Rouges et Verts européens sur la Libye : Vert militaire mais pas rouges de honte

Quelques rodomontades d’un colonel déboussolé, une pincée d’images poignantes de ses victimes gisant au sol ou contraintes à l’exil, des manifestants surarmés appelant au secours (on est curieusement loin du pacifisme des manifestants tunisiens, yéménites ou égyptiens) et nous voilà embarqués dans une nouvelle odyssée coloniale.

 

 

 

 

 

 

 

 

ATTENTION : Le groupe parlementaire de gauche du Parlement européen : Gauche Unitaire Européenne / Gauche Verte Nordique qui regroupe notamment le PCF, le Parti de gauche, Izquierda Unida, Die Linke…) n'a pas voté à l'unanimité en faveur de l'intervention.
– 11 pour : Bisky, Kohlí?ek, Liotard, Matias, Maštálka, Mélenchon, Portas, Remek, Søndergaard, Tavares, Vergiat.
– 14 contre : Angourakis, Ernst, Ferreira João, Figueiredo, Hadjigeorgiou, Händel, Klute, Lösing, Meyer, Ransdorf, Scholz, Toussas, Wils, de Jong –
– 2 abstentions : Rubiks, Triantaphyllides. pas d’info sur Le Hyaric et Jacky Heni – Précision d'un lecteur pour Investig'Action



Un sacré équipage tout de même que notre invincible armada : au gouvernail, d’Obama à Sarkozy, tout le gratin de l’humanisme désintéressé, des chasseurs-bombardiers munis de missiles aussi vertueux et intelligents que le philosophe à la chemise blanche qui les téléguide, les habituels caniches de la presse et puis, quelques cheikhs pour faire bonne figure devant les masses arabes. Il y a comme un air de déjà-vu.
 
 
Pourtant, qui voit-on au fond de la cale ? Notre brave gauche institutionnelle, écologistes inclus, dans le rôle de moussaillons zélés. Au 8e anniversaire de l'invasion criminelle de l'Irak qui entraîna la mort de centaine de milliers d'innocents, la paupérisation, le dépeçage et l'humiliation d'une nation, des hostilités inter-ethniques et interconfessionnelles insurmontables et j'en passe, fallait le faire. Oserons-nous encore dire que nos partis européens « de gauche » se sont fait avoir comme des bleus?

Cette fois encore, nos belles âmes rouge-vert se sont rangées dans le camp des vainqueurs.

Main dans la main avec Sarkozy, elles contribuent sciemment à l’élargissement territorial de la Françafrique et offrent un nouveau show-room à l'entreprise Dassault, à savoir, l'espace aérien libyen. L’avionneur français peut désormais faire étalage de ses Rafales et de ses Mirage 2000 et redorer son blason face aux F 16 qui « en jettent » plus.

Elles donnent à l'entreprise Total une occasion unique de s'engraisser sur le pétrole libyen face aux menaces de rupture de contrat proférées par Kadhafi.

« Il faut sauver les habitants de Benghazi » nous disent-elles. En postant une force d'interposition, c’est-à-dire en occupant de facto le territoire libyen ?
 
 
Et puis quoi ? Risquer la partition du pays  et des représailles plus violentes de la part du gouvernement libyen à l'égard de ceux qui se sont rendus coupables de « trahison à la patrie » ?

« Oui, mais c'est un fou prêt à tout ». Ni plus ni moins fou qu'un Bush, un Sharon, un Liebermann, un roi Abdallah d'Arabie saoudite ou un seigneur de guerre africain.

« Kadhafi a quand-même dit qu'il nettoierait tout »: « beyt beyt, dar dar, zenga zenga », chaque foyer, chaque maison, chaque ruelle… Il ne faut pas être grand-clerc pour constater que les vociférations de Kadhafi n’ont pas d’incidence directe sur la stratégie libyenne de ces derniers jours.
 

En tant que patriarche sénile de la révolution jamahiriyenne, Kadhafi est une autorité morale, un symbole plus qu’un décideur politique. Preuve en est qu’il parle de guerre quand son état-major décrète un cessez-le-feu et d’offensive quand son armée bat en retraite. Ce coup de gueule démentiel du trublion de Tripoli n’est finalement rien de plus que la version théâtrale et anticoloniale du nettoyage au kärcher défendu par Sarkozy.

A l’inverse, à Jénine en avril 2002, ce fut carrément « beyt beyt », « dar dar » et « zenga zenga ». Fallujah connut le même sort en 2004. Et Gaza en 2009 et 2010. Y a-t-il eu pour autant la moindre frappe aérienne décidée par la communauté internationale contre Tel-Aviv ou Washington malgré leurs perpétuelles violations des résolutions des Nations Unies ?

Admettons que l’armée libyenne eut été folle et sanguinaire au point de massacrer les insurgés et leurs familles. C'est hélas souvent le risque que comporte la lutte armée lorsque l'on se bat pour sa liberté. Mais en faisant appel aux armées coloniales, les insurgés ont déjà troqué leur liberté. Avant même d'avoir pris le pouvoir, ils sont déjà endettés envers leurs protecteurs pour tous les frais liés à la guerre. Prévoient-ils de rembourser leurs mercenaires américains, britanniques et français en leur accordant une concession sur le pétrole et le gaz libyen ?

Ce questionnement nous amène à considérer l’engouement douteux des chancelleries européennes à l’égard des dirigeants de l’opposition libyenne.

De ce que l’on a pu glaner dans les médias, outre son ardeur à vouloir collaborer avec l’Occident impérialiste, cette opposition s’acoquinerait avec les héritiers londoniens du roi Idriss Ier, serait israélo-compatible, tribale et ultralibérale. Bref, elle ne serait guère plus libératrice que l’Armée de libération du Kossovo (UCK), l’Alliance du Nord afghane ou le Parti démocrate du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani.

Il n’empêche que tout Libyen a bien entendu le droit de résister et de renverser le pouvoir tyrannique de Kadhafi. Et l’on doit garder l’espoir que cette opposition se décantera.

 
Mais devant une telle confusion, on est en droit de demander  tant à nos social-colonialistes qu'à nos écolonialistes s’il n’eût pas été plus sage de se démarquer de nos marchands de canon en soutenant la proposition avancée par le président du Venezuela  Hugo Chavez: une médiation entre les belligérants libyens des deux camps sous l'égide de pays plus neutres que « nos » gouvernements cupides.

 
Cette proposition raisonnable avait obtenu l’aval de la Ligue arabe, de l’Union africaine et de l’ALBA. Elle nous aurait permis d’éviter l’irréparable. Alba signifie justement « aube » en espagnol.
 

Malheureusement, au lieu de se tourner vers l’aube de la paix, notre gauche parlementaire a fait cap vers l’ « aube de l’odyssée ». Une odyssée incertaine à bord d’un navire battant pavillon amiral. Une odyssée qui entraîne l’humanité dans de nouveaux drames.

 
Une fois de plus, "camarades" rouge-verts, vous faites honte aux damnés de la terre. Quant au bouffon de nos rois si débonnaires, grâce à vous, il redevient le lion du désert. 


Bahar Kimyongür, historien et militant anti-impérialiste


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