Sans-papiers en grève de la faim : Belgique, terre d’accueil ?

Depuis le 23 août, 115 Irakiens et Afghans -femmes, hommes et enfants- occupent le 22 de la rue du Méridien à Bruxelles.

Tous, sauf les enfants, ont immédiatement entamé une grève de la faim. Leur objectif est d’obtenir, pour tous les Irakiens et Afghans séjournant clandestinement en Belgique, la régularisation, c’est-à-dire une carte de séjour et un permis de travail.

Parmi les occupants, des personnes et des familles vivant et travaillant en Belgique depuis parfois 12 ans.

Nous avons interviewé trois d’entre eux : Nasir, qui est un Afghan de 22 ans, Samir, qui est Afghan également et porte-parole des occupants et enfin Hassan, Irakien kurde, en Belgique depuis 3 ans.

4 septembre 2008

Interview de Nasir

Comment êtes-vous arrivé en Belgique ?

«J’ai quitté l’Afghanistan à 17 ans. Cela m’a pris un an pour arriver en Belgique, via l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie, la France, l’Allemagne. Je suis resté trois jours à la gare du Midi de Bruxelles, sans manger ni boire. J’avais commencé des études pour devenir mécanicien, dans un centre en Wallonie, mais mes demandes de permis de séjour ont été systématiquement refusées depuis 5 ans »

Pourquoi avez-vous quitté l’Afghanistan ?

« Je vis dans la guerre depuis que je suis né. Il y a de la violence partout : des bombardements, des explosions de bombes, des maffieux qui enlèvent et rançonnent même des enfants. De plus, il y a une très grande pauvreté: beaucoup de gens vivent avec un dollar par jour, voire moins. Ma mère est morte dans l’explosion d’une voiture piégée. Mon père est très âgé. J’ai aussi deux sœurs »

C’est votre première grève de la faim ?

« Non, j’ai déjà fait trois grèves, à Louvain-la-Neuve, puis dans l’église des Minimes et maintenant ici. Mais, jusqu’à présent sans résultat »

Il y a ici des Irakiens et des Afghans. Pourquoi ?

« C’est la même situation dans les deux pays : la guerre, la violence, la pauvreté. Chaque personne ici a une histoire différente à raconter mais, dans le fond, nous avons tous les mêmes problèmes : nous sommes partis à cause de la guerre et voulons seulement travailler et vivre en paix »

Que pensez-vous de l’occupation de l’Afghanistan par les Etats-Unis ?

« Je ne veux pas faire de politique »

Mais est-ce que ça va mieux depuis que le pays est occupé ?

« Cela va de moins en moins bien »

Que pensez-vous d’Hamid Kharzai ?

« Comme je l’ai dit, je ne fais pas de politique, mais c’est aux Afghans de décider qui doit les diriger, pas aux Américains »

Comment vous sentez-vous après cette première semaine de grève ?

«Très fatigué »

Interview de Samir

En ce onzième jour de grève de la faim, quelles sont les réactions des autorités belges ?

« Pour le moment, rien . Les Afghans de Belgique ont déjà reçu des promesses et même parfois des régularisations. Mais ce que nous voulons, c’est que le gouvernement belge reconnaisse que nous venons d’un pays en guerre. Ils disent que certaines régions sont « sûres ». Mais à quelques kilomètres de ces régions, il y a la violence…Nous ne voulons pas séjourner en Belgique dans des centres mais bien vivre ici et travailler en toute légalité »

Comment fonctionne la solidarité ?

« Télévisions et journaux ont parlé avec sympathie de notre action. Nous avons également reçu le soutien d’organisations et de personnes à titre individuel »

Quels sont vos besoins pour le moment ?

« Après 11 jours de grève de la faim, beaucoup ont des douleurs d’estomac, des problèmes rénaux et parfois des problèmes psychologiques. Il nous faut donc des médicaments, une aide médicale plus soutenue et… encore plus de solidarité. »

Comment voyez-vous l’avenir immédiat ?

« Nous devons continuer à faire pression sur le Commissariat Général, par notre grève, mais aussi grâce à la solidarité et grâce à l’information dans les médias »

Quel est votre itinéraire personnel ?

« Je suis depuis 5 ans en Belgique. J’ai participé à plusieurs occupations, d’abord à Louvain-la-Neuve puis à l’église du Béguinage, et j’ai eu l’occasion de prendre de nombreux contacts. Pour moi-même comme pour les autres, j’ai pu constater que nos actions, occupations et grèves de la faim, sont le dernier recours ».

Interview d’ Hassan

Quelle est la situation en Irak ?

« Il y a eu la guerre avec l’Iran, la guerre du Golfe, l’occupation et maintenant, la guerre civile. Pour nous, les Kurdes, rien n’a changé depuis Saddam Hussein. L’insécurité continue »

Comment êtes-vous arrivé en Belgique ?

« Je suis arrivé à Bruxelles après un voyage d’une vingtaine de jours. C’était le soir. Je ne connaissais ni le français ni le flamand.

J’ai demandé à un passant de m’aider et il m’a reçu chez lui où j’ai passé la nuit. Le lendemain, il m’a accompagné jusqu’au Commissariat. On m’a interviewé. Positif.

Mais un mois après, la deuxième interview a été négative.

J’ai alors fait une deuxième demande. J’ai quitté le Centre d’accueil, pris un studio et trouvé du travail dans une serre, près de Machelen où on cultive des laitues.

En Août 2007, j’ai reçu une lettre pour une troisième interview. Ca a duré moins de 5 minutes : nom, prénom, vous venez d’où ? Cette région n’est pas dangereuse, m’ont-ils dit. Verdict : négatif. J’ai tout perdu : droit au CPAS, carte SIS, carte de banque, studio…

Je suis resté trois ou quatre mois chez un ami.

Fin 2007, j’ai fait une nouvelle demande. Résultat négatif.

J’ai quitté la Belgique pour me rendre en Norvège. Mais là, après 4 mois, l’Office des Etrangers m’a dit que j’étais refusé et que je devais retourner en Belgique. La police m’a arrêté à l’aéroport et j’ai été envoyé dans un Centre, une ancienne base militaire à Ostende.

Après une semaine, j’ai été envoyé au haut Commissariat où on m’a photographié, pris mes empreintes digitales et interviewé une fois de plus. Puis ils m’ont dit que je n’avais pas le droit d’asile, que je serai rapatrié. J’ai demandé le document « annexe » pour faire appel et j’ai passé 19 jours au petit Château. Négatif.

A ce moment-là, j’ai eu connaissance de l’appel pour l’occupation et la grève de la faim.

Je suis résolu à aller jusqu’à la mort si nécessaire pour obtenir le droit d’asile ».

Si vous souhaitez apporter une aide matérielle et montrer votre solidarité, faites circuler l’information sur l’occupation et la grève de la faim, rendez visite aux occupants, téléphonez à Samir, responsable et porte-parole (0486569359). Il vous informera sur l’évolution de la situation et sur les besoins des occupants (surtout ceux des enfants et des bébés qui ont besoin de langes, lait en poudre etc.).

Emmanuel Katz pour Investig’action

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