Thatcher hante les réformes de soins médicaux en Europe

Les épaulettes de nos vestes sont moins larges. Les bons vieux agendas papier ont été remplacés par les i Phones. Et toute une génération a grandi sans être soumis à Kajagoogoo – groupe de pop anglaise. Alors, pourquoi je crains que 2013 ressemblera aux années 80 ?



 

Cette année verra une transformation fondamentale de la santé en Europe. En octobre, tous les pays de l'UE sont tenus de mettre en place une nouvelle loi sur « les droits des patients » dans leurs législations. À première vue, la loi semble louable. Les personnes qui voyagent d'un état de l'UE à un autre pour des soins auront le droit de se faire rembourser leurs frais médicaux par leur pays d'origine.



Les clauses de la loi sont plus révélatrices. Parce qu'elles ont été présentées comme une initiative de « marché unique », ouvrant la voie à des soins de santé qui seront traités avant tout comme un business. C’est un pas en arrière, qui va à l'encontre de la philosophie sur laquelle un État-providence doit être fondé, à savoir que chaque personne devrait recevoir la même qualité de soins quelque soit son revenu.La référence aux « droits des patients » est orwellienne :ceux qui peuvent se permettre d'aller à l'étranger pour subir une opération se verront accordés plus de droits que ceux qui ne peuvent pas.



D'où vient l'idée d'un « marché unique » ou « marché interne » dans les soins médicaux ? En 1984, l'économiste américain Alain Enthoven a passé un mois en Grande-Bretagne sous l'invitation de Nuffield, un groupe de cliniques privées. Il a recommandé d'appliquer les principes du « marché interne » à la sécurité sociale dans le but de « saisir quelques-unes des vertus que nous associons généralement au secteur privé et les lier à la responsabilité sociale et au souci de l'équité que nous associons à un gouvernement démocratique ».



Enthoven déplorait également que le système médical britannique manquât d’éléments de « choix du consommateur » et de « concurrence » existants déjà en Amérique. Bien que Margaret Thatcher n’ait pas eu le temps de mettre en œuvre toutes ces suggestions, beaucoup d'entre elles figuraient dans un rapport de « réforme » de la Sécurité sociale publié par Ken Clarke, ministre de la Santé, en 1989.



Les partisans de la loi européenne des « droits du patient » ont utilisé la même terminologie et les arguments qu’Enthoven. Graham Watson, alors chef du groupe libéral au Parlement européen, m'a dit en 2009 que « la meilleure façon d'améliorer les services pour tous » est « d'assurer qu'il y ait une saine concurrence entre les fournisseurs afin que les patients et les autorités soient libres de choisir la meilleure offre parmi tant d'autres ».



Cette même année, une étude a été publiée par « The American Journal of Public Health » (le journal américain de la santé publique) indiquant que près de 45.000 personnes meurent par an aux États-Unis parce qu'ils n'ont pas d'assurance médicale. C'est ce qui arrive lorsque les législateurs décident que l’approvisionnement des médicaments doit être déterminé par le « choix » plutôt que par le besoin.



Il ne faut pas se leurrer en pensant que nous sommes à l'abri de ces problèmes en Europe. La Grèce traitait auparavant ses citoyens au chômage, sans aucuns frais. Les restrictions budgétaires imposées à la suite de pressions exercées par l'UE et le Fonds Monétaire International ont fait que les chômeurs doivent désormais payer pour des soins dès que les avantages liés à leurs anciens emplois cessent. Les mêmes changements ont été établis en Espagne.



Même si 1,2 million de Grecs sont désormais non assurés, ces mesures ont réjoui les habitants du Think Tank, ce territoire des réseaux pensants, tout comme le Conseil de Lisbonne, réseau engagé pour la « compétitivité » basé au Résidence Palace, un ancien hôtel de luxe à Bruxelles. Récemment une évaluation de « l’état de l'Union » a été publiée, rédigée par deux économistes de Berenberg, la plus ancienne banque allemande privée. Holger Schmieding et Christian Schulz, les deux analystes en question, évoquaient les mesures d'austérité imposées à la Grèce comme un exemple de « méthode dure » dans cette « famille de nations très soudées » appelée la zone euro. Alors que les analystes ont averti que « les liens » risquaient d'être un peu trop « durs » à certains moments, ils ont largement approuvé la cure d'austérité. Le gouvernement à Athènes, concluaient-ils, avait fait « des progrès exceptionnels » dans « l’ajustement » vers la « compétitivité » (synonyme de destruction de l'État-providence).



Bruegel, un autre « think tank » à Bruxelles,s'est efforcé de faire de l’ironie excessive alors qu'il était dernièrement occupé à promouvoir un livre de son ancien patron, Mario Monti. Dans le livre, Monti affirme la nécessité de renforcer la démocratie. Il n'est pourtant pas très qualifié pour défendre ce fait : entre 2011 et 2012, Monti a passé un an à la tête d'un gouvernement non élu en Italie, où l'un de ses premiers actes fut d'annoncer que les dépenses de santé seraient réduites de 5 milliards d'euros.



Le Rapport de l'ONU sur le développement mondial en 2010 classe les pays en fonction de la satisfaction du public par rapport à leur système de santé. Les cinq parmi les dix premiers – l'Autriche, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne – appartenaient à l'Union européenne.



Cette constatation indique que l'Europe a fait des progrès énormes vers des soins abordables et de haute qualité (dans certains cas, gratuits). Le résultat est d'autant plus remarquable lorsqu’on s’aperçoit que les États providence européens ont été fondés après les ravages de la Seconde Guerre mondiale. Comme il n'y a pas une demande de « réformes » de la santé (un autre euphémisme méprisable) parmi les électeurs, il n'est pas étonnant qu'ils soient entrepris par des moyens antidémocratiques.



Nye Bevan, le politicien du parti travailliste qui a contribué à la mise en place de la Sécurité sociale en Grande-Bretagne, a un jour déclaré qu'aucune société ne peut se considérer comme civilisée si elle prive une personne malade de soins parce qu'il ou elle n’a pas les moyens. Les États-Unis demeurent non civilisés, en partie grâce aux efforts indéfectibles d’Alain Enthoven. À l'âge de 82 ans, Enthoven continue à demander que les dépenses publiques de santé soient « réduites ».



Sa pensée inhumaine a causé d'immenses souffrances aux États-Unis. Sa vision ne doit pas être appliquée en Europe aussi.

 

 

 

Article original paru dans New Europe en décembre 2012

 

Traduit de l'anglais par Mounia pour Investig'Action

 

Source: Investig'Action

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