Argumentaire pour le Non

Que signifie le projet de Traité Constitutionnel ? Quels sont les objectifs voulus par ceux qui nous le proposent tout en nous menaçant du pire chaos s’il n’était pas adopté ? La réponse est dans les articles du Traité Constitutionnel lui-même. Voyons de plus près.

Un marché capitaliste sauvage et sans rivages

S’il ne fallait qu’un seul article pour résumer le Traité Constitutionnel, l’article I-3-2 suffirait à lui seul : l’Union offre « un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ». En clair, il s’agit de constituer une fois pour toutes un marché européen où les règles capitalistes de la concurrence, de la rentabilité, de l’exploitation ne souffriraient plus de limites pour les appétits patronaux et financiers.

Précision : pour un capitaliste, la concurrence libre et non faussée, c’est, ni plus ni moins, sa capacité à écraser par tous les moyens le coût du travail, donc les salaires. [Voir tableau ci-contre]

Pour qu’on ait bien compris, le projet insiste :

Article I-3-3 : « L'Union oeuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive ». La compétitivité est, pour les patrons, comme chacun sait, ennemie des hausses de salaires. D’ailleurs, dans le Préambule, il est bien annoncé : « L’Union assure la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux ». Ainsi, personnes, marchandises et capitaux ont pour les rédacteurs la même valeur.

Pas d’obligation de salaire minimum

L’article III-206 concerne la politique de l’emploi de l’Union Européenne. On y trouve en particulier, au paragraphe 3 :

« Chaque État membre transmet au conseil et à la commission un rapport annuel sur les principales mesures qu’il a prises pour mettre en œuvre sa politique de l’emploi, à la lumière des lignes directrices pour l’emploi visées au paragraphe 2. »

Aucune mention d’un salaire minimum européen, pas même la moindre allusion.

D’ailleurs, il faut que « les marchés du travail soient aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie » (article III-203). Autrement dit la flexibilité de la main-d’œuvre est une obligation. Dans ces conditions, toute réglementation, tout Code du travail sont des obstacles.

Pas de droit au travail

Le droit au travail est un droit, certes bien peu respecté mais cependant encore inscrit dans la Constitution française, dans le préambule de la Constitution de 1946 intégré à la Constitution de 1958, dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme votée à l’ONU en 1948, etc. Il disparaît dans le Traité Constitutionnel Européen, pour être vicieusement remplacé par le « droit de travailler ».

« Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée » (article II-75-1). Encore heureux qu’il soit reconnu le droit de travailler ! La nuance n’en est pas une : le droit au travail, c’est un droit imprescriptible, qu’on revendique s’il n’est pas respecté, et qui a permis en France et ailleurs la création par exemple des allocations chômage. La fin du « droit au travail » signifierait que les États n’auraient plus obligation d’indemniser les chômeurs. Déjà que ces indemnités fondent d’année en année !

Pas de durée de la journée de travail

« Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés » (article II-91). Pas un chiffre, rien. Sur quoi vont s’aligner les États ? Niveler, par le bas donc, ou aligner par le haut ? L’UE va-t-elle prendre comme référence l’amplitude de la journée de travail de l’ouvrier français ou polonais ? On a bien une petite idée …

La fin de la Sécurité Sociale

« L’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux […] selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales […] » (article II-94).

Cet article ne parle donc en aucun cas du droit à la protection sociale, mais de celui de l’accès aux prestations, ce qui n’est de toute évidence pas la même chose !

La prestation, cela peut être tout simplement celle octroyée par des organismes privés d’assurance, des fonds de pension, etc.

Les juristes de l’UE ont même précisé, si cet article n’était pas suffisamment explicite, que, dans les États où ils n’existent pas, il n’y a aucune obligation de créer de telles prestations ou de tels services. Pour preuve : explications officielles du praesidium de la Convention européenne :

« […] La référence à des services sociaux vise les cas dans lesquels de tels services ont été instaurés pour assurer certaines prestations, mais n’implique aucunement que de tels services doivent être créés quand il n’en existe pas. »

Pas de droit à la santé

Article II-95 : « Toute personne a droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales […] ».

Nouveau tour de passe-passe : le droit à la santé, cela n’a pas grand-chose à voir avec « le droit d’accéder … ». Là où il n’y a rien ou presque rien, les États de l’UE n’ont aucune obligation de mettre en place quoi que ce soit, et là où des dispositions existent, ils ne sont pas tenus de les maintenir …

Pas de droit au logement

« […] Afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales » (article II-94, paragraphe 3).

Là encore, le droit au logement est remplacé par le « droit à une aide au logement ». Nuance … On pourrait donc compter, tout au plus, et selon la générosité des États, sur une aumône, un subside pour essayer de se loger. Encore un article qui tient nettement plus d’un acte de foi de dames patronnesses que d’une Constitution démocratique !

La fin des services publics

La partie III du Traité est parfaitement explicite : « Les États membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire. »

La notion de service public n’existe pas dans le texte de la Constitution. Elle est remplacée par la dernière trouvaille : le « service d’intérêt économique général » (SIEG). Un SIEG n’a bien entendu aucune obligation (bien au contraire) d’être un service public sous direction de l’État membre : « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de la concurrence » (article III-166-2).

Toute aide publique est d’ailleurs interdite si elle risque de fausser cette concurrence : « Sauf dérogations prévues par la Constitution […], sont incompatibles […] les aides accordées par les États membres ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions » (article III-167-1). C’est sous cette bannière que les gouvernements successifs ne cessent en France de chercher à privatiser tous les services publics : transports, EDF-GDF, France Télécom, La Poste, l’eau, et petit à petit l’Éducation nationale.

Pas un centime pour les entreprises publiques

Article III-166-1 : « Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux dispositions de la Constitution, notamment celles prévues à l’article I-4, paragraphe 2, et aux articles III-161 à III-169. ».

En clair, les entreprises publiques ne doivent plus recevoir un centime d’aide de l’État (SNCF, Air France, etc.). Au mieux, elles sont tolérées, à condition qu’elles fonctionnent selon les règles en vigueur dans … le privé !

La directive Bolkestein, enfant légitime de la Constitution européenne

La directive du Commissaire européen Bolkestein énonce le principe dit du « pays d’origine ». Selon ce principe, un prestataire de services serait soumis uniquement à la loi de son pays d’origine et n’aurait pas à se plier aux réglementations nationales des autres pays où il exerce.

Autrement dit, un prestataire de service pourra délocaliser son activité dans un pays où les contraintes sociales (durée du travail, sécurité sociale, hygiène et sécurité …) seraient plus faibles, donc plus favorables pour l’employeur.

Privatisation des services

Article III-137 : « Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établi sur le territoire d’un État membre ».

Ajoutons : « Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation » (article III-144).

Et enfin : « Les États membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne adoptée en application de l’article III-147, paragraphe 1, si leur situation économique générale et la situation du secteur intéressé le leur permettent » (article III-148).

Faire venir un plombier polonais ou un maçon portugais en France et les faire travailler aux conditions de salaire, de temps de travail, de protection sociale du pays d’origine est un objectif avoué et parfaitement énoncé dans la Constitution européenne. Prétendre le contraire relève du mensonge caractérisé. D’ailleurs, ce système du « pays d’origine » existe déjà dans les transports maritimes et routiers.

Quel droit à l’éducation et pour qui ?

Article II-74 : « Toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue. Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire. »

Explications officielles des juristes de l’Union Européenne : « […] Le principe de gratuité de l’enseignement implique seulement (souligné par nous) que, pour l’enseignement obligatoire, chaque enfant ait la possibilité d’accéder à un établissement qui pratique la gratuité. Il n’impose pas que tous les établissements, notamment privés, qui dispensent cet enseignement […] soient gratuits. Il n’interdit pas non plus que certaines formes spécifiques d’enseignement puissent être payantes, dès lors que l’État prend des mesures destinées à octroyer une compensation financière. Dans la mesure où la charte s’applique à l’Union, cela signifie que […] l’Union doit respecter la gratuité de l’enseignement obligatoire, mais cela ne crée bien entendu pas de nouvelles compétences. »

En clair, la gratuité de l’enseignement obligatoire ne sera pas imposée dans les pays de l’Union où elle n’existe pas. En outre, l’enseignement privé payant est protégé et trouvera même dans cet article matière à exiger plus de prérogatives et d’argent des pouvoirs publics. Un article de plus contre la laïcité.

Le droit de licenciement justifié

Article II- 90 : « Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ». Donc, si le licenciement est « justifié », le travailleur n’est pas protégé …

Une Constitution anti-laïque

L’Europe qu’ils veulent nous imposer n’est pas laïque, elle est même anti-laïque.

Article I-52 : « Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations. »

Article II-70 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. »

En France, la loi de décembre 1905 consacre la séparation des Églises et de l’État. Autrement dit, la religion est et doit rester une affaire strictement privée et le droit à la croyance individuelle doit être respecté. En revanche, les églises n’ont pas (encore) le droit de s’imposer dans la sphère publique, comme l’école par exemple. Dans beaucoup de pays en Europe (Pologne, Portugal, etc.) les Églises se mêlent du domaine public, grâce à la complicité et l’aide financière des États.

Cette Constitution, si elle était adoptée, permettrait d’imposer en France la fin de la séparation des Églises et de l’État. Comment ? Grâce à l’article I-6 qui indique : « La Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union, dans l'exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres.». En clair, la Constitution européenne serait supérieure et s’imposerait aux lois nationales.

L’arsenal juridique de cette Constitution taillée sur mesure pour les différentes Églises, surtout l’Église catholique d’ailleurs, peut donc, demain, s’appliquer à la France.

Une Europe militariste

Article I-41-3 : « … Les États s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires ». Sans commentaire.

Un Traité pour des siècles ?

Article IV-446 : « Le présent Traité est conclu pour une durée illimitée ».

Une éventuelle révision est subordonnée à la règle de la double unanimité : celle des gouvernements d’abord, puis celle des peuples (par le biais des Parlements ou de référendums). Le tout dans 25 États. Cette procédure de double unanimité est une garantie de blocage pour des siècles ! Pour au moins 50 ans, a dit Giscard lui-même.

On est loin de l’article 28 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1793 : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ».

Organisation La Commune

27 avril 2005

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