Auschwitz : commémorer et se taire ?

Juliette Broder, résistante et juive, vivant à Bruxelles, émet des réserves sur la façon dont est célébré l'anniversaire d'Auschwitz. Que cache-t-on ?

Il y a 60 ans: la libération des camps nazis

Fin de ce mois, à l'initiative de l'Onu, on commémorera la libération d'Auschwitz par les troupes soviétiques. Cette commémoration me laisse un goût amer. Certes, alors que les rats nazis masqués sortent de plus en plus de leurs trous, alors que pas mal de bourreaux finissent paisiblement leurs jours heureux, on ne dévoilera jamais assez combien est sanglant le drapeau du fascisme ordinaire.

Juliette Broder

26-01-2005

Mais commémorer Auschwitz et le martyr des bébés, des vieillards, des hommes et des femmes nés juifs, cela justifie-t-il que l'on taise presque toujours le martyr des tziganes, des prisonniers de guerre et civils soviétiques qui alimentèrent les mêmes fours crématoires en compagnie des juifs? 1

Une autre chose me bouleverse. Pourquoi commémorer spécifiquement la délivrance d'Auschwitz et taire celle des autres camps de la mort? En quoi les martyrs du fascisme et du nazisme sont-ils différents? En quoi les bourreaux sont-ils différents?

Pourquoi taire le fait que Dachau, libéré le 29 avril 1945, a été le premier camp de la mort mis en place dès la prise de pouvoir par les hitlériens pour y martyriser et exterminer les communistes, les socialistes, les démocrates allemands?

Pourquoi ne pas commémorer en une seule date la libération de tous les camps de concentration? Pourquoi faire d'Auschwitz une exception?

Pourquoi taire que des juifs ne se sont pas livrés comme des moutons à l'abattoir nazi mais ont mené le combat avec des résistants et partisans armés non-juifs? Pas un mot là-dessus à la TV, à la radio, dans la presse…

Dans ma famille, il y eut 32 martyrs dont il ne reste que cendres. Parmi eux, il y eut des communistes qui participèrent et moururent lors de la révolte du ghetto de Varsovie. Il y eut mon cousin et compagnon de jeux, Joseph, fusillé, non parce que juif, mais parce que partisan armé. Il n'avait pas 20 ans.

Celui qui allait devenir le père de mon fils, juif, étudiant à l'Université de Liège, membre actif des Partisans armés, avait 20 ans quand il fut dénoncé avec ses compagnons de lutte non-juifs. Il passa près de deux ans à Buchenwald. Quand il en revint, il pesait un peu plus de 50 kg

Il y eut résistance de juifs dans tous les pays occupés, organisée en collaboration étroite ou fusionnée avec des non-juifs belges, hollandais, français, italiens et allemands, etc. La Résistance, quel que fut l'endroit où elle s'exerça était une, comme sont uns tous ceux que le fascisme, le nazisme a martyrisés, exterminés pour leurs opinions comme pour leur origine. C'est cette mémoire-là que nous devons cultiver et que nous devons laisser en héritage aux jeunes d'aujourd'hui et de demain.

1L'historien Maxime Steinberg mentionne les chiffres suivants: Juifs de Belgique déportés à Auschwitz: 25.257; Survivants: 1.205; Tziganes de Balgique déportés à Auschwitz: 351; Survivants: 12. Ces chiffres représentent uniquement juifs et tziganes rassemblés au camp de Malines et déportés à Auschwitz sur seul critère de leur origine.

A lire :

Arno J. Mayer, La «solution finale» dans l'histoire

La Découvert/Poche, 2002, 16,10 €.

Une contribution fondamentale au débat qui divise les historiens contemporains autour de la question de l'anéantissement des Juifs: celui-ci était-il, oui ou non, inscrit dès le départ dans le plan nazi? Arno J. Mayer démontre que si l'antisémitisme nazi a toujours été virulent, il n'est devenu génocidaire qu'à partir de l'année 1941, avec le déclenchement de la guerre totale contre l'URSS.

Pierre Broder, Des juifs debout contre le nazisme

Ed. EPO, 1994, 2,50 € (prix promotionnel)

Pierre Broder fut responsable à Charleroi du Comité de Défense des Juifs, affilié au Front de l'indépendance, organisation de résistance majoritairement communiste. Dans ce livre émouvant, il raconte sa lutte, et celle d'autres Juifs qui avaient lié leur sort à la Résistance et explique notamment comment un grand nombre de juifs de Charleroi ont pu être sauvés.

Lydia Chagoll, Au Nom du Führer

Editions Jacques Antoine, 1980, 8,70 €.

«Entre 1935 et 1945, le Troisième Reich divisait les enfants en deux catégories: les «bons» – les enfants aryens, et les «mauvais» – les autres. Par le texte et l'image, ce livre veut témoigner de l'empoisonnement spirituel des enfants allemands et de l'anéantissement physique des enfants juifs, tziganes, russes, polonais, yougoslaves… morts innocents auxquels je souhaite rendre hommage» – Lydia Chagoll.

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