Après le capitalisme, quelles alternatives ?Pourquoi je soutiens l’expérience cubaine

 Cet article est le résumé d’une conférence et d’un séminaire donné par François Houtart à Fribourg.

Séminaire : “50 ans de révolution cubaine – quelles leçons à tirer” ?

François Houtart, qui a visité Cuba une cinquantaine de fois depuis 1953, a brièvement analysé les 50 ans de la révolution socialiste cubaine, ses exploits et ses difficultés, la nécessité de se défendre face aux menaces externes et internes et de la manière exceptionnelle de survie dans les furies économiques et sociales, provoquées par l’impérialisme nord-américain et, surtout, après la débâcle du camp socialiste et l’extinction de l’URSS. Il a souligné le fait que la révolution cubaine n’a pas seulement transformé les structures sociales et politiques, mais aussi les mentalités. Il ne s’agit pas d’idéaliser la Cuba révolutionnaire, qui est ni le paradis, ni l’enfer, mais de s’étonner de la continuité du processus révolutionnaire et de s’interroger sur les défis futurs. Pour les jeunes cubains aujourd’hui, cela va de soi que la santé et l’éducation sont gratuites, qu’il y a onze fois plus de médecins et d’infirmières qu’en 1959, que la mortalité enfantine a baissé de 60 à 5,3 pour mille et que l’espérance de vie a augmenté de 19 ans. Houtart ne croit pas à une trahison de cette pensée et à un retour vers le capitalisme.

Les leçons à tirer pour arriver à un socialisme approfondi : l’importance de l’éducation populaire, les valeurs comme sa solidarité internationale (Cuba envoie plus de médecins dans le monde que l’OMS), les efforts constants de formation politique (fidèle à la pensée de José Martí) et l’importance d’un cadre de valeurs éthiques, comme la solidarité, la dignité, l’amour.

La ministre chargée d’affaires de la République Bolivarienne du Venezuela, une des 20 participantes du séminaire, a insisté à plusieurs reprises que sans l’exemple de Cuba, la révolution bolivarienne du Venezuela n’aurait pas eu lieu.

Conférence publique : “Après le capitalisme – Quelles alternatives”

Comme Samir Amin, François Houtart insiste sur le fait que la crise financière se construit sur un système qui était déjà en crise et que toutes les crises (financière, économique, alimentaire, énergétique et sociale) sont liées entre elles et liées à la même logique, la logique du système capitaliste qui est basée sur l’accumulation du capital et le profit maximum, l’exploitation du monde avec l’intérêt du capital comme moteur de l’économie et l’appât du gain comme seule fin.

La crise financière, prévisible, s’inscrit dans la logique d’une économie libéralisée, dominée par le capital financier. Il s’agit d’une crise globale. Elle n’est qu’un épiphénomène d’une crise beaucoup plus profonde. Houtart donne des exemples exhaustifs et effrayants par rapport à la crise alimentaire, climatique et énergétique, exemples puisés dans ses innombrables voyages sur les trois continents (voir version longue online de ce résumé). Il cite le rapport de M. Nicolas Stern de la Banque Mondiale qui stipule que si les choses continuent ainsi, d’ici la moitié de notre siècle, on aura entre 150 et 200 millions de migrants climatiques, et qu’il nous reste dix à quinze ans pour prendre des mesures. Après, la situation sera irréversible.

Houtart dénonce ensuite le fait que les solutions proposées ne sont pas des solutions réelles, mais des voies qui permettent aux mêmes pouvoirs économiques de dominer le secteur de l’énergie et de continuer avec un modèle qui permet de faire des gains extrêmement rapides sur les revenus du capital. Face à la consommation totalement irresponsable de l’énergie, on n’essaye pas de changer, mais on cherche à continuer avec le modèle du capitalisme pour essayer de résoudre un problème qu’il a créé lui-même ! Si l’Europe consacrerait toute sa terre arable à la production d’agrocarburants, elle ne couvrirait que 10-15% de sa consommation actuelle, ce qui ne suffirait même pas à couvrir l’augmentation de la demande dans 10 à 20 ans. Elle exige donc que les autres continents sacrifient des millions d’hectares. Houtart dénonce la destruction de millions d’hectares arables par des pesticides pour planter des palmiers, par exemple. La biodiversité disparait, on chasse des millions de petits paysans avec l’aide de l’armée et des paramilitaires. Il revient sur l’absurdité d’appeler les agrocarburants des « biocarburants », alors qu’ils n’apportent pas la « vie » (bios en grec), mais la mort (Frei Betto, théologien de la libération, les appelle les « nécrocarburants »).

Pour le capitalisme, les coûts sociaux et environnementaux n’entrent pas dans les calculs économiques. Ce sont des externalités, sauf quand ces dégâts commencent à affecter le taux de profit ! C’est donc la logique même du capital qui est à l’origine de chacune de ces crises ! Il ne suffit pas de dénoncer les abus et les excès, de dénoncer un capitalisme sauvage, comme s’il existait un capitalisme humain. Comme dans son ouvrage en 2005, Houtart réclame que nous délégitimions ce système, qu’il faut trouver des alternatives sérieuses, et pas seulement des régulations, comme par exemple vider les caisses de l’Etat pour sauver les banques !

C’est ici qu’il commence à aborder les alternatives. Pour parler d’un socialisme du XXIe siècle, François Houtart propose quatre grands axes :

1. l’utilisation renouvelable des ressources naturelles, avec leur contrôle collectif et un usage rationnel, excluant leur privatisation ;

2. la valorisation de la valeur d’usage sur la valeur d’échange, ce qui constitue le centre de la doctrine économique du socialisme et sa contradiction fondamentale avec le capitalisme

3. une démocratie généralisée, non seulement dans le champ politique, avec l’adoption d’une démocratie participative, mais aussi dans le champ économique et dans toutes les institutions (par exemple l’eau, qui a été privatisée pendant 20 ans à Paris, redevient aujourd’hui un bien public).

4. la multiculturalité. Pour construire une société nouvelle, toutes les cultures, tous les savoirs traditionnels, les diverses philosophies et religions peuvent contribuer à l’éthique nécessaire à la poursuite des objectifs. Le monopole de la culture occidentale ne peut pas continuer. C’est aussi cette culture qui a porté le système capitaliste.

Il faut (re)construire des utopies, non comme des illusions mais comme des éléments, petits et grands, qui sont réalisables concrètement, qui n’existent pas aujourd’hui, mais qui pourraient bien exister demain.

Il ne faut toutefois pas oublier l’immédiat. Des réformes sont nécessaires : 30’000 personnes meurent aujourd’hui ! Mais pas simplement des réformes pour adapter, pour rendre plus humain le système, mais dans le cadre d’une prise de conscience des acteurs pour transformer et remplacer le système actuel.

Une fois de plus, François Houtart cite l’Amérique Latine comme modèle intéressant : « C’est le seul continent où nous sommes passés des résistances aux alternatives ! » La marche des indigènes sur Bogota, la conscience politique de ces gens qui risquent la mort au Venezuela, en Bolivie, en Équateur, beaucoup moins au Brésil, au Paraguay. Et toujours, l’exemple de Cuba. Ces économies donnent des pistes dans les domaines culturels, économiques, etc. L’ALBA, la Banque du Sud, le Petrocaribe, etc. se traduisent en politiques concrètes. Grâce aux méthodes de Cuba appliquées en douze mois, le Venezuela a été reconnu par l’Unesco comme le seul pays du continent avec Cuba à avoir éliminé l’analphabétisme. Il est clair que nous ne sommes pas sortis du capitalisme. Certains le reprochent aux leaders du Sud. Pour François Houtart, c’est un manque de pensée dialectique : nous nous trouvons devant des réalisations nouvelles qui ne sont peut-être pas parfaites mais qui montrent que c’est possible d’avancer. Les porteurs de ce grand projet et de cette utopie sont les mouvement populaires.

Après avoir vu, analysé, jugé, il s’agit maintenant de commencer à travailler. Pourtant, Houtart nous met en garde: « Chaque petite chose doit être effectuée dans la perspective de la grande utopie, d’une transformation de la logique du système dans lequel nous sommes, sinon elle va être absorbée par le système. L’action doit se situer à court terme (par exemple avoir nationalisé l’eau à Paris), à moyen terme (par exemple la taxe Tobin ou l’abolition des paradis fiscaux, etc) et à long terme, en fonction de nos quatre grands axes. »

François Houtart, docteur en sociologie, professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain, fondateur du Centre Tricontinental et de la revue Alternatives Sud. Prêtre marxiste, proche de la théologie de la libération, membre du comité international du Forum Social Mondial.

Source: Andrea Duffour pour Cuba Si

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