Covid-19: Le masque étasunien de la mort

Le système de santé aux États-Unis expose ses citoyens à des risques plus grands face à l’épidémie de coronavirus. Interpellant, d’autant plus que nos dirigeants européens, à grands coups de réformes néolibérales, nous poussent depuis des années vers ce modèle… (IGA)


La Mort rouge avait pendant longtemps dépeuplé la contrée. Jamais peste ne fut si fatale, si horrible. … Mais le prince Prospero était heureux, et intrépide, et sagace. Quand ses domaines furent à moitié dépeuplés, il convoqua un millier d’amis vigoureux et allègres de cœur, choisis parmi les chevaliers et les dames de sa cour, et se fit avec eux une retraite profonde dans une de ses abbayes fortifiées. C’était un vaste et magnifique bâtiment, une création du prince, d’un goût excentrique et cependant grandiose. Un mur épais et haut lui faisait une ceinture. Ce mur avait des portes de fer. Les courtisans, une fois entrés, se servirent de fourneaux et de solides marteaux pour souder les verrous.

Ils résolurent de se barricader contre les impulsions soudaines du désespoir extérieur et de fermer toute issue aux frénésies du dedans. L’abbaye fut largement approvisionnée. Grâce à ces précautions, les courtisans pouvaient jeter le défi à la contagion. Le monde extérieur s’arrangerait comme il pourrait. En attendant, c’était folie de s’affliger ou de penser. Le prince avait pourvu à tous les moyens de plaisir. Il y avait des bouffons, il y avait des improvisateurs, des danseurs, des musiciens,il y avait le beau sous toutes ses formes, il y avait le vin. En dedans, il y avait toutes ces belles choses et la sécurité. Au-dehors, la « Mort Rouge ».Edgar Allan Poe, « Le masque de la Mort Rouge », traduction de Charles Beaudelaire, 1842.

« C’est scandaleux! Même en plein pendant la pire crise sanitaire que notre pays ait connue depuis des décennies, les assureurs veulent nous montrer qu’ils prévoient toujours de tirer profit du traitement des victimes du coronavirus. Ce n’est que l’exemple choquant le plus récent de l’avidité du système d’assurance maladie à but lucratif, qui met en évidence la nécessité d’un système “Medicare for All”. Celui-ci garantirait l’accès aux tests et aux soins de santé à tout habitant des États-Unis. Si les coûts des tests étaient supprimés, mais pas ceux du traitement, les personnes dont le résultat du test pour le coronavirus est positif pourraient ne pas être en mesure de se payer le traitement et continueraient à infecter les autres. » – Melinda St. Louis, Directrice de Public Citizen’s Medicare for All Campaign.

 

 

Le fameux 1 %, y compris les dirigeants de l’industrie de la santé dont les salaires s’élèvent à plusieurs millions de dollars, vit peut-être dans leurs « abbayes fortifiées », coupé de la racaille à l’extérieur qui « s’arrangerait comme [elle] pourrait ». Jusqu’à présent, ils s’en sont tirés grâce à un système d’hypermarché, un modèle économique néolibéral en place depuis la fin des années 1970. Ce système a fait passer la richesse de la majorité de la population à cette minuscule minorité qui vit dans de « vastes et magnifiques bâtiments », loin de la population qu’elle escroque.

Une partie de ce transfert de richesse implique un système d’assurance maladie ridiculement onéreux qui exclut plus de 80 millions d’Étasuniens. Ce type de transactions reflète l’hyper-individualisme au cœur de la culture d’entreprise américaine. Ce message, c’est :  débrouillez-vous tout seul. Jusqu’à ce que quelqu’un vous vienne en aide.

Ils peuvent fermer leurs portes de fer à la pauvreté, une pauvreté qu’ils créent et dont ils nient l’existence.  Cependant, ils ne peuvent pas les fermer à une maladie hautement contagieuse. Leur mépris absolu à l’égard du bien-être de la nation tout entière les menace. Les dirigeants de l’industrie de la santé sont eux-mêmes à risque, car ils ont choisi les profits avant la santé publique.

« Notre système ne fonctionne pas comme ça »

« Le système n’est pas vraiment conçu pour répondre aux besoins actuels, c’est-à-dire ce que vous demandez. Il a échoué. Admettons-le. En fait, le système et la composante de santé publique dont parlait le Dr Redfield ont été mis en place de façon à ce qu’on mette un produit à la disposition du public, qu’un médecin en fasse ensuite la demande afin de que vous puissiez l’obtenir. L’idée selon laquelle tout le monde pourrait l’obtenir facilement comme on le fait dans d’autres pays n’est pas adaptée à notre système. Est-ce que je crois qu’elle devrait l’être? Oui. Mais notre système ne fonctionne pas comme ça ».

Le masque de la Mort Rouge par FlamiatheDemon (Deviant Art- flamiathedemon.deviantart.com)

Les États-Unis ne ressemblent pas au reste du monde industrialisé qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, dispose d’une sorte d’assurance maladie nationalisée couvrant tous les citoyens, quelle que soit leur capacité de payer. Après la guerre, beaucoup des partisans qui avaient aidé à vaincre les nazis étaient des socialistes qui exigeaient quelque chose en échange de leur gouvernement. De nombreux soldats britanniques étaient des électeurs travaillistes. Ils ont chassé le chef de guerre Winston Churchill lors des élections de 1945, et le National Health Service a été créé en 1948.

Même si, à la même époque, Harry Truman a lancé l’idée d’instaurer une médecine socialisée aux États-Unis et la loi sur l’assurance maladie de 1965 a finalement couvert l’ensemble des Étasuniens, la cupidité des intérêts commerciaux médicaux l’a toujours emporté. Elle empêche des millions d’Étasuniens potentiellement infectés d’être testés ou traités. Cette attitude met en danger ceux-là mêmes qui, dans leurs hautes tours, « pouvaient jeter le défi à la contagion ».

On reconnut alors la présence de la Mort Rouge. Elle était venue comme un voleur de nuit. Et tous les convives tombèrent un à un dans les salles de l’orgie inondées d’une rosée sanglante, et chacun mourut dans la posture désespérée de sa chute. Et la vie de l’horloge d’ébène disparut avec celle du dernier de ces êtres joyeux. Et les flammes des trépieds expirèrent. Et les Ténèbres, et la Ruine, et la Mort Rouge établirent sur toutes choses leur empire illimité.

Le socialisme à la rescousse

Lorsque le système économique des oligarques s’est effondré en 2008 à cause de la spéculation excessive, le gouvernement étasunien a pris une décision inimaginable. Il a nationalisé les industries pour les sauver. Il a utilisé le socialisme pour sauver le capitalisme. Mais c’était temporaire. Une fois l’économie suffisamment redressée, les États-Unis sont revenus au fondamentalisme du marché.

Si la crise du coronavirus se rapproche des chiffres avancés par de récentes études (jusqu’à 240 millions d’Américains infectés et un million de morts), on peut s’attendre sérieusement à ce que le Congrès adopte et promeuve un système à payeur unique.

Or, une fois le virus contenu, on peut s’attendre à ce que nos primes augmentent à nouveau. Tout comme la nationalisation lors de la crise financière de 2008, une assurance maladie nationale temporaire ne serait promulguée que pour sauver les oligarques de la Mort Rouge.

 

Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant du Wall Street Journal, du Boston Globe, du Sunday Times de Londres et de nombreux autres journaux.  Pour le contacter, veuillez écrire à joelauria@consortiumnews.com et le suivre sur Twitter @unjoe.

 

Source originale: Consortium News

Traduit de l’anglais par Laurent Sioui pour Investig’Action

Source: Investig’Action

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