Samedi, j'étais en famille, et je regardais France 5…

Jusqu’où nous prendra-t’on pour des cons ?

mercredi 12 avril 2006 , par CISMIGIU

http://lesogres.org/article.php3?id_article=1808

Samedi dernier j’étais en visite dans la familia, et la télé était branchée sur france5 et tournait en toile de fond tandis que nous discutions de choses et d’autres.

En général, France5 est une des chaines nationales les moins connes, du moins tant qu’elle se cantonne à nous livrer des reportages sur les animaux ou la nature…

Mais dans l’émission d’information "Madame, monsieur bonsoir" de samedi dernier, animée par Pujadas, et où Paul Amar était invité, j’ai pu tester la profondeur avec laquelle nos chers journalistes nous prennent pour des cons !

Jusqu’à présent je savais bien que l’information télé (ou issue des médias mainstream en général) avait pour but de façonner une vision du monde qui soit conforme chez le spectateur citoyen, à l’image que veut en donner nos élites politiques. Voilà pourquoi habituellement je ne regarde jamais la télé, et je ne lis que de très loin et de façon très critique, les articles de presse, en prenant bien soin de recouper et mettre en doute les informations que je reçois.

Donc l’information télé est généralement orientée, voir très orientée, sur les faits présents, ce qui est facile à faire car dans l’urgence de l’information présente, peu de citoyens peuvent prendre le temps de faire un travail de recherche, et d’analyse critique.

Par contre pour des faits datant d’une certaine époque, et notamment grâce aux nombreuses ressources documentaires accessibles sur le net, il est maintenant possible de revisiter des morceaux d’histoires récentes, et d’enfin comprendre là où les médias de l’époque n’avaient fait que nous embrouiller.

(…)

Dans l’émission de samedi de Pujadas sur France5, il était question du procès expéditif de Ceaucescu, et de son exécution sommaire.

Pour moi qui connait bien le pays, qui ait discuté avec pas mal de Roumains, et qui me suis bien documenté sur le sujet il apparait clair que cette révolution était complètement bidon.

En effet, il n’est pas inutile de rappeller certains faits concernant la Roumanie : dans les années 70, Ceaucescu était considéré comme un humaniste et un grand ami par les régimes occidentaux. En effet il s’était opposé à Moscou ; en fait, avec la Yougoslavie, la Roumanie était un des pays de l’Est les plus indépendants de l’union soviétique. Lors du printemps de Prague, la Roumanie avait même refusé d’envoyer des chars. Pire encore, en 1972, la Roumanie se tourne vers l’Occident pour moderniser son industrie : elle est le premier pays du COMECON à rentrer dans le FMI et la Banque Mondiale, près de 20 ans avant la chute du mur ! Inouïe ! A l’époque Ceaucescu fait la une du Times, il est invité dans toutes les capitales occidentales, est cité en modèle. La Roumanie est le premier pays du COMECON à passer des accords privilégiés avec l’UE. Le tourisme en direction des stations balnéaires de la Mer Noire se développe… La Roumanie est en train d’accomplir son miracle économique !

Sauf que… ça ne dure malheureusement pas ! Avec les chocs pétroliers de 73 et 79 -qui arrangent bien le dollars qui a abandonné l’étalon or pour se servir du pétrole comme soutien à sa valeur, cf les articles sur le sujet sur lesogres.org- le modèle de développement industriel roumain basé sur un pétrole bon marché ne fonctionne plus (bien que la Roumanie produise elle même du pétrole, elle était dépendante de ses relations au moyen-orient notamment avec l’Irak).

Bref, fin des années 70, Ceaucescu prend une décision extrêmement sévère : il veut rembourser la dette qu’il doit aux institutions financières occidentales par anticipation. Tollé, crise ! Ceaucescu est devenue la bête noire, et pendant des années il sera présenté comme un petit Staline.

Pour réussir son pari, Ceaucescu demande d’énormes sacrifices à sa population : le niveau de vie est divisé par deux, l’électricité est rationnée, la nourriture aussi etc.

Le but est d’économiser au maximum sur la consommation intérieure, pour réduire les importations, et d’augmenter les exportations afin de dégager un excédent commercial.

La vie devient pénible pour les Roumains, mais du point de vue de la dette, avec cette politique de choc, début 1989, la Roumanie a tout remboursé. Mieux, elle dégage des excédents budgétaires de plusieurs milliards de dollars, qui était réservé au remboursement de la dette, et qui auraient du servir ensuite au développement du pays. Bref, le pays est en passe de réussir son pari et est sur la voie de se développer de manière indépendante.

C’est le moment qui est choisi par la CIA pour se débarasser de Ceaucescu : à la place, ce sont ses bras droits, notamment Iliescu qui vont prendre le pouvoir.

Comment parler de révolution alors que ce sont toujours les mêmes hommes qui sont au pouvoir ? Personnellement j’appelle ça un putsch, ce sont les seconds couteaux qui reprennent le pouvoir à leur compte, même si la politique change de bord, pour passer sous influence américaine (comme dans de nombreux pays de l’Est, qui sont aujourd’hui bien plus libéraux que les pays d’europe occidentale, le capitalisme sauvage ayant succédé au communisme sectaire).

Bien évidemment, dans ces conditions, étant donné que le nouveau régime de la Roumanie est issu de l’ancien, que la révolution n’est qu’un putsch, un vrai procès devient génant pour le parti au pouvoir, et il convient d’éliminer rapidement Ceaucescu. C’est ce qui est fait dans ce simulacre de procès.

Les conséquences pour la Roumanie sont simples : deux ans après, le niveau d’endettement du pays dépasse celui de 1979, quand Ceaucescu avait décidé de rembourser la dette, et par rapport aux années 90, le niveau de vie réel est divisé par deux, la misère atteint des sommets jamais vu dans ce pays, le marché noir représente 40% de l’économie, les différents hommes politiques qui prennent en mains les affaires du pays sont massivement des anciens cadres du parti communiste, alors que la révolution était censée apporter la prospérité et la démocratie. Depuis l’an 2000 par contre, la situation économique du pays s’améliore, c’est même aujourd’hui le pays le plus dynamique économiquement du bloc de l’est, et celui qui attire le plus les investissements étrangers… Mais pour beaucoup la décennie 90 aura été une décennie perdue.

Voilà en substance, ce que quelqu’un d’un minimum informé sur l’histoire récente de la Roumanie peut considérer…

De plus en parlant avec des roumains pauvres, la majorité, on se rend compte que la plupart regrette le temps du communisme : au moins l’accès aux soins et aux études était gratuit, tout le monde pouvait aller en vacances sur les bords de la mer noire, gratuitement (les vacances étaient planifiées), tandis qu’aujourd’hui les magasins sont remplis, mais personne n’a d’argent pour acheter, résultat tout le monde vit à crédit, avec des taux usuraires de 40 ou 50%. Les banques se baffrent bien dans ce pays ! C’est même un havre de prospérité pour les banques ! A tel point qu’à la fin des années 90, le secteur bancaire s’est retrouvé en faillite : après avoir prété sans compter à l’état pour que celui-ci paie les salaires des travailleurs des centres industriels toujours pas privatisés, les banques se sont retrouvés avec un stock énormes de créances douteuses à purger ! Mais rassurez vous pour les banques : la faillite du secteur ne signifie pas que ce soit un inconvénient pour eux, au contraire : l’état Roumain s’est vu obligé du coup de privatiser massivement ses joyeaux industriels. Et oui, quand je parlais de système usurier, c’est bien la vieille martingale qui a été utilisée, qui consiste à préter en sachant qu’on ne sera pas remboursé, pour pouvoir ensuite se rembourser sur les biens en nature du débiteur en les acquérant à une petite fraction de leur valeur réelle. Dans cette histoire le gouvernement roumain était soit complice, soit totalement incompétent : des centres industriels qui étaient des gouffres financiers, se sont retrouvés bénéficiaires en seulement un an, sans aucun licenciement, une fois privatisés ! Il a suffit que le patron change pour que la société dégage des bénéfices ! Cela a été notamment le cas des complexes industriels de l’acier Roumain, racheté par l’Anglo-Indien Mittal, le même qui est en train de racheter le français Arcelor aujourd’hui. Tiens d’ailleurs détail curieux, Mittal a aussi racheté les centres de production d’acier algériens dans les mêmes conditions qu’en Roumanie : pour une bouchée de pain et par l’opération du saint esprit, il a transformé sans licencier un seul travailleur, une société déficitaire, en une société bénéficiaire…

Soit ça tient du miracle, soit on se dit que décidemment les Etats algériens et roumains ont soigneusement organisés la faillite de secteurs rentables pour pouvoir les vendre pour une bouchée de pain à leurs "amis" politiques.

Bref, tout ça pour dire que pour quelqu’un de bien renseigné sur la Roumanie, à commencer par les roumains eux-mêmes, toutes ces histoires sur la révolution sont de la foutaise pure.

Or samedi après-midi, j’ai entendu tout le contraire à la télé, Pujadas et Amar qui affirmaient que si Ceaucescu avait été si vite exécuté, c’était pour que le pays tourne la page et se tourne vers l’avenir, un peu comme De Gaulle avait passé l’éponge sur bon nombres de collaborateurs après la révolution, que c’était une chose nécessaire et absolument normale pour éviter qu’un pays ne s’enlise pour rien…

Quelle connerie !

Ces journalistes soit disant objectifs étaient tout simplement en train de réécrire l’histoire, en train d’expliquer au spectateur "dormez tout va bien".

De la même manière, Saddam Hussein risque la peine de mort pour une histoire que personne ne connaissait avant (le massacre d’une centaine de villageois chiites, affaire purement irako irakienne qui ne risque pas d’éclabousser ses anciens "amis" américains), alors que pendant toute la campagne de propagande préinvasion, on n’arrêtait pas de nous parler du gazage des 5000 kurdes ! Pourquoi ne pas faire ce procès là plutôt ? Parceque Saddam aurait été en mesure de mettre en doute cette thèse (en fait on ne sait pas si le gazage est volontaire, ou résulte seulement des combats irako-iraniens, certains prétendent même que les gaz ont été lancés par l’iran) ? Parceque Saddam aurait été en mesure de prouver que le gaz a été vendu par Donald Rumsfelf lui-même ? Bref, parceque ça risque de géner les américains ?

Bref, j’étais ulcéré samedi de voir la tronche de ces chers journalistes objectifs et sérieux en train de se foutre ouvertement de la gueule des spectateurs, et en train de leur expliquer que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ! En train de penser à leur place, en train de leur dire : n’écoutez pas les versions alternatives sur ces faits, la raison la vraie c’est nous qui vous la donnons, et il est inutile d’écouter les autres théories, qui ne sont que des théories du complot… Il est bien connu que les seules théories du complot valables, sont celles prétendant que l’Irak détient des armes de destructions massives, ou que l’Iran s’apprête à bombarder Israel à coups d’armes nucléaires.

Attention cependant, je ne prend pas la défense de Saddam Hussein ou de Ceaucescu ! J’essaie simplement de rétablir un équilibre dans la façon dont ces personnages nous ont été présentés successivement : en amis quand ça arrangeait nos élites politiques, en ennemis quand ça les arrangeait plus.

Par exemple, si Ceaucescu avait imposé une politique moins dure pour son peuple dans les années 80, il aurait été moins facilement éliminé : il était évident que le peuple était mécontent de son niveau de vie, et que beaucoup souhaitaient voir Ceaucescu chuter. Mais le problème est que la situation dans les années 90 a été encore bien pire sur le plan social, et on ne peut s’empêcher de se demander ce qui se serait passé si il n’avait pas été éliminé, et s’il avait mis au service de son pays les milliards de dollars d’excédents budgétaires comme il l’avait promis. Et si beaucoup de roumains souhaitaient la chute de Ceaucescu en 1990, aujourd’hui beaucoup le regrettent ! Et sur le plan démocratique ce n’est guère mieux, avec une Securitate toujours aussi active, mais qui aujourd’hui s’est mise au service des USA et de la CIA, donc on ne le dénonce plus.

Comprenons nous bien, ce que je dénonce, c’est le fait que le même mal est dénoncé quand il profite aux adversaires de nos élites, tandis qu’il est occulté quand il profite à nos élites à nous.

La torture serait mauvaise chez les autres, et nécessaire chez nous ? Les procès staliniens devraient être dénoncés chez les autres, mais accepté chez nous ? La guerre serait injustifiable chez les autres, mais nécessaires chez nous ?

C’est cette façon de revisiter les faits et l’histoire par nos intellectuels et journalistes médiatiques que je dénonce.

Tout ça me rappelle une émission pathétique d’Alexandre Adler l’an dernier sur france culture, revisitait les bombardements atomiques d’Iroshima et Nagasaki par les américains en 1945. Aujourd’hui tout le monde sait que le Japon voulait se rendre et que les Américains ont tout fait pour faire trainer et même capoter les négociations, car ils voulaient démontrer la bombe atomique grandeur nature, notamment pour faire peur à Staline, qui s’apprêtait dès la mi-août à déclarer la guerre au Japon, et à prendre sa part du gateau asiatique. De nombreux documents japonais et américains déclassifiés viennent accréditer cette thèse de manière très claire (il y a déjà eu un article là dessus sur les ogres.org). Mais visiblement Alexandre Adler refusait que cette thèse vienne remettre en cause l’image des USA, et s’est donc mis pendant une heure à pitoyablement relayer la propagande de guerre américaine de 1945 justifiant un bombardement sur le Japon.

Bref, tous ces efforts déployés par nos journalistes et intellectuels à gage pour réécrire constamment l’histoire me rendent malade ! Le seul but est de préserver une bonne image de nos élites au pouvoir, tandis qu’on ne se gène pas pour diaboliser les adversaires de nos élites.

Résultat samedi, j’ai coupé la télé en pestant contre cette %* ?! d’émission, et en insultant Paul Amar et Pujadas ! Et je ne suis pas près d’à nouveau écouter ces conneries là !

Croyez moi, faites une cure de désintoxication télé radio presse, ça marche très bien et vous gagnerez plein de temps pour faire autre chose. Au bout d’un moment vous recommencerez à penser par vous mêmes, et même si c’est dur au départ d’admettre à quel point on est pris pour des cons, c’est tout de même indispensable d’acquérir une véritable indépendance de pensée ne serait ce que pour ne pas mourir idiot. Bien entendu cela passe par la lecture d’informations clairement objectives, par exemple des traités d’histoire ou de géographie abordant de manière neutres et non politiques un certains nombres de faits. Ensuite après avoir acquis un socle de connaissance suffisants pour avoir du recul par rapport aux informations orientées qu’on reçoit, on est à même de faire le tri entre la propagande et l’information de valeur, que ces informations viennent d’un bord ou de l’autre.

Maintenant, je comprend que par confort la majorité des gens préfèrent se reposer sur "ceux qui savent", les journalistes, les hommes politiques, les "experts", mais malheureusement, c’est la meilleure façon de faire dériver la notion de démocratie, où en principe tout le monde s’implique dans les décisions politiques, vers une espèce de dictature soft où le pouvoir appartient à une élite.

Or c’est bien dans cette dictature soft qu’on vit : on jette un papier dans une urne tous les 5 ans, mais ensuite le pouvoir est concentré dans les mains d’une clique qui obéit plus aux intérêts des différents lobbies qui ont contribué à la faire élire, qu’à l’intérêt général des citoyens. Dans ce système, les citoyens ne sont tout juste bon qu’à être séduit périodiquement au moment des scrutins, pour dire qu’elle préfère paul à jacques, mais le reste est une affaire de "spécialistes". A la rigueur le seul moyen de se faire entendre reste l’action directe, comme les manifestations anti cpe l’ont montré récemment, et encore à condition de réussir à ne pas se faire récupérer par ces vieux routiers de la politique qui savent exploiter à leur avantage le moindre mouvement spontané, en bons opportunistes politiques qu’ils sont.

Aujourd’hui cette dictature soft dans laquelle on vit, est devenue tellement peu soft que maintenant les journalistes se permettent même de nous dire quoi penser et ne pas penser : j’en ai eu un exemple encore samedi ! Je suis pas prêt de regarder la télé avant un bon bout de temps tiens !

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