Accords de Partenariat Economique UE-CEDEAO : quand l’agriculture africaine se fait piéger !

En acceptant d’ouvrir son marché intérieur aux importations agricoles européennes sans restrictions, la CEDEAO engage non seulement ses producteurs locaux dans une concurrence à sens unique minée par les subventions agricoles et les barrières non tarifaires, mais aussi elle compromet sérieusement toute chance de moderniser un secteur capable de répondre aux défis d’emplois des jeunes dans le continent africain.

Après la signature de la Convention de Cotonou, les pays de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest) ont bénéficié d’une période transitoire de 2000 à 2007,  gardant ainsi le système des préférences commerciales non-réciproques hérité de la Convention de Lomé. Mais à partir de 2008, ils sont soumis progressivement aux Accords de partenariat économique (APE) qui mirent fin à la non-réciprocité entre l’UE et l’ACP (Afrique Caraïbes Pacifique). Le principe de ces engagements, était  de « {réduire progressivement les barrières aux importations des produits européens dans les ACP à partir de 2008, et durant une période suffisamment longue (soit 10 ans ou 12 ans selon les pratique du GATT)} » (Salmon et al, 2001 : 20).

Si les Accords de Partenariat Economique portent sur l’ensemble des échanges commerciaux pouvant exister entre l’UE et la CEDEAO, tels que la technologie et  les combustibles, les produits agricoles occupent une place particulière dans les deux côtés, mais de façon plus prononcée dans les Etats africains.

Dans la plus part des pays africains, le secteur agricole revêt  une importance économique et sociale de premier plan. Il représente 35% du PIB dans la CEDEAO, contre une moyenne de 6% dans l’Union européenne. En dépit de son poids faible dans le commerce international, l’agriculture constitue une importante source de recettes dans la plupart des pays de ladite zone. 41% des recettes d’exportation du Burkina Faso, par exemple, proviennent uniquement du coton, 48% de celles du Ghana viennent du cacao et 34% pour la Cote d’ivoire.
Les APE  prévoient la libéralisation de 90% des échanges entre l’UE et les pays ACP, ce qui correspond à une ouverture de 100% du marché européen contre 80% de celui de la CEDEAO, mais dans la pratique, ils ne s’appliquent pas pour les produits agricoles africains, pour principalement deux mesures : Les normes sanitaires et phytosanitaires et les subventions agricoles.

{{La face cachée des « Normes sanitaires et phytosanitaires »}}

Les barrières non-tarifaires constituent un point de controverse  dans le partenariat commercial entre l’Union européenne et les pays ACP. Parmi celles-ci figurent les normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) qui sont un ensemble de mesures que doivent respecter toutes les marchandises importées dans les pays de l’UE.  En effet, « {l’Accord SPS définit les règles fondamentales concernant l’innocuité des produits alimentaires, la santé des animaux et la préservation des végétaux. Cependant, il exige en même temps que ces règlements soient fondés sur des principes scientifiques, qu’ils ne soient appliqués que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé et qu’ils n’établissent pas de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où existent des conditions identiques ou similaires} » (OMC :[http://www.wto.org/french/tratop_f/sps_f/spsund_f.htm->https://www.wto.org/french/tratop_f/sps_f/spsund_f.htm] )

 Même si le principe des normes SPS est d’assurer une « {sécurisation sanitaire de l’offre alimentaire sur les marchés agricoles et agro-alimentaires} », elles peuvent servir aussi à des mesures de protection que mettent en place certains pays ou régions pour lutter contre la concurrence sur des produits précis. Le plus souvent, ces mesures sont imputées à des normes sanitaires pour contourner les accords régis par l’OMC dans le cadre du commerce international. La mise en place de telles mesures, requiert une certaine dotation en technologie et en formation auprès des producteurs dans les pays exportateurs de produits agricoles comme ceux de la CEDEAO. De fait, malgré cette exigence fondamentale dans les importations de l’UE, les difficultés liées aux respects des normes SPS sont très fréquentes dans les pays africains. Elles s’expliquent par le fait que« {les producteurs des pays ACP ne maitrisent que rarement la complexité des normes sanitaires et surtout leur fréquente évolution au cours des années récentes ; ils rencontrent d’importants problèmes techniques pour en assurer l’application} » (Ribier et Blein, 2002 :6)

De là apparaissent deux contraintes majeures que doivent surmonter les producteurs des pays CEDEAO qui veulent accéder au marché européen. Non seulement leurs pratiques doivent être en conformité aux normes SPS, mais aussi les producteurs doivent dans certains cas attester cette conformité par le biais de certificats qui sont émis par des laboratoires ou spécialistes sur la matière. Face à ces contraintes qui, manifestement, pèsent lourd sur les petits producteurs africains, bon nombre de leurs produits agricoles sont rejetés chaque année aux frontières de l’UE.

Durant l’année 2008, le nombre total de rejets à la frontière de l’UE est estimé à 1’093 dont 89% concernent des pays en développement. Les cas de rejets les plus importants constatés aux frontières de l’UE sont des importations venues de pays à revenu faible, « {on constate que la plupart des rejets (47%) concernent l’Afrique de l’Ouest, suivie par l’Asie de l’Est et Pacifique (24%) et l’Asie du Sud (18%)} » (Merlateau et al, 2011 :16). Pour les pays africains, les importations faisant l’objet de rejet sont très souvent des produits agricoles, et peuvent varier d’un pays à un autre.  En Afrique occidentale, les produits les plus exposés  sont l’arachide, les graines, les fruits oléagineux et les graines de sésame, comme nous pouvons le voir sur le tableau ci-dessous.

{{Ratio quantité rejetée / quantité totale par pays d’origine et produit
tableau}}



Source : Fakhfakh et al, 2011

A première vue, le poids des rejets sur les quantités totales de biens exportés par la CEDEAO vers l’UE est faible. Mais si l’on considère certains produits de base dans les exportations des pays africains comme l’arachide (81.02%) et les graines oléagineuses (27.4%), le poids devient non négligeable, voire élevé. Les exportations d’arachide vers l’UE sont toujours soumises au risque d’être rejetées aux frontières européennes, sous prétexte que certaines graines d’arachide qui viennent de l’Afrique ont une présence d’aflatoxine en quantité importante. Pour l’UE, les graines concernées doivent être traitées dans les pays d’origine pour pouvoir entrer dans le marché européen. Pour les pays exportateurs d’arachide, cette mesure n’est qu’une mauvaise publicité qui consiste à décourager les importations d’arachide dans la zone UE.  Selon le Docteur Mamadou Diop de l’Institut du cancer de l’hôpital public Aristide Le Dantec à Dakar, « {C’est une mauvaise communication qui est faite sur l’aflatoxine, qui n’est pas un produit que contient la graine d’arachide. Elle est produite par un champignon qui affecte les céréales mal conservées} » (Barry 2010).

Ces exigences introduites par les normes sanitaires et phytosanitaires dans le partenariat des échanges commerciaux entre l’UE et la CEDEAO engendrent des coûts supplémentaires non négligeables que doivent surmonter les industriels qui souhaitent exporter sur le marché européen.

Il importe de souligner que pour la plus part des pays africains, les droits de douane ne constituent pas l’entrave majeure pour accéder aux marchés des pays développés. Il s’agit surtout de mesures non tarifaires, c’est-à-dire des mesures de réglementation à l’intérieur de ces pays telles que les normes SPS. A titre d’exemple, depuis la convention de Cotonou, les exportations agricoles des pays à faible revenu sont soumises à un droit de douane moyen de 5 % dans les pays développés, mais lorsque les effets commerciaux restrictifs des mesures non tarifaires sont comptabilisés sous la forme d’un équivalent tarifaire, le droit moyen peut alors atteindre 27 % pour certains produits, ce qui constitue un véritable frein aux exportations des pays africains. En plus des coûts supplémentaires nécessaires au contrôle du respect des normes imposées par l’UE, les exportations agricoles africaines sont très souvent bloquées aux frontières le temps des analyses, ce qui provoque dans la plus part des cas une détérioration de la qualité des produits. Ainsi, l’ouverture complète des frontières de l’UE aux exportations des pays de la CEDEAO dans le cadre des APE n’est que théorique, elle diffère de la réalité. L’application des normes SPS aux importations agricoles africaines devient dès lors un moyen efficace pour contrôler et surtout limiter les exportations de la CEDEAO vers l’UE.

{{Quand les subventions agricoles de l’UE compromettent l’agriculture africaine}}

Les  subventions agricoles de l’Union européenne représentent plus de 50% de son budget agricole. En 2012, elles ont été  37.7 milliards d’euros dont de 4.9 milliards d’euros consacrés uniquement à subventionner l’exportation de la viande et des produits laitiers. Plus de 80% des produits subventionnés à l’exportation sont acheminés en Afrique de l’Ouest et Centrale. Contrairement aux exportations agricoles des pays ACP dans l’UE qui sont plus complémentaires, les produits exportés par l’UE dans la zone ACP constituent une véritable concurrence aux produits locaux. A part les produits combustibles, la quasi-totalité des exportations africaines en Europe concerne les produits agricoles dont les plus importants sont le cacao et le café qui représentent à eux seuls plus de 40 % des produits exportés par la zone CEDEAO. Ces produits tropicaux ne sont pratiquement pas cultivés  dans les pays européens, alors que ceux-ci restent les plus gros importateurs mondiaux, des produits venant essentiellement des pays africains. La rareté des produits tropicaux sur le marché local européen, fait que les exportations africaines en cette matière n’y constituent pas une concurrence, mais plutôt une offre complémentaire à la production des agriculteurs européens.

Sur le marché africain, les enjeux ne sont pas les mêmes.  Les subventions dont bénéficient les producteurs agricoles européens leur permettent d’exporter dans les pays ACP tout en vendant à des prix largement inférieurs aux prix du marché local.  Avec l’entrée en vigueur des préférences commerciales réciproques depuis 2008, l’UE exporte de plus en plus vers les pays de la CEDEAO des produits subventionnés dans le cadre de sa Politique agricole commune (PAC), ce qui remet en cause le caractère concurrentiel du marché intérieur de ladite zone. Ce caractère discriminatoire des subventions de l’UE accentue le déséquilibre  concurrentiel sur le marché de la CEDEAO et privilégie les produits européens auprès des consommateurs locaux, comme le souligne un jeune éleveur camerounais :   « {Comment voulez-vous que la ménagère m’achète un poulet à 1 800 FCFA pièce quand elle peut se procurer du surgelé  à 900 FCFA le kg ?} »

 Vincent Ribier et  Roger Blein, dans une étude consacrée aux échanges agricoles entre l’UE et l’ACP (2002 :19) estiment que « {Les produits européens qui ont pu concurrencer, et parfois mettre en danger des filières locales ou régionales ACP, font l’objet d’un soutien interne important de la PAC. Leurs exportations correspondent le plus souvent à la gestion des excédents vis-à-vis de la consommation communautaire ou plus exactement les restitutions à l’exportation permettent de se positionner sur les marchés alors que les prix européens sont nettement plus élevés que les prix mondiaux ou les prix sur les marchés locaux convoités.} », ((Ribier et Blein, 2002 : 19)

En alimentant le marché africain de produits agricoles subventionnés, les exportations agricoles européennes sont considérées comme un des facteurs majeurs de perturbations des filières locales de production. Elles installent une concurrence déséquilibrée sur le marché local africain qui dans le long terme décourage les entrepreneurs privés et pouvoirs publics d’investir dans ces filières, mettant en péril le potentiel d’emplois de milliers de jeunes à travers chaque région. Ce mécanisme mis en place et renforcé dans le cadre des APE que pourrait bientôt ratifier le Conseil des ministres de la CEDEAO, ne laisse que de maigres chances à ses producteurs qui, soumis au démantèlement des barrières douanières, s’offrent comme unique possibilité d’exporter des matières premières. L’exemple de la famille paysanne ivoirienne productrice de cacao est illustrant. Avec beaucoup de chance, elle vend le kilo de cacao à 1 euro aux exportateurs dans la zone UE. Ce kilo de cacao d’après les « barman » permet au moins de faire 100 tasses de café en raison de 2 euros l’unité. Ce qui permet au vendeur français de faire une plus-value de 199 euros, sur laquelle il faut enlever certes les charges comprises comme le transport, les frais de port, le salaire  et autres charges liées. Au pire des cas, ce vendeur fait une plus-value nette de 100 euros, sans oublier toutes les entreprises qui ont intervenu dans la chaine de production comme les assureurs maritimes, les transporteurs, les « barman », le vendeur de café, le producteur de lait etc. Ainsi, « {toutes les politiques de promotion d’une agriculture durable, moderne et compétitive, […].seront compromises par les APE} » (Kassé, 2007 :12).

Ce modèle de « partenariat »   tant qu’on peut l’appeler ainsi, n’est pas nouveau. Il date de l’époque coloniale, lorsque les colonies africaines ont été contraintes de se spécialiser chacune dans la production des biens commerciaux bruts, dans le seul but de ravitailler la métropole. Ce fut le cas de l’arachide pour le Sénégal, le coton pour le Mali, le cacao pour la Cote d’ivoire, ainsi de suite. Ce qui est très étonnant c’est de voir la dynamique dans laquelle se sont engagés les pays africains signataires, qui pour la  plupart sont des PMA (Pays moins avancés), semblant ignorer toutes les conséquences que cela risque d’avoir  pour leurs économies, alors que tous les experts indépendants sont unanimes sur les dangers que comporte ce partenariat pour les pays en voie développement.
En brandissant la menace de supprimer 47% des aides accordées aux pays en développement, dont les pays africains en première ligne, l’UE a su imposer la signature des APE aux pays de la CEDEAO, les  obligeant à ouvrir leur marché intérieur à 80 % de ses exportations, tout en excluant la possibilité de discuter sur la question des subventions agricoles en dehors de l’OMC.

{{Conclusion}}

Face au défi de répondre à l’une des problématiques du continent africain qui est l’emploi des jeunes malgré la forte croissance de son économie, les dirigeants africains semblent ignorer toute l’opportunité que présente leur secteur agricole. En acceptant d’ouvrir son marché intérieur aux importations agricoles européennes sans restrictions, la CEDEAO engage non seulement ses producteurs locaux dans une concurrence à sens unique minée par les subventions agricoles et les barrières non tarifaires, mais aussi elle compromet sérieusement toute chance de moderniser un secteur capable de répondre aux défis d’emplois des jeunes dans le continent africain.

Les préférences non réciproques entre l’UE et l’ACP étaient des arrangements commerciaux selon lesquels l’UE, de manière unilatérale, offraient des concessions comme une ouverture partielle de son marché intérieur aux exportations de certains produits agricoles venant  des pays ACP, sans que ces dernières soient en principe taxées à la frontière. Quant aux exportations européennes vers la zone ACP, elles étaient de fait taxées aux frontières suivant les pays destinataires.

Source : Dakaractu 

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