Agent Orange: le procès de New York

Aujourd'hui, 30 septembre 2005, les victimes vietnamiennes de l'Agent Orange déposent leur dossier à la Cour d'Appel de New York. "C'est un crime hideux", me disait Noam Chomsky, membre du CIS.

Violation de la Loi Internationale, Crime de Guerre et Crime contre l'Humanité. Vaste procédure. Un procès complexe tant au point de vue juridiction appliquée que de juridiction théorique. Des millions de victimes derrière les plaignants, beaucoup d'accusés et beaucoup de faits se déroulant sur une longue période, implications sociales, environnementales, économiques et financières…Un procès qui n'a pas de précédent historique.

La Constitution des Etats-Unis d'Amérique ne permet pas de se retourner contre l'US Army ni contre les responsables politique pour faits de guerre. Le 31 janvier 2004, quatre jours avant que soient échus les dix années de levée de l'ambargo qui interdiraient de ce fait tout recours selon la loi étasunienne, l'Association des victimes de l'agent orange/dioxine Vietnam et cinq victimes à titre personnel déposent une plainte au Tribunal de Première Instance de la justice fédérale américaine de New York contre les trente-sept sociétés qui ont fabriqué le poison en pleine connaissance de cause. "Ceci est un procès civil mené par des citoyens Vietnamiens et une organisation vietnamienne contre des Sociétés basées aux Etats-Unis, selon l'Alien Tort Claims Act (ATCA, Loi de Réclamations pour Tort envers l'Etranger), 28 U.S.C. § 1350 et 18 U.S.C. § 2441" précise, entre autres, l'Exposé préliminaire de la plainte. Instruire un dossier est un coût insupportable pour une famille vietnamienne. Au mois de septembre 2004, vingt-deux autres victimes viennent s'ajouter à une liste qui risque d'être sans fin… Le 10 mars 2005 (le lendemain de ma conférence de lancement officiel du Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l'Agent Orange et au procès de New York (CIS) au Centre d'Accueil de la Presse Etrangère (CAPE) à la Maison de Radio France, à Paris; et la veille de la Conférence Internationale sur les effets des épandages de défoliants au Viêt-Nam, au Sénat, à Paris) le juge Jack Weinstein -celui-là même qui a défendu les vétérans US victimes de l'Agent Orange et obtenu "réparation"- rejette la plainte des victimes vietnamiennes. Si la Convention de Genève bannit l'utilisation de poison en temps de guerre, le juge Weinstein déclare qu'aucune loi internationale interdit l'utilisation d'herbicides. La vraie question n'est pas de savoir s'il faut nommer les Agents sprayés sur le Viêt Nam "herbicides" ou "poison", mais de savoir si ces herbicides contiennent du poison? "OUI", répond la communauté scientifique internationale. Le plus terrible des poisons en ce qui concerne l'Agent Orange contenant la tétrachlorodibenzo-para-dioxine. La communauté scientifique internationale est universellement unanime sur ce point. Aujourd'hui, 30 septembre 2005, les victimes vietnamiennes déposent leur dossier à la Cour d'Appel de New York. Quand la défense des compagnies américaines invoque que l'utilisation de l'Agent Orange avait pour but de protéger les soldats US, alors qu'ils sont eux-mêmes victimes, on voit bien que plus on presse la goutte de mercure entre les doigts et plus elle s'échappe. Il en est de même pour l'argument qui consiste à dire que ces compagnies ne pouvaient pas se soustraire à une commande de leur gouvernement, comme si chacune était obligée d'obéir à un ordre génocidaire puisqu'elles connaissaient leur fabrication et sa destination. La défense remettra son dossier le 16 janvier 2006. L'avis de la Cour d'Appel sera prononcé au début du mois de mars 2006.

Aux Etats-Unis, la Cour d'Appel, appelée Deuxième Circuit, ne désavoue quasiment jamais le Premier Circuit, le Tribunal de Première Instance. C'est donc la Cour Suprême qui se profile. Le dernier Président de la Cour Suprême, William H. Rehnquist, Conservateur, décédé à quatre-vingt ans d'un cancer de la thyroïde depuis peu de temps, est remplacé par John Roberts nommé par George W. Bush. Le Sénat doit confirmer cette nomination, une formalité. Ce juge serait un sévère Conservateur bien caché derrière ses déclarations publiques policées, ancien Conseiller juridique de la Maison Blanche sous Reagan et Bush père. D'autre part, au mois de juillet 2005, la juge Sandra O'Connor, première et seule femme à siéger dans cette puissante institution qui comprend neuf juges nommés à vie, a pris sa "retraite" pour s'occuper de son mari atteint de la maladie d'Alzheimer! La Cour Suprême est décapitée car c'est la juge Sandra O'Connor qui a fait pencher la balance en faveur de l'interruption volontaire de grossesse et de la suppression de la peine de mort pour les crimes commis en âge de minorité. C'était aussi une Conservatrice. Mais par-dessus tout elle était une femme. Ce qui n'est pas un mince détail dans l'affaire de l'Agent Orange où il faudrait que les juges mettent du cœur dans leur raison pour nourrir un espoir de "réparation". Le Président George W. Bush ne lui a pas encore désigné de remplaçant(e?). Il se pourrait qu'après l'ouragan Katrina, le Président cherchant à remonter dans les sondages désigne une femme -Noire, à cause de la Nouvelle-Orléans ou Ispanique à cause du vote de cette communauté lors de l'élection présidentielle? – à la Cour Suprême.

Il faut souligner que les six Cabinets d'avocats américains qui défendent les victimes vietnamiennes ne demandent pas d'honoraires aux plaignants qui ne pourraient les honorer. Les trente-sept compagnies dont Monsanto, Dow Chemical, Diamond, Uniroyal, Thompson, Hercules, pour les principales, devraient être condamnées à payer la note juridique et surtout à restituer les gigantesques bénéfices (avec intérêts) réalisés entre 1961 et 1971 par cette titanesque opération macabre appelée au départ Operation Trail Dust (traînée de poussière) avant de se révéler Operation Hadès: Dieu des morts et des enfers chez les Grecs. Puis vite rebaptisée opération Ranch Hand (ouvrier agricole), parce que plus insignifiante. Cette fabuleuse masse d'argent restituée -hold-upée au contribuable américain pour répandre scientifiquement la mort et le malheur- servirait à indemniser les familles, à porter une aide médicale et psychologique aux victimes et proches, à bâtir d'autres Villages de la Paix (établissements qui accueillent les victimes de l'Agent Orange au Viêt Nam -onze existent actuellement et certains sont dépourvus- alors que les besoins sont immenses. Un Village de la Paix accueille entre cinquante à cent victimes, il faudrait donc des milliers de Villages de la Paix tout de suite) pour accueillir ces victimes de l'Agent Orange, parfois abandonnées. Bien évidemment, ces compagnies américaines devront aussi décontaminer -sans qu'on sache encore comment- les territoires empoisonnés qui, par le biais de la chaîne alimentaire, tuent, font naîtrent des enfants-monstres et provoquent des maladies incurables depuis plus de quarante ans.

Malgré la Convention de Genève, un recours international sera difficile et délicat… Avec Karen Parker, mandatée par les Nations Unies au Pakistan (Cachemire), Myanmar (Daw Suu Kyi), Sri Lanka, Panama, Iran, Irak (hôpital de Falloudja) etc, membre du CIS, nous allons porter Uranium Appauvri & Agent Orange devant la Sous-commission des Droits de l'Homme à Genève. Dans le domaine du Droit International, le CIS contient aussi les compétences de Françis Boyle, Monique Chemillier-Gendreau, William Bourdon… mais aussi le soutien du Directeur politique de Peace-Action et autres dirigeants et dirigeantes, fondateurs et fondatrices de United for Peace and Justice, de Grandmothers for Peace International, du Parti Fédéral Vert du Canada parmi tant d'autres. Une lettre signé du CIS a été envoyée au juge Jack Weinstein au Tribunal de Première Instance, une autre aux Magistrates et Magistrats de la Cour d'Appel, une autre à George W. Bush. Mais ce dernier a bientôt deux cents millions de compatriotes qui ne veulent plus de sa guerre en Irak et il la continue quand même, alors la lettre…

Si la justice fédérale américaine venait à envoyer cette tragédie aux calendes grecques, une deuxième injustice serait alors commise envers ces victimes innocentes à la barbe et à la barre du monde. Si ces victimes venaient à perdre ce procès, c'est le monde entier qui aurait perdu. La route serait non seulement fermée aux prochains plaignants (Uranium Appauvri) mais grande ouverte à l'impunité et à de futurs grands massacres de ce jeune millénaire.

André Bouny, président du Comité International de Soutien des victimes vietnamiennes de l'Agent Orange et au procès de New York.

Liens: http://www.monde-solidaire.org/spip/article.php3?id_article=2295

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