“Alep a retrouvé la paix”

La deuxième ville du pays comptait 40 000 Arméniens avant la guerre, il en reste la moitié. Natif de cette ville, où il a son siège, l’archevêque de l’Église apostolique arménienne en Syrie, Mgr Chahan Sarkissian, espère que la ville pansera vite ses blessures.

 

Propos recueillis par François Janne d’Othée

 

À quoi ressemble Alep cinq mois après la fin du conflit qui l’a en partie ravagée ?

On tente de nettoyer les « poussières de la guerre » et on constitue les dossiers pour le gouvernement et les ONG afin de refaire d’Alep la belle ville qu’elle a été, tout en la modernisant. La population a diminué et beaucoup de déplacés se sont installés au centre-ville. Les commerçants partis en exil ne reviennent qu’au compte-gouttes, d’autant que tout a été pillé. Les bâtiments administratifs sont remis en état afin d’assurer les services de base, comme la délivrance de papiers d’identité. Beaucoup d’archives ont brûlé, mais les autorités ont pris le temps de les numériser.

 

Que manque-t-il ?

On essaie de reconstruire quelques maisons. L’eau coule à présent dans toute la ville, mais les tuyaux manquent encore çà et là. L’électricité devrait revenir début juillet. On peut déjà voir les câbles à haute tension depuis Hama, car nos centrales sont hors d’usage. Les grandes agences de l’Onu ont réussi à nous faire parvenir les produits de base. La diaspora arménienne et la République d’Arménie nous soutiennent énormément. Nous collaborons avec les autres Églises et nous distribuons des vivres pour les citoyens musulmans, chrétiens, arméniens.

 

Des citoyens d’origine arménienne vivaient-ils dans la partie contrôlée par les rebelles ?

D’abord, nous préférons parler de groupes armés, car si on commence à les qualifier, cela devient politique. Les Arméniens n’étaient pas nombreux dans cette partie. Il y avait toutefois une église qui a été brûlée, tout comme des maisons pour retraités et handicapés, sans parler des magasins. Les gens ont pu fuir à temps. À la fin, il ne restait plus que deux vieux Arméniens de l’autre côté. Les groupes armés ont exhibé leurs photos pour montrer qu’ils étaient tolérants avec les chrétiens, mais ce n’était pas le cas.

 

Pour ces Arméniens, la réunification de la ville est donc une bonne nouvelle ?

Le 22 décembre, nous nous sommes dirigés ensemble, musulmans et chrétiens, vers la mosquée Al-Rahman pour célébrer la libération de la ville, en priant le même Seigneur pour qu’il nous protège tous, et même les infidèles (il rit).

 

Au même moment, on éteignait la tour Eiffel, à Paris, en signe de solidarité…

Des gens chez vous ont regretté la fin de la guerre ? C’est leur affaire. Que préféraient-ils ? Poursuivre la guerre et la barbarie ? Nous montrons aujourd’hui l’exemple d’une paix qui réunit les différents groupes, car la majorité des gens sont pacifiques. Nous, cela fait 1 400 ans que nous vivons avec les musulmans. Espérons que cette coexistence se poursuive en y ajoutant le mot de passe : démocratie. Car nous trouverons une solution démocratique aussi.

 

Beaucoup reprochent aux Églises de faire le jeu du régime. Parce qu’il protège les minorités ?

Je n’aime pas cette expression de minorités, car nous sommes des citoyens comme les autres. La majorité des gens est en effet sunnite. Mais eux aussi ont été protégés par l’armée syrienne. Quand les musulmans d’Alep se sont réfugiés à l’ouest, nous leur avons ouvert maisons et écoles. C’est un juste retour des choses : nous les Arméniens, nous avons été protégés par les musulmans pendant des années lorsque nous avons trouvé asile en Syrie après le génocide de 1915.

 

Quel message répétez-vous à vos interlocuteurs en Europe ?

D’abord, essayons de comprendre ce qui se passe au Moyen-Orient, car la guerre a commencé en Irak il y a 15 ans. Ensuite, restons ouverts pour discuter avec tout le monde. Certains disent : « Oui, mais pas avec le gouvernement. » C’est une erreur majeure : dans une guerre, il y a toujours des canaux de communication. Ce n’est pas en restant en Europe et en parlant de légitimité (ndlr : du président) qu’on arrivera à la paix. Si la population veut changer de président, il peut le faire de façon civilisée, humaine et démocratique.

 

Source: Article repris du numéro de juin 2017 d’Afrique-Asie 

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