3 femmes palestiniennes racontent leur combat

« J’ai un fils de 18 ans qui a été arrêté par les Israéliens il y a 8 mois. Cette année, il devait passer son baccalauréat. », «Mon futur mari ne voulait pas que je participe à la vie politique, aux manifestations. Je l’ai quitté. Je veux exister en tant que femme et être indépendante.», « Cela fait 18 mois que mon mari a été assassiné et il n’y a toujours pas eu d’audience. Je réclame justice !»

Investig’Action vous offre le témoignage de trois femmes palestiniennes, à partir de l’excellente brochure « Palestiniennes ! », réalisée par la journaliste Elsa Grigaut et la photographe Claire Goulois.



Abeer Enab


« Je suis née à Naplouse le 21 mars 1984, j’habite le quartier de Rafidia avec ma mère, mes frères et mes sœurs. Mon père est décédé. Ma famille est progressiste et me soutient dans mon engagement militant au sein du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), ils comprennent que je dois souvent être à l’extérieur. J’ai beaucoup appris de mon père, c’était un intellectuel féministe de gauche. Il m’a enseigné comment être militante, comment protéger nos droits. Il m’a appris ce que sont la liberté, la lutte et le rôle que je pouvais avoir un fait dans la société. Durant la première intifada, mon père a été arrêté par l’armée Jordanienne avant d’être condamné à mort. Il était en garde à vue quand sa mère est décédée et il n’a pas pu se rendre à l’enterrement. Il était engagé dans un groupe qui projetait de faire un coup d’Etat en Jordanie. Heureusement, l’un de mes oncles était haut placé dans l’armée de ce pays et il a pu intercéder en sa faveur et faire réduire la peine à 10 ans de prison, puis 3 ans.

Mon père m’a toujours encouragée à me révolter. Toute ma famille a toujours été inquiète de me voir militer mais pas mon papa. Si je ne l’avais pas fait, je n’aurais pas été sa fille. Au début des années 2000, je me suis beaucoup engagée contre les attaques de l’armée israélienne sur Gaza. J’ai manifesté en faveur des prisonniers Palestiniens et contre les divisions entre le Hamas et le Fatah.

Je suis convaincue que la femme a le droit de participer à la vie politique et à la résistance, aussi légitimement que l’homme. Durant les dernières élections municipales à Naplouse (automne 2012), je me suis engagée dans la campagne avec la liste appelée «Naplouse pour tout le monde ». Même si cette dernière est composée de personnalités dites « de gauche », la parité est loin d’être acquise. En Palestine, la loi réserve 20% des sièges du gouvernement et du parlement aux femmes. En théorie, les hommes de cette liste sont tous d’accord sur la parité, mais dans les faits, nous n’étions que deux femmes et pas en tête de liste (moi troisième et elle quatrième). Dès que nous et nos colistiers devions participer à un meeting important, notamment à la mairie, les hommes ne nous laissaient pas prendre la parole. Ma camarade et moi-même les avons menacés de boycotter la campagne et les élections si les choses ne changeaient pas.

Je me bats pour que les femmes puissent prendre part à la vie sociale et politique. J’espère qu’à l’avenir nous pourrons constituer des listes électorales 100% féminines, comme à Hébron (1). Même si notre liste a perdu les élections, ce n’est pas un échec car il y a eu une véritable avancée sur la question de la présence féminine dans la vie politique. Vous savez, ce sont les femmes qui coordonnent la résistance ! Nous espérons que la loi changera.

Nous avons fait un test au sein de l’Union des Comités des Femmes Palestiniennes (2), en proposant aux hommes d’intégrer l’association mais seulement à hauteur de 20%. Ils se sont prêtés au jeu mais tout cela reste symbolique puisqu’il s’agit d’hommes féministes. Pour moi, les femmes sont toujours persécutées et marginalisées. Les violences qui leur sont faites sont en constante augmentation. Beaucoup d’entre nous sont assassinées par leurs frères ou leurs pères au nom du « crime d’honneur ». Chaque semaine une femme meurt dans notre pays au nom de « l’honneur » de sa famille. Par exemple, il y a un an dans le village de Qusra, une femme a été tuée par son frère. Ce dernier ne voulait pas qu’elle touche un héritage, alors il a invoqué le crime d’honneur et a donc été relâché très rapidement. Il est urgent de créer des lois pour mieux protéger la femme. Les associations militantes autour de ces questions ne sont pas assez écoutées. Les crimes d’honneur doivent être sévèrement punis et les hommes qui le pratiquent doivent être condamnés à la peine de mort (3). L’oppression des femmes est profondément ancrée dans notre société. Quand un homme veut divorcer, ça se règle en une seule audience devant un juge. Mais si c’est une femme, c’est beaucoup plus compliqué, cela traîne pendant des mois, les audiences se multiplient.

Il y a un an, j’étais fiancée et très amoureuse. Mais mon futur mari ne voulait pas que je participe à la vie politique, aux manifestations. Je l’ai quitté. Je suis ressortie plus forte de cette histoire et je vais continuer mes activités militantes sans regarder en arrière. Je veux exister en tant que femme et être indépendante.

La femme de Palestine peut faire mieux que l’homme ! Nous devons participer aux élections, être plus présentes au sein du gouvernement et du parlement. Nous devons réunifier le peuple et faire cesser les divisions entre le Hamas et le Fatah. Nous devons absolument créer des lois pour protéger la femme et améliorer ses conditions de vie. Et ce n’est pas la peine de demander à un homme de faire des lois pour les femmes !

Je fais également des activités avec les enfants dans les écoles du district de Naplouse et à Ramallah. Je leur explique ce qu’est le boycott des produits israéliens et quel est son objectif. Je participe aussi aux campagnes de plantation d’oliviers dans la vallée du Jourdain.

Je suis également membre administratif du syndicat des médecins de Palestine et je suis la représentante de ce dernier à Naplouse. L’administration compte vingt-quatre membres dont quatre femmes. J’ai été élue comme représentante une première fois en 2005 pour une durée de trois ans et j’ai été réélue en 2009. Les prochaines élections se tiennent en septembre et je vais me représenter à nouveau.

Au début c’était un peu compliqué de faire ma place, notamment avec les militants du Hamas mais maintenant nous arrivons à travailler ensemble. Je suis contente d’être impliquée syndicalement en tant que femme palestinienne, d’être capable de réaliser des actions aussi bien qu’un homme. Je suis contente aussi de la réussite de notre syndicat concernant les luttes menées au sujet du salaire fixe et des jours de congé. Nous nous sommes également battues concernant les congés maternité et nous avons gagné : avant c’était deux mois, maintenant c’est trois mois. Nous avons obtenu que la loi concernant les deux jours de congé hebdomadaire soit respectée. »


Notes:

1. Pour les dernières élections municipales dans la ville d’Hébron en octobre dernier, une liste composée entièrement de femmes a été constituée, menée par Maysun Qawasmi, NDLR

2. Association implantée dans toutes les grandes villes où elle s’organise autour de comités locaux. Elle participe au mouvement d’émancipation des femmes palestiniennes et au renforcement du mouvement de libération nationale.

3. Cette peine existe mais n’est pas appliquée en Cisjordanie depuis plusieurs années, elle l’est par contre à Gaza avec plusieurs exécutions ces dernières années, NDLR



Oum Mohamad, epouse d’Issam Kamal Abed Badran Odeh


“J’ai six frères et cinq sœurs; ma mère est décédée quand j’avais 12 ans, je me suis occupée de toute ma famille avant de me marier à l’âge de 14 ans avec Issam Kamal Abed Badran Odeh. J’ai eu l’honneur de vivre à ses côtés pendant dix-huit années. J’ai eu quatre fils et trois filles, les deux derniers ont quatre et trois ans. Mon fils aîné à 18 ans et s’appelle Mohamad.

Il était là le jour de l’assassinat de son père. Le 23 novembre 2011, mon mari, Issam Kamal Abed Badran Odeh s’est levé pour aller travailler la terre de Qusra avec ses amis. Il a pris son petit déjeuner, puis a lu le Coran pendant une heure avant d’aller travailler jusque 12h. Il est rentré à la maison pour déjeuner avant d’aller à la mosquée pour la prière du vendredi.

C’est à ce moment-là que la mosquée a prévenu les habitants du village que les colons attaquaient le sud de Qusra. Mon mari a demandé aux enfants de rester à la maison avec moi. Il a dit qu’il ne rentrerait pas. Habituellement lors des affrontements, mon mari ne nous disait pas au revoir avant de sortir mais là, il a salué tout le monde. Il a empêché les enfants de le suivre et moi j’ai essayé de l’empêcher de sortir mais il a dit : « C’est l’heure où la Palestine m’appelle ».

Notre voisin a essayé de le raisonner en lui rappelant qu’il avait une famille. Je savais qu’il ne rentrerait pas. Notre fils aîné, Mohamad a décidé de le suivre. L’armée israélienne est arrivée sur les lieux des affrontements et a tiré sur mon mari. Au début, alors qu’il était blessé, Mohamad pensait que son père allait s’en sortir et rentrer à la maison. Et puis mon fils a compris, il est venu nous annoncer la nouvelle de la mort de son père.

Un procès est en cours, nous avons cinq témoins. Nos trois avocats sont payés par une O.N.G israélienne qui vient en aide aux Palestiniens. C’est le père de mon mari et l’Autorité Palestinienne qui s’occupent de cela. Cela fait 18 mois que mon mari a été assassiné et il n’y a toujours pas eu d’audience. Un procès ne servirait à rien. Je suis prête à tuer celui qui a tiré sur mon mari. Je réclame justice !

Œil pour œil, dent pour dent. Je ne veux pas d’argent, ni de trésor, juste mon mari. Personne ne peut imaginer la tristesse qu’il y a dans ma maison depuis qu’il est absent »



Ibtissam Jaber Hamada


« Je suis née en 1967 dans le village d’Abu Kishek (territoires de 1948). Ma famille avait une petite maison et beaucoup de terre, des oliviers, du blé, un cheval. Le village était paisible. Les habitants de ce lieu étaient réputés pour leur gentillesse et leur générosité. Les hommes de ma famille étaient sollicités pour jouer le rôle de médiateur en cas de conflit entre deux personnes.

Nous avons dû fuir en 1948 et nous n’avons jamais accepté d’être des étrangers dans notre propre pays.

Nous, les Palestiniens qui avons été obligés de fuir en 1948, nous ne sommes pas les bienvenus chez nos autres frères et sœurs de Cisjordanie. Non seulement nous sommes persécutés par l’occupant israélien, mais nous ne sommes pas non plus acceptés par notre propre peuple.

Dernièrement, je suis partie à la campagne pour un pique-nique avec ma famille. Nous voulions passer une belle journée ensemble, nous rappeler de « comment c’était avant ». Je pense chaque jour à cela. Mais des enfants et des jeunes du village nous ont lancé des pierres. Voilà comment ça se passe ici pour les réfugiés. Mon père m’a raconté mon histoire. J’avais 38 jours et il était au chômage, ma mère était fatiguée après l’accouchement.

A plusieurs centaines de mètres de notre maison, il a aperçu des chars qui arboraient le drapeau irakien. Mais quand ils sont arrivés près de la maison, il a vu qu’il s’agissait en réalité de chars israéliens qui, pour nous approcher au plus près, avaient choisi un drapeau arabe.

Mes parents et les gens du village étaient paniqués. Tout le monde cherchait à rassembler ses enfants pour fuir. Ils sont partis tous ensemble, sans rien à manger et rien à boire puis ils se sont réfugiés dans la mosquée du village de Beit Furik. Plus tard et jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours cherché à préserver ma culture, qu’il s’agisse des vêtements, des bijoux que je porte ou de la cuisine. Je garde précieusement en moi la façon dont mes parents m’ont éduquée et j’ai élevé mes enfants de façon traditionnelle.

J’ai un fils de 18 ans qui a été arrêté par les Israéliens il y a 8 mois. Les Israéliens sont venus le chercher en pleine nuit à la maison. Cette année, il devait passer son baccalauréat. Un autre de mes fils est en cavale depuis 10 ans car il est recherché par les Israéliens. Ma fille aînée est mariée avec un homme qui n’est pas de Balata. Il la méprise, lui rappelle sans cesse qu’elle est une réfugiée.Les policiers de l’Autorité Palestinienne nous méprisent aussi. Vous savez, nous les habitants de Balata, nous les appelons les « juifs », parce qu’ils se comportent exactement comme les Israéliens quand ils viennent à l’intérieur du camp.

J’ai participé, il y a quelques mois, à la révolte des jeunes de Balata contre l’Autorité Palestinienne. J’essayais d’apaiser les tensions mais je suis, moi aussi, en colère contre le gouvernement. Toute l’aide financière qu’il reçoit des pays étrangers ne bénéficie pas au peuple ! Ici, pendant la seconde intifada, c’était très compliqué, nous étions enfermés et nous n’avions rien à manger. Chaque jour, nous tentions de sortir de Balata pour ramener de la nourriture.

Il y a un an, j’ai été élue au comité local de Balata. Cette administration qui régit le camp essaie d’aider les habitants dans leur vie quotidienne. Les élus sont membres soit du Fatah, soit du Front Populaire de Libération de la Palestine, ils peuvent être professeurs, médecins ou religieux. Le jour des élections, tout est sécurisé, les comités locaux des autres camps de réfugiés participent à l’organisation et au bon déroulement du scrutin. Lors des dernières élections, vingt-six personnes étaient candidates dont quatre femmes, moi y compris. L’une d’elles a abandonné pendant la campagne, une autre n’a pas remporté assez de voix. Nous sommes donc deux femmes élues et le comité local de Balata compte désormais 13 membres.

Je suis chargée de coordonner les liens avec les autres camps de réfugiés et je m’occupe des affaires féminines de Balata, j’organise les festivités à l’intérieur du camp lors des jours de fête nationale ou religieuse, comme la commémoration de la Nakba ou pendant le ramadan. Avec le comité local, nous organisons des camps d’été, des voyages à Ramallah et Jéricho pour les enfants de prisonniers et de martyrs mais aussi pour les handicapés. Nous essayons également d’accompagner les femmes les plus isolées et les plus démunies vers l’emploi.

Ce n’est pas facile de s’impliquer dans la vie politique quand on est une femme. La veille du scrutin, le Fatah organisait une réunion au centre des jeunes du camp. Les dirigeants et les renseignements généraux du parti étaient présents. Beaucoup étaient contre moi et ne voulaient pas que je me présente car ils savent que je me bats contre la corruption. Ils ont essayé de me mettre la pression en racontant des mensonges sur moi.

Même les deux autres femmes en lice étaient contre moi car elles savaient que j’allais probablement gagner ces élections si j’allais jusqu’au bout. Heureusement, les gens à Balata me connaissent et me respectent, certains m’ont soutenue. Concernant la liste électorale, les hommes voulaient voir leurs noms inscrits en premier mais je les ai menacés pour obtenir que les noms apparaissent par ordre alphabétique. Un des dirigeants du Fatah a énormément fait pression sur moi pour que j’arrête tout. Mais je lui ai dit que s’il continuait, j’allais révéler à tout le monde qu’il était alcoolique…il gardera le silence jusqu’à sa mort.J’essaie de faire de mon mieux, d’être disponible et de donner tout ce que je peux. Mes journées sont chargées de travail et le soir, je dois encore m’impliquer dans la vie politique du camp. Ma famille, mes frères et mes cousins me font entièrement confiance, ils ne m’ennuient pas concernant mes activités.

La vie est politique. Le moindre geste est politique, surtout ici en Palestine : rendre visite à sa famille, avoir un drapeau, les jeux des enfants (« jouer aux juifs et aux Arabes »).

J’ai voulu défendre mon cousin, je me suis fait tirer dessus. Toute ma famille a toujours été engagée. Mon fils a été arrêté, l’autre est recherché, je suis militante du Fatah, je me dois d’être impliquée dans la vie politique. Je me suis mariée, j’ai eu trois filles et deux fils. Je me suis séparée de mon mari en 1994 et j’ai officiellement divorcé en 2010. »


Propos recueillis par Elsa Grigaut/ Photos Claire Goulois

Source: "Palestiniennes!"

 

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