BHV – burqa, même combat

Mercredi 21 avril 2010, toute la planète médiatique s’était donné rendez-vous en Belgique, plus précisément à la Chambre des représentants où siègent les députés. Au menu : l’interdiction du voile intégral dans tous les lieux publics, qui aurait dû y être votée à l’unanimité, tous les partis s’étant prononcés pour. Ce vote aurait dû faire de la Belgique le premier État européen à légiférer sur la « burqa », ce qui valait à coup sûr le déplacement. Mais ce vote n’eut pas lieu. Car le jour même, un parti de la majorité, l’Open VLD (libéraux flamands), retira sa confiance au gouvernement de coalition dirigé par le social-chrétien Yves Leterme qui du coup perdait sa majorité dans le groupe linguistique néerlandophone (vous suivez ?). La crise qui s’ouvrait renvoya le vote sur la « burqa » à plus tard. Les journalistes venus couvrir l’événement furent obligés de se reconvertir sur le tas pour comprendre les raisons de la chute du gouvernement . Ces raisons tiennent en trois lettres : BHV.


Non, ce n’est pas le Bazar de l’Hôtel de Ville. En Belgique, BHV = Bruxelles-Hal-Vilvorde. Un triangle de villes qui désignent un arrondissement électoral. Celui-ci englobe en même temps la région bilingue de Bruxelles-capitale et une partie de l’ancien Brabant qui est unilingue flamande, à la réserve près qu’on y trouve six communes à statut spécial, limitrophes de Bruxelles et où les francophones sont en majorité. (Vous suivez toujours ? Sinon faites-moi signe.)

 

L’existence de cet arrondissement est une anomalie constitutionnelle et il est plus ou moins acquis qu’il devra être scindé pour se conformer à la logique du fédéralisme territorial. Mais cette scission, qui aura notamment pour effet d’empêcher les francophones d’Hal-Vilvorde de mêler leurs votes à ceux des francophones bruxellois, nécessitera une contrepartie. Laquelle ? C’est là-dessus que les partis du Nord et du Sud s’étripent depuis des années, et c’est là-dessus que le gouvernement vient de tomber et que de nouvelles élections fédérales sont annoncées pour le mois prochain (13 ou 20 juin).

 

Il y a pourtant un point commun entre la « burqa » et BHV. La « burqa », en Belgique, tout le monde s’en tamponne. Ça ne fait même pas débat. Il y a bien des tensions aiguës autour du « simple » voile islamique entre des courants fascinés par le modèle français radicalement éradicateur et d’autres plus soucieux, dans la tradition belge qui n’est pas assimilationniste, d’organiser une coexistence respectueuse du droit des minorités. Mais tous se sont réconciliés pour promouvoir au pas de charge l’interdiction de la « burqa », les uns pour confirmer leur leadership dans la lutte résolue contre l’« islam réac », les autres pour se dédouaner d’une accusation de faiblesse dans un climat pourri où l’islam et les musulmans font l’objet d’une suspicion qui devient vraiment pesante. BHV, c’est pareil.

 

À part dans quelques villages de la deuxième couronne autour de Bruxelles où des bourgmestres flamands en ont fait l’affaire de leur vie, l’immense majorité de la population des trois Régions s’en contrefiche de BHV. Une solution serait trouvée à cet imbroglio institutionnel que ça ne changerait rien au quotidien de 99% des habitants du pays. Le temps et l’énergie consacrés à traiter de ce qui n’aurait dû être qu’une question technique mineure, son importance démesurée dans l’agenda au détriment des « vrais problèmes » relégués à l’arrière-plan sont pour beaucoup dans le discrédit général du monde politique, tous acteurs confondus. Ceux-ci l’admettent d’ailleurs volontiers : c’est malheureux de perdre son temps à de telles vétilles. Mais chacun ajoute : si l’autre communauté n’avait pas des exigences insupportables, l’affaire serait déjà réglée depuis longtemps.

 

Et le cirque est ainsi perpétuellement relancé… Bref, dans le cas de BHV comme pour le voile intégral, deux « problèmes » ont été montés en épingle par le système politico-médiatique et se sont auto-alimentés en boucle, entraînant le personnel politique dans une folle surenchère. Dans un premier temps, il fallait convaincre l’opinion publique qu’il s’agissait là de questions primordiales pour pouvoir, dans un second temps, feindre de se mettre à l’écoute de l’opinion induite. Mais personne n’est dupe. Si chacun soutient bien sa propre équipe de façon pavlovienne, qui peut affirmer avoir compris l’enjeu du match ou même les règles du jeu? j’ai fait le test dans mon entourage : pas une personne sur dix. Le second point commun tient à l’absence d’un acteur important dans l’espace de la délibération. BHV renvoie à deux espaces séparés, l’espace francophone et l’espace flamand. On délibère, oui, mais « entre soi », en absence de l’autre, celui qui parle l’autre langue et qui est courageusement rendu responsable du problème sans disposer d’un espace proportionnel pour se défendre (1).

 

Le front ethnique francophone s’oppose au front ethnique flamand. Dans chaque camp, c’est la prime aux rouleurs de mécanique tandis que ceux qui font l’exercice élémentaire d’essayer de se mettre à la place de l’autre passent pour des Munichois en puissance. (2) Pour ce qui est de la « burqa », le « débat » (qui n’a même pas réellement eu lieu) s’est déroulé dans l’absence quasi totale des musulmans. Ceux-ci, si opposés à l’usage du voile intégral qu’ils puissent être, ont bien compris que l’argumentaire utilisé pourrait s’appliquer sans difficultés au « simple » foulard islamique. Mais on leur a fait bien sentir que s’ils ne veulent pas être assimilés aux salafistes et aux talibans, ils n’avaient pas intérêt à s’offusquer publiquement.

 

À part les associations défenderesses des droits de l’Homme dont les avis ont été souverainement ignorés (Amnesty international, Human Rights Watch, Ligue des droits de l’Homme, Mrax…), rien n’est venu troubler la belle et courageuse unanimité obtenue à si bon compte sur le dos d’une poignée de semi-cloîtrées silencieuses qui du coup le seront encore un peu plus. Il y a un troisième point commun qui est plus pathétique. Sur BHV et la « burqa », un gouvernement a facilement prise.

 

Sur la crise financière, les fermetures d’entreprises, le réchauffement climatique ou toute question dont le cadre est au minimum européen, c’est plus difficile de faire croire qu’on maîtrise la situation. Le vote anti-burqa, intervenu finalement le 28 avril et qui aura été un des derniers gestes d’un parlement miraculeusement réconcilié avant d’être dissous, sera paradoxalement l’aveu de l’échec d’un système médiatico-politique déconnecté du réel. Si la démocratie politique veut inverser cette tendance suicidaire qui pourrait nourrir, lors des élections à venir, un refus de vote sans précédent, elle devra commencer à en finir avec le double discours et se conformer dans les frontières de la Belgique à ce qu’elle prône dans les frontières de l’Europe : des partis politiques de plus en plus européens et non leur fractionnement perpétuel, des frontières de moins en moins étanches et non l’obsession d’en dessiner de nouvelles, des droits fondamentaux de plus en plus universels, des systèmes de solidarité de plus en plus élargis dans le temps et l’espace.

 

Preuve de cette contradiction : la Belgique vient de fournir à l’Europe un président du Conseil réputé pour sa sagesse (Herman Van Rompuy) et un chef du groupe libéral au Parlement européen considéré comme visionnaire et connu pour son hostilité à toute démagogie nationaliste (Guy Verhofstadt), alors que c’est le parti du premier qui a piloté le pays depuis trois ans en exacerbant ses tensions internes et que c’est le parti du second qui a précipité la chute du gouvernement pour des raisons de basse cuisine électorale .

 

Notes: |1| Ni même qu’il y ait spécialement intérêt, puisque, dans le système électoral actuel, chacun ne peut obtenir que les suffrages des électeurs sa propre communauté linguistique, à l’exception de Bruxelles. |2| Il faut reconnaître que, sur ce point et depuis quelques années, les principaux journaux ont donné régulièrement la parole à des représentants de l’autre communauté. Mais au moment d’« éditorialiser », aucun quotidien ne peut se permettre de « décoller » de l’opinion postulée majoritaire de son lectorat.

 

Source: Le blog d'Henri Goldman

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