Amérique Latine : Le TPP est une menace pour les droits de l’homme

L’objectif dissimulé du TPP est la création d’un blocus commercial mené par les États-Unis pour mettre un frein au rôle croissant de la Chine comme principal acteur géopolitique et économique mondial.

Cet article est extrait du Journal de Notre Amérique du mois de mars (n°12)

En octobre dernier, le gouvernement chilien a ratifié le texte de l’Accord Transpacifique, ou TPP (Trans-pacific Partnership) à l’instar de onze autres gouvernements. On parle d’un accord qui a été négocié en secret pendant des années et dont l’objectif serait la création du plus grand marché de la planète, et qui compterait comme membres, en autres, les États-Unis, l’Australie, le Canada, le Japon, le Mexique, le Pérou, le Chili et qui représenterait au total 40% du PIB mondial. Son objectif non avoué est la création d’un blocus commercial mené par les États-Unis pour mettre un frein au rôle croissant de la Chine comme principal acteur géopolitique et économique mondial.

Aux côtés des États-Unis, les défenseurs les plus actifs du TPP ont été les multinationales. Bien que l’analyse en profondeur des contenus et des implications des six mille pages de l’accord soit toujours en cours, les informations que nous avons aujourd’hui permettent de comprendre l’intérêt des multinationales à ce que l’accord soit ratifié. En effet, le TPP établit comme délai minimum de protection des droits d’auteurs et des droits voisins à 70 ans après la mort de l’auteur.

C’est 20 ans de plus que ce que prévoient la Convention de Berne (1986) et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de 1994. Il prévoit aussi le rallongement de la durée de protection des données sur les médicaments biologiques de huit ans, empêchant l’entrée sur le marché des versions génériques de médicaments déjà déposés.

Dans le cas du Chili, qui prévoit une protection de cinq ans, le coût sera de 770 millions de dollars par année supplémentaire selon la sous-secrétaire à la Santé. Si l’accord reconnaît l’importance des connaissances traditionnelles associées aux recours à la génétique, il limite leur protection à la propriété intellectuelle. De plus, il réitère l’obligation faite au Chili de sortir de l’UPOV 1991, accord qui établit un système de « protection » des droits des « obtenteurs de végétaux », parmi lesquels la reproduction et la commercialisation d’espèces végétales, dont beaucoup sont développées à partir des connaissances traditionnelles des peuples indigènes et des communautés rurales.

En terme de commerce électronique, les pays se voient obligés d’autoriser le transfert inter-État des informations par voie électronique, même lorsque ces informations sont à caractère privé ou sensible, sans tenir compte du niveau de protection des données que ces pays possèdent. De plus, on soumet la protection des données aux besoins du commerce international. En ce qui concerne l’environnement, le TPP stipule que les États ne peuvent faire appliquer leurs lois environnementales si celles-ci affectent le commerce ou l’investissement, soumettant la politique environnementale au commerce. Même si ce chapitre prévoit une protection environnementale en ce qui concerne la couche d’ozone, les espèces exotiques envahissantes ou encore la pêche maritime, les obligations pour les parties sont minimes, de même que la participation publique qu’il propose.

Mais le chapitre qui est probablement le plus grave, est celui relatif aux investissements (XX), qui établit l’obligation pour les États d’octroyer aux investisseurs un « traitement juste, équitable et une protection et une sécurité totales. » Il les oblige également à ne pas exproprier ni nationaliser leurs investissements, que ce soit directement ou indirectement, sans qu’une offre publique non discriminatoire ne soit proposée et moyennant une indemnisation effective.

Afin de déterminer si un acte étatique constitue une expropriation indirecte, le TPP examine son caractère, son impact économique, et l’interférence avec « des perspectives non équivoques et raisonnables de l’investissement », ce qui laisse la porte ouverte aux investisseurs pour contester des décisions de politique publique et pour considérer ces dernières comme des expropriations indirectes. Bien qu’il soit permis de prendre des décisions de régulation « non discriminatoires » visant à protéger « des objectifs légitimes de bien-être public comme la santé, la sécurité et l’environnement », d’autres actions menées par l’État sont laissées de côté à l’instar des droits relatifs à l’emploi, ou encore de la sécurité sociale.

De plus, pour que les investisseurs puissent régler leur litige avec les États, il leur est désormais possible de faire appel à des tribunaux arbitraux tel que le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIADI).

Un tel dispositif affaiblit la souveraineté des États en matière de mesures législatives ou politiques qui viseraient à améliorer la démocratie et les droits sociaux, mesures qui ces dernières années se sont vu contestées par des entreprises qui s’estimaient lésées commercialement. Une récente étude rapporte que les investisseurs ont effectué plus de 600 demandes devant le CIADI pour des supposés manquements des États à leur obligation de protéger les accords commerciaux. Les chiffres officiels de cette même étude montrent que sur 269 cas recensés en 2013, 82 impliquaient des États latino-américains (environ 30,5%) et leur ont rendu des décisions défavorables dans une multitude de cas. Ce pourcentage a augmenté de manière drastique ces dernières années puisque sur les 175 cas en cours de jugement 74 visent des États latino-américains (soit 43,5%).

L’intégration dans des accords comme le TPP de clauses limitant la capacité des États à garantir les droits de l’homme enfreint les Principes directeurs sur les droits de l’Homme et les entreprises approuvés par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies et par le Chili en 2011. Ces principes enjoignent les États à « …maintenir un cadre normatif national approprié afin de garantir le respect de ses obligations en termes de droits de l’homme lorsque des accords politiques sur des activités entrepreneuriales avec d’autres États ou entreprises sont conclus, à travers des traités ou des contrats d’investissement par exemple ».

Lors de la réunion de l’APEC qui se tenait aux Philippines en novembre dernier, la présidente Bachelet a affirmé son total soutien au TPP déclarant que celui-ci était « bon » pour le pays. Le directeur général des Relations Économiques Internationales (DIRECON), Andrés Rebolledo, alors interrogé par le collectif Chile Mejor sin TPP, qui regroupe plus de 80 organisations sociales, sur l’existence d’études corroborant les propos de Bachelet, a reconnu qu’il n’en existait pas encore. Mais il a indiqué qu’une prestigieuse université du pays avait été chargée d’en réaliser. De plus, l’importance qu’ont accordée les négociateurs aux droits de l’homme avant de décider de ratifier l’accord n’est pas claire. Tout porte à croire qu’ils n’en ont pas tenu compte.

D’autre part, il est évident que les nombreux traités de libre échange (TLC) qu’a ratifiés le Chili au cours des dernières décennies avec plus de 60 pays ont provoqué de manière directe l’augmentation des investissements dans l’extraction et la production sur des terres et des territoires indigènes. Mines dans le nord, boisement et salmoniculture dans le sud, projets énergétiques et d’infrastructures dans le reste du pays. Tout cela aussi bien à travers des entreprises domiciliées à l’étranger et attirées par les accords que le Chili a ratifiés avec leur pays d’origine qu’à travers l’ouverture de marchés aux entreprises nationales, comme Codelco et SQM pour les mines et les entreprises forestières Arauco et Mininco (CMPC) pour le boisement. De la même manière, et conformément à la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui oblige l’État à consulter les peuples indigènes en cas de législation susceptible de les affecter directement, cet accord commercial ne peut être ratifié par le Congrès, si la Présidente décide de le faire comme elle a déclaré en avoir l’intention, sans consulter au préalable ses institutions représentatives. À cet égard, les déclarations du directeur du DIRECON sont inquiétantes au sens où, selon son analyse, la signature du TPP ne requiert pas de consulter les peuples indigènes.

Parallèlement aux négociations que l’État mène autour du TPP, le gouvernement a annoncé en 2014 la création d’un plan national pour les entreprises et les droits de l’homme et qui, avec la participation active des citoyens, devrait permettre de revoir le contenu du cadre normatif ainsi que la politique publique de l’État. Il devrait en être de même concernant la conduite des entreprises, en accord avec les Principes directeurs sur les droits de l’Homme et les entreprises des Nations Unies. Le débat autour du TPP ne doit pas être occulté lors du processus d’élaboration de ce plan. Il en va de même pour le droit des peuples indigènes à être consultés et à donner leur avis sur le bien fondé ou non de la ratification de cet accord commercial. Il y aura alors la possibilité d’un débat ouvert avec les citoyens et les peuples indigènes sur le sort à réserver au TPP et qui, nous sommes beaucoup à le penser avec des arguments ignorés jusqu’à présent, restreint gravement les droits de l’homme. Nous espérons que le gouvernement et le parlement le comprendront.

José Aylwin est le co-directeur de l’Observatoire Citoyen et secrétaire exécutif de la plate-forme Chili Mejor Sin TPP [NdT : Le Chili est mieux sans le TPP]

Source : El Desconcierto

Traduction : collectif Investig’Action

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