loi sur la compétence universelle ! Si on est lâche, on est lâche jusqu’au bout. Si on est courageux, on l’est jusqu’au bout. Mais on ne peut pas être courageux avec les faibles et lâche avec les puissants.

Vos affaires vous amènent-elles des menaces ?   
J’ai été amené à défendre beaucoup de personnes qui étaient accusées d’antisémitisme et de négationnisme. J’ai été taxé d’antisémite par certains, j’ai même été menacé de mort. On a essayé de déposer des plaintes afin que je sois rayé de mon ordre d’avocat. Ce sont les risques du métier !


Une nouvelle mission « Bienvenue en Palestine » est annoncée en avril. Mais vos clients ont été interdits de séjour en Israël pour une durée de dix ans…

En Israël, ils n’ont jamais eu droit à l’assistance d’un avocat ce qui est d’ailleurs en violation de toutes les conventions internationales notamment la convention de Genève. Mais on sait bien que les Israéliens ne respectent guère le droit international. Le jugement qui leur interdit de séjourner en Israël n’est donc pas valide car il viole des conventions internationales. Néanmoins, mes clients se sont quand même informés auprès de l’ambassade quant à cette « interdiction de territoire ». Ils ne le sont pas. Lorsqu’ils reviendront en Israël, ils auront droit cette fois-ci à un procès équitable. On dit qu’Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient. Qu’il nous le prouve !


Propos recueillis par Mouâd Salhi pour Investig'Action investigaction.net

Dessin: Carlos Latuff

 

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