« À croire que tout le monde se fout des pauvres, qu’ils soient belges ou afghans »

Spécialisée dans le droit des étrangers, l’avocate Selma Benkhelifa défend depuis plusieurs années la cause des réfugiés afghans. Membre du Progress Lawyers Network, elle a reçu en 2004 le prix Kirschen du Barreau de Bruxelles. Elle analyse pour nous la politique d’asile menée par Maggie De Block. Adulée dans les sondages, la Secrétaire d’État affirme mener une politique ferme, mais humaine. Le tout en faisant des économies… Le mythe de « Super Maggie » ne résiste pourtant pas à une analyse un tantinet sérieuse. Selma Benkhelifa nous explique pourquoi Docteur Maggie jouit d’une certaine complaisance, même quand la miss débloque.

 
 
Maggie De Block affirme qu'elle mène une politique humaine. D'accord avec ça ?
Pas du tout ! Avant, il y avait une question au centre de la politique d'asile : le réfugié court-il un risque s'il est reconduit dans son pays ? Or, cette question a totalement disparu aujourd'hui.

Pourquoi le gouvernement ne s'inquiète-t-il plus de la sécurité des réfugiés ?
Les élections approchent. Tout l'enjeu maintenant est de faire preuve de fermeté, car les partis craignent la N-VA. Maggie De Block s'est lancée dans un bras de fer avec Bart De Wever sur la question de l'asile. Et les sondages sont plutôt favorables à la Secrétaire d'État. Elle est parvenue à détrôner Bart De Wever en devenant la personnalité politique la plus populaire au nord du pays. Les autres partis soutiennent donc la politique de Maggie De Block en espérant que cela fera perdre des plumes à la N-VA pour les élections de 2014.

Les expulsions de familles sont-elles fréquentes ?
Non, mais le problème est ailleurs. D'après l'Unicef, 275 enfants meurent chaque jour en Afghanistan, la plupart avant leur cinquième anniversaire. Renvoyer un enfant là-bas, c'est criminel. Et Maggie De Block s'en rend bien compte. Elle n'expulse donc pas les familles, mais elle les maintient ici, dans la clandestinité, dans une sorte de no man's land. Et si les réfugiés ne sont pas contents des conditions de vie ici, on leur propose les retours volontaires.

Des retours volontaires comme celui qu'avait accepté Aref, ce jeune Afghan assassiné ?
Oui. Il y a les familles à la rue, et puis, il y a tous les réfugiés qui croupissent dans les centres fermés. Les conditions là-bas sont pires qu'en prison. Ce n'est pas humain. À eux aussi, on leur met la pression, chaque jour, pour qu'ils acceptent un retour volontaire. Ça débouche sur des tragédies comme celle d'Aref, un jeune Afghan à qui l'on avait refusé l'asile politique. Sa tête avait pourtant été mise à prix par les talibans, car il refusait de se battre avec eux. Arrivé en 2009, Aref a demandé l'asile à quatre reprises aux autorités belges. Elles le lui ont refusé, prétextant qu'il ne courrait aucun danger s'il rentrait dans son pays. Finalement, après avoir passé plusieurs semaines à la rue, Aref a accepté un de ses retours volontaires début 2013. Peu de temps après son retour en Afghanistan, Aref était assassiné.

Pour le gouvernement, les retours volontaires ont l'avantage de coûter moins cher. Maggie De Block se targue d'avoir fait des économies…
Elle fait des économies sur l'accueil en mettant un maximum de gens à la rue. Ces familles se tournent alors vers les centres d'urgence qui normalement, sont prévus pour les SDF. Après, on s'étonne qu'il y ait un problème avec le Plan Grand Froid. Or, on oublie un peu trop souvent que Maggie De Block a aussi la lutte contre la pauvreté dans ses compétences. Et c'est sur ce point qu'elle patauge le plus. La politique qu'elle mène pour l'asile crée une misère insupportable. Mais sur ça, elle n'est jamais interrogée. À croire que tout le monde se fout des pauvres, qu'ils soient belges ou afghans. 

Quelles solutions prônez-vous ?
Nous demandons au minimum un moratoire sur les expulsions. En 2014, les troupes de l'OTAN devraient quitter l'Afghanistan et ça risque de tourner à la guerre civile là-bas. Des élections doivent être organisées, mais difficile de savoir comment cela va se passer. Nous demandons donc d'attendre au moins un an après le scrutin pour voir quelle est la situation en Afghanistan. Nous voulons aussi une position commune du gouvernement. La Défense et la Coopération estiment que le pays est très dangereux. Mais pas l'Asile qui continue à y renvoyer des réfugiés.

Certains prétendent qu'en allégeant la politique d'asile, nous allons être submergés par les demandes. La crainte est-elle fondée ?
Non et plusieurs raisons le prouvent. La Belgique a déjà été plus laxiste et nous n'avons jamais été envahis. Aujourd'hui par exemple, nous répondons favorablement à plus de 90% des demandes de réfugiés syriens. Nous ne sommes pas submergés par ces derniers pour autant. En outre, c'est tellement le chaos chez eux que la plupart des Afghans ne savent même pas où est la Belgique ni quelle est sa politique d'asile. Et même s'ils le savaient, c'est encore très difficile de parvenir jusqu'ici. Enfin, il y a un système au niveau européen qui fait que le premier pays où les empreintes du réfugié ont été prises est responsable du réfugié. Les Afghans des pays voisins n'afflueraient donc pas tout d'un coup en Belgique si nous décidions d'un moratoire.
 
 
Source: Investig'Action
 
 
Voir aussi la politique d'asile expliquée en bande dessinée: Maggie De Block pour les nuls
 

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