Baptême du sang: images de l’au-delà

Gaza ne fait déjà plus la une des journaux occidentaux. C’est déjà du passé, déjà un vieux massacre, juste un de plus, qui vient se dissoudre dans l’indifférence humaine. Après tout, la presse occidentale, l’establishment occidental et même l’opinion populaire occidentale ont souvent approuvé – voire défendu – de bien pires atrocités. Dans la plupart des pays arabes aussi, les autorités et les pouvoirs s’empressent d’oublier, de minimiser, d’enterrer une fois de plus les souffrances des Palestiniens, pour préserver le jeu politique, aussi bien national que diplomatique.
26 janvier 2009

Aujourd’hui, la réalité des Palestiniens, qui ont subi des violences innommables, ne suscite pas plus d’intérêt que celle des personnes vivant en Irak, en Afghanistan, en Somalie, au Kurdistan, en Tchétchénie, en Colombie, au Sri Lanka, en Birmanie, au Congo ou dans n’importe quelle contrée du bout du monde où les machines du pouvoir font couler le sang et terrorisent les populations. (Cette géographie des souffrances inclut d’ailleurs la sainte patrie, qui, par exemple, tient en cage plus de deux millions de personnes, dont la plupart ont commis le crime de momentanément perdre la raison en cherchant à fuir le monde de souffrance engendré par le pouvoir.)

Qu’importent les hommes, les femmes et les enfants de Gaza à ces boutiquiers et à ces timoniers du pouvoir? Pourquoi parler de Gaza – où les Israéliens ont cessé les assauts continuels et impitoyables qu’ils menaient contre les civils au moment précis de l’investiture officielle de Barack Obama – alors que cette incarnation montante de l’espoir ne fait qu’assumer son rôle de chef de la “guerre contre le terrorisme” en faisant couler le sang ?

Déjà, Obama a ordonné ses premières attaques de missiles tirés par des drones, avec pour cible le territoire souverain du Pakistan, un allié américain; déjà, il a abattu ses premiers civils au moyen d’armes de tuerie massive télécommandées.

Et ce n’est pas tout. Le commandant en chef a tôt fait de superviser son premier massacre massif de civils en Afghanistan, pays qu’il qualifie de “front central”. Il prévoit d’y envoyer des dizaines de milliers de soldats supplémentaires, dans un mouvement d’intensification d’une guerre contre le terrorisme, qui, selon son nouvel envoyé spécial, sera plus longue que la guerre du Vietnam. Comme le rapporte MSNBC, personne d’autre que Hamid Karzai, le président afghan pourtant porté au pouvoir par les Etats-Unis, n’a condamné les attaques aériennes et terrestres menées samedi, qui ont fait 16 victimes civiles afghanes, dont trois enfants et deux femmes. Il va sans dire qu’en cas d’escalade du conflit, le bilan sera autrement plus lourd. Quoi qu’il en soit, les protestations du président ne vont pas réchauffer l’atmosphère qui règne entre Kaboul et le nouveau régime de Washington; il est l’homme d’hier, la marionnette désuète, et ses dénonciations de plus en plus directes des massacres perpétrés contre son peuple par les Américains et l’OTAN ne vont plus être tolérées bien longtemps. Obama et son équipe manipulent déjà la politique du pays occupé, afin de garantir qu’un “ticket de rêve” composé de politiciens redevables au nouveau président, et non à Bush, “ravira le contrôle à M. Karzai”, commente l’Independant.

Et pourquoi pas? D’ailleurs, le nouveau César ne devrait-il pas simplement avoir le droit, pour gouverner ses dominions, de désigner ses propres hommes?

On peut aussi ajouter dans l’escarcelle du nouveau règne guerrier les 3 Américains et les 75 Irakiens tués dans la province babylonienne de l’empire depuis qu’Obama a accédé au trône. Une fois de plus, les dérapages commis en Irak sont tombés dans l’oubli, gommés par Obama lui-même. Il y des mois, celui-ci déclarait être entièrement d’accord avec Bush, lequel estimait que l’augmentation massive de troupes en Irak [le “surge”, renfort de 30 000 hommes, en 2007, NDLT] avait été “un succès au-delà de toutes nos espérances”.

Une fois encore, que pèse Gaza face à un événement d’une telle importance: le nouvel Imperator (mot qui, à l’origine, signifiait “commandant”) sortant du Temple de Mars, la face rougie du sang des saints sacrifices? Pourquoi donc les gens sérieux voudraient-ils s’encombrer de la souffrance d’anonymes sans importance, de moins que rien vivant au fin fond de nulle part ?

Hélas, nous ne sommes pas sérieux, nous ne l’avons jamais été. Et, aussi délirants, pervertis et futiles que nous soyons, nous continuons à regarder les visages de Gaza, les vivants et les morts, qui hantent les ruines.

Samedi – précisément le jour où Obama faisait son baptême du sang en Afghanistan –, le Guardian a relaté une histoire poignante, illustration du nombre terrifiant d’enfants victimes de la guerre à Gaza. Plusieurs photos étaient également publiées, accompagnées de brèves histoires, dont celle d’Amal Abed Rabbo, 2 ans (photo ci-dessus).

Sur son site internet, le Guardian n’a pas publié la légende dans son intégralité. Je l’ai donc reprise de l’édition papier: Amal Abed Rabbo, deux ans, a été tuée par balle le 7 janvier par des soldats israéliens devant la maison familiale, un bâtiment de quatre étages situé dans le village d’Izbit Abed Rabbo, à l’est de Gaza. Peu après midi, des soldats montés sur un tank israélien ont ordonné à la famille de sortir de la maison, a raconté Khalid, 30 ans, le père de la fillette. Des coups ont été tirés depuis le tank; Amal et sa soeur Souad, sept ans, ont été tuées sur le coup. Leur sœur, Samer, quatre ans, a été grièvement blessée. Atteinte de paralysie, elle est soignée en Belgique. Ensuite, les soldats ont détruit la maison. Lorsqu’elle a été abattue, Amal tenait son ours brun, qu’on pouvait voir hier encore parmi les ruines. Khalid, qui avait été policier sous l’autorité d’avant le Hamas, s’insurge: “Israël sait très bien que personne dans cet immeuble n’a appartenu au Hamas. Je veux que l’armée d’Israël me dise pourquoi ils ont tué mes filles. Qu’ont-elles fait?”

D’autres images des souffrances endurées par la population de Gaza ont été publiées non seulement dans le Guardian, mais aussi sur le site d’As’ad AbuKhalil, l’Arabe en colère.

Bien sûr, ce n’est pas grave. Ca arrive. Pourquoi se gâcher la vie avec ce genre de choses ?

Laissons-nous plutôt envoûter par l’éclat des “100 premières heures” d’Obama, lui qui a d’ores et déjà révolutionné la politique américaine en restreignant le recours aux techniques de torture approuvées par le Pentagone. Même s’il est vrai que le chef suprême du renseignement, Dennis Blair, qu’il a lui-même nommé, refuse de dire si le “waterboarding” [technique de torture par l’eau, NDLT] devrait être considéré comme de la torture, et promet au Congrès d’examiner “si certaines techniques coercitives se sont avérées efficaces”; en d’autres termes, quelles techniques de torture seront maintenues.

Applaudissons cet Obama intrépide qui a ordonné la fermeture (éventuelle) du camp de Guantanamo et d’une poignée de centres de détention de la CIA. Même s’il n’a pas touché, loin s’en faut, aux bien plus nombreux et bien plus sinistres goulags du Pentagone, où des milliers de prisonniers de la guerre contre le terrorisme croupissent sans qu’ait été prononcée contre eux la moindre accusation, sans qu’ils puissent bénéficier de la moindre défense, ni recourir à la moindre voie de droit.

Enfin, saluons l’engagement que le nouveau président a pris – et qui nous redonne confiance –, de défendre devant la justice les multiples violations de la liberté commises par Bush, à savoir le système de surveillance qu’Obama a soutenu alors qu’il siégeait au Sénat et qui a fonctionné de manière illégale pendant des années.

Qu’importe, en regard de ces exploits, le corps sans vie de la petite Amal, tuée dans une intervention dont Obama plaide qu’elle était un acte d’autodéfense ? Paix à son âme, n’en parlons plus et oublions Gaza. Ne nous embarrassons pas de souvenirs trop lourds et laissons-nous porter par le courant froid de notre époque.

Traduit par Chloé Meier pour Investig’Action

Source : http://www.chris-floyd.com/component/content/article/3/1688-first-blood-pictures-from-lifes-other-side.html

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