Bahreïn : l’empire contre-attaque

Sous les réformes annoncées, la répression est à l’œuvre et c’est l’Arabie saoudite qui est à la manœuvre.

 

Enfin ! Enfin, le pont-digue reliant Bahreïn à la terre ferme sert à ce pourquoi il a véritablement été conçu : rétablir l’ordre dans le petit royaume grâce aux troupes du grand royaume voisin. Lorsque le contrat a été signé en juillet 1981, c’est déjà ce qu’on disait. Lorsque le pont-digue a été inauguré en décembre 1986, on le susurrait encore : la raison d’être de cet ouvrage d’un milliard de dollars, entièrement financé par l’Arabie Saoudite et construit par un consortium dirigé par le groupe néerlandais Ballast Nedam est de pouvoir dépêcher en quelques heures des unités de la garde nationale saoudienne dans l’émirat voisin (ce n’était pas encore un royaume) afin d’y mater tout début d’insurrection chiite.

 

Lors de l’intifada de 1994-1995, on a parfois évoqué la présence de telles unités, mais cela ne s’est pas (du moins à ma connaissance) vérifié. Ces derniers jours, alors que les souks de Manama bruissaient de rumeurs d’envoi de forces saoudiennes dans l’île rebelle, les milieux officiels consentaient à évoquer la présence d’experts saoudiens. Mais aujourd’hui, c’est officiel : telles les armées du Pacte de Varsovie envahissant en août 1968 la Tchécoslovaquie pour mettre fin au Printemps de Prague au nom de la fraternelle solidarité du camp socialiste face aux menées contre-révolutionnaires encouragées par les impérialistes, on voit aujourd’hui les forces d’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis –à l’heure où j’écris ces lignes, il n’est pas question du Koweït ni du Qatar– traverser les 25 kilomètres de bras de mer séparant Bahreïn de la terre ferme pour mettre en œuvre la « doctrine Abdallah de souveraineté limitée » au sein des monarchies du Golfe.

 

La veille, le roi de Bahreïn, cheikh Hamad Ben Issa Al Khalifa, et son fils Salman, le prince héritier, parlaient de dialogue et de réconciliation. À l’heure où ces généreuses paroles d’espoir étaient prononcées, ils ne pouvaient ignorer l’invasion qui se préparait. De deux choses l’une : ou bien la venue de ces troupes des pays « frères » du Conseil de coopération du Golfe s’est faite à leur demande, et la duplicité dont ils ont fait preuve laissera des traces profondes à Bahreïn, ou bien ils ont été placés devant le fait accompli, un diktat comparable à celui subi par Dubcek lorsqu’il fut sommé de s’expliquer  à Moscou devant Leonid Brejnev, et cela n’augure rien de bon non plus pour les réformes politiques à Bahreïn et la capacité de ses dirigeants à reprendre l’initiative.

 

La balance est inégale et, dans un premier temps du moins, la force prévaudra. Le prince Nayef, chef de toutes les polices d’Arabie (et désormais de Bahreïn) pourra dire : « l’ordre règne à Manama ». Mais les apparences sont trompeuses. Car la société bahreïnie est habituée à la répression. La structure villageoise et rurale de ce micro-pays en font un territoire impossible à contrôler complètement. À peine a-t-on plaqué un couvercle sur un village en ébullition que c’est le village voisin qui reprend le flambeau. Les forces saoudiennes ne sont pas rompues aux techniques de maintien de l’ordre en gardant le sens de la mesure. Sans aucun doute, il y aura des morts, le meilleur carburant de toute insurrection, spécialement dans le monde chiite, prompt à célébrer les martyrs pour nourrir un désir de revanche inassouvi. La tension va monter dans la perspective du 27 mars, l’arbaïn (quarantième jour de la mort ) des premiers martyrs du printemps de Manama. Et par un intéressant phénomène de vases communicants, si les forces de répression peuvent traverser le pont d’ouest en est, les idées subversives peuvent faire le chemin inverse et gagner la communauté chiite concentrée dans la province orientale de l’Arabie.

 

C’est un bien dangereux cadeau que viennent d’offrir les pays du Conseil de coopération du Golfe à la monarchie bahreïnie. Mais les Saoudiens, qui sont à la manœuvre, ne sont absolument pas prémunis contre l’effet boomerang de cette désolante initiative.

 

Source: Le blog d'Olivier Da Lage

 

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