« Tu ne vois rien, tu ne sens rien et tu ne regardes rien »

Un soldat israélien a brisé le silence, par Daniel Sturm (Yougstown), le 30 août 2006.

http://www.sturmstories.com/IsraeliSoldier.htm

« Si chaque soldat israélien qui a maltraité un Palestinien pendant son service est envoyé en prison, tous les soldats y passeront. Vous ne pouvez faire votre service dans les territoires occupés sans agir comme un envahisseur. »

Les informations de midi ont montré des chars de combat israéliens bombardant la bande de Gaza.

Dans un café de Jérusalem, l’ancien soldat Yeyuda Saul, âgé de 23 ans, m’a informé qu’il avait pris un engagement personnel de dénoncer le combat immoral mené par l’armée israélienne.

L’ancien vétéran israélien d’origine canado-américaine a révélé qu’il est issu d’une famille ‘parfaitement conservatrice’ qui l’a persuadé à faire carrière dans les Forces israéliennes de défenses.

Cependant, durant ces 3 années de service et lors de combats menés en Hébron, le jeune soldat a été témoin de scènes de pillage et de tuerie qui l’ont bouleversées au point de quitter l’armée.

En juin 2004, Yeyuda Saul a fondé une organisation nommée Rompre le silence (Shovrim Shtrika en hébreu). Dans cette organisation, 350 anciens soldats israéliens y ont adhéré pour partager des expériences similaires. Selon Yeyuda Saul, l’organisation est en train de préparer, à l’échelle mondiale, une tournée de conférences et une exposition de photos dans le but d’apporter un regard critique sur l’occupation de la Palestine par l’armée israélienne.

Daniel Sturn : « Vous critiquez l’armée israélienne alors que vous en faisiez partie, n’est-ce pas hypocrite? »

Yeyuda Saul : « Je pense que tous les membres de l’organisation et moi-même agissons pour mériter l’attention publique. Depuis, ma première couche de bébé, changée par ma mère, il était évident que je serais un soldat. Ce n’est pas comme si je me suis réveillé un beau jour, à l’âge de 18 ans, et je me suis dit ‘Eh! Allons passer un bon moment dans les territoires occupés’. Quand j’étais dans les territoires occupés, vous pouvez dire que j’étais un soldat américain. Je me servais d’un M16 non fabriqué en Israël et je lançais des grenades achetées par les Américains. Par conséquent, tout le monde et encore plus les Américains doivent être au courant des événements qui surviennent dans le monde. Et comme je suis là, je vous informe de ceux d’ici. »

Daniel Sturn : « Quand avez-vous découvert la ‘corruption de l’occupation’, je reprends votre expression? »

Yeyuda Saul : « J’ai grandi, à Jérusalem, au sein d’une famille de droite. J’ai fait l’école secondaire dans une colonisation près de Ramallah. Quand j’ai atteint mes 18 ans, j’ai rejoint les Forces israéliennes de défenses sans trop me poser de questions. Cependant, la seule préoccupation que j’avais était de savoir à quel grade de l’armée je voulais accéder, voudrais-je faire partie de l’unité d’élite ou être un soldat ordinaire de l’infanterie? Mais à quoi j’ai assisté et pris part m’ont ouvert les yeux. »

Daniel Sturn : « Pouvez-vous expliquer davantage? »

Yeyuda Saul : « Le long des murs des colonisations sont couverts d’affiches sur lesquelles, il est marqué que les soldats doivent refuser de quitter les colonisations (tel mentionné dans le traité). En d'autres termes, elles indiquent comme Commandant, soldat vous devez distinguer le bien du mal, l’ennemi de l'ami. À l’armée, on nous a enseigné à expulser les ennemis (les Palestiniens), mais jamais nos amis (les colons). En fait, quand je me suis engagé dans l’armée, je ne voyais que blanc et noir du bien et du mal. J’ai compris plus tard que tout était plutôt gris. »

Daniel Sturn : « Que s’est-il passé à Hébron? »

Yeyuda Saul : « Comme Hébron est la deuxième grande ville de la Cisjordanie avec ces 150 000 Palestiniens, environ 600 colons (au centre) et 450 soldats. En 1997 et suite à la convention d’Oslo, elle fût divisée en deux parties. Sous l’autorité palestinienne s’y trouvaient 120 000 palestiniens et sous celle d’Israël 30 000 autres. Au début de l’Intifada, de 2000 et jusqu’à la moitié de 2002, les Palestiniens tiraient la nuit des coups de feu des montagnes en direction des colonisations. Notre officier subalterne nous donnait l’ordre de répliquer pour chaque tir. Nous avions trois postes de contrôle bien situés dans les quartiers palestiniens, où nous y avons posté des tireurs d’élite et des lanceurs de roquettes. Mon poste était à l’ancienne école d’Hébron. Notre mission était de cibler les maisons des Palestiniens. Je me souviens d’avoir été choqué quand j’ai entendu ceci ‘ Vous voulez dire que je dois cibler les quartiers palestiniens?’ Je me rappelle des règles de sécurité qu’on nous a enseignées lors de notre formation. Pour lancer des grenades actives, aucune personne ne devait être proche de 1 km de part et d’autre de la cible. Et maintenant, je devais bombarder un quartier résidentiel. La grenade est une arme précise qui tue toute personne se trouvant dans un rayon de 8 mètres et blesse dans un rayon de 16 mètres. La nuit, après les bombardements des Palestiniens, nous recevions l’ordre de presser la détente. Le premier jour, nous avons prié 4 à 5 secondes, espérant ne pas toucher un innocent. Le deuxième jour, on était moins tendu et le jour d’après on l’était de moins en moins. Après une semaine, ça devenait comme un jeu. »

Daniel Sturm : « Tu a pensé ainsi quand tu as commencé à critiquer la mission de l’armée »

Yehuda Shaul : « Pas vraiment. J’ai commencé à comprendre vraiment la corruption de l’armée qu’une fois que je l’ai quittée. Lorsque vous êtes un soldat dans les territoires occupées, vous ne voyez pas les Palestiniens comme des êtres humains égaux. La nuit, vous ne pouvez pas sauter du toit, réveiller toute une famille, forcer la femme à se mettre dans un coin et le mari dans un autre et détruire l’endroit. Ou du moins quand vous êtes dans un poste de contrôle, vous distinguez une forme humaine : une tête, deux mains et deux jambes. Par contre, quand vous lancez des grenades actives dans des quartiers palestiniens, la nuit, cela paraissait comme un jeu sur ordinateur! »

Daniel Sturm : « Votre action n’était-elle pas justifiée compte tenu de la violence palestinienne? »

Yehuda Shaul : « En effet, vous ne pouvez ignorer que les Palestiniens emploient la violence. Mais quelle est notre frontière morale et légale, comme société ou nation? Pouvons-nous vraiment pardonner le lancement de grenades dans les quartiers habités, comme moyen de riposte? Quand nous avons réalisé que nous sommes incapables d’empêcher les Palestiniens de répliquer, nous avons commencé une autre stratégie nommée ‘passons aperçus’. Nous avons entrepris de patrouiller en silence. Nous marchions dans les rues, tirant sur les maisons et lançant des grenades dans les jardins publics. »

Daniel Sturm : « À quel moment avez-vous commencé à avoir de la compassion pour les victimes? »

Yehuda Shaul : « La terminologie de ‘victime’ ne s’applique pas dans ce contexte. Quand dans un combat, vous ne voyez rien, vous ne sentez rien et vous ne regardez rien. Le nom de Rompre le silence renvoie à deux genres de silence. Le premier est personnel, il consiste à prendre conscience de ce qui se passe autour de soi. Le deuxième, quant à lui, se rapporte au silence de la société. Au moment ou j’étais à Hébron, explosant les grenades, mes parents qui étaient juste en face à Jérusalem écoutaient la radio qui diffusait une phrase que tous les Israéliens connaissent par cœur « les Forces israéliennes de défenses renvoient le feu aux sources du feu ». En fait, il n’y en avait aucune, nous tirions vers aucune source de feu bien déterminée! Mais c’est ainsi que le monde entier y compris les Israéliens reçoivent l’information!

Daniel Sturm : « Quelle a été la réaction des gens face à ta critique? »

Yehuda Shaul : « Très ambiguë, quelques-uns nous comprennent et d’autres non. Au début, les enquêteurs de police des Forces israéliennes de Défenses ont détruit nos expositions, nous ont confisqué quelques objets et soumis à des interrogatoires. Ils voulaient nous intimider et prouver que nous étions des personnes marginales et ‘pourries’. La vérité est que je suis ainsi et je ne peux en être autrement. »

Daniel Sturm : « Est-ce que l’occupation militaire, selon vous, est-elle légitime? »

Yehuda Shaul : « Nous aimerions tous dire que nous ne sommes pas ‘contaminés’ et que nous souhaiterons avoir une occupation ‘intelligente’ et civilisée de la Palestine. Nous voulons aussi croire que notre armée a les meilleures valeurs morales au monde. Cependant, à chaque fois qu’il est question de bombardement de la Palestine par les soldats israéliens, la vérité en est autre. Si chaque soldat israélien qui a maltraité un Palestinien pendant son service est envoyé en prison, tous les soldats y passeront. Vous ne pouvez faire votre service dans les territoires occupés sans agir comme un envahisseur. »

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