“Ras le bol” : la lettre de Claude Emonts, président du CPAS de Liège

Il y a des moments dans la vie où le découragement, ou la rage, vous envahit.
Je suis président de la Fédération des CPAS wallons et du CPAS de Liège depuis maintenant 18 ans et je dois avouer que c’est pour l’instant mon état d’esprit, alors que ce n’est pas mon tempérament. En effet, situés tout en bas de l’échelle institutionnelle, les CPAS (N.B. Centres publics d’aide sociale en Belgique, chargés de “l’aide aux pauvres”) sont souvent les oubliés (méprisés?) de la pièce politique qui se déroule sous nos yeux. J’admets et je me félicite que l’actuel gouvernement réussisse mieux que la plupart de ses partenaires de l’Union européenne à combattre la crise économique. Certes c’est bien exact, mais à quel coût pour les pouvoirs locaux et surtout pour les CPAS ? A-t-on vraiment compté toutes les victimes?


Chaque jour qui passe nous annonce en effet son lot de nouvelles catastrophiques. De mesure d’économies, annoncées avec fierté puisque « sans trop de douleur », en mesure d’économie, la vague s’étend avec de moins en moins de bruit au niveau régional qui répercute sur les pouvoirs locaux, qui imposent le même régime à leur CPAS.

Cette cascade donne toutes les apparences de la justice et de l’équité, sous le thème du « chacun doit faire les mêmes efforts », principe que je ne renie en rien SI CHACUN EST SOUMIS AUX MÊMES OBLIGATIONS. Or, les CPAS NE SONT PAS SOUMIS AUX MÊMES OBLIGATIONS.

La pauvreté s’étend, beaucoup le disent, et les CPAS voient croître le nombre de dossiers de tous genres et ce en plus de la gravité des situations individuelles. Mais la logique politique (et dans ce cas budgétaire….) ne suit pas. Puisque l’on fait des économies, on exclut des chômeurs et la « vox populi » dit « Pas de fumée sans feu », autrement dit: « s’ils sont exclus c’est qu’ils sont paresseux car qui veut du travail en trouve ».

Outre que cette affirmation est devenue stupide, même si elle fut vraie il y a quarante ans, je reste ébahi devant ces jeunes qui viennent me voir en me disant « J’ai tel diplôme et j’ai écrit tant de lettres de candidatures mais…RIEN, pas de réponse »… Puis par le fait que c’est souvent le CPAS qui doit alors prendre le relais.

Rien qu’à Liège, plus de 800 jeunes perçoivent le Revenu d’Intégration (R.I.), avec pour conséquence un coût élevé pour le CPAS – et donc pour la commune – puisque tout ne nous est pas remboursé par l’Etat Fédéral… qui pourtant, par Onem interposé va exclure encore davantage d’entre eux.

Les prévisions les plus réalistes prévoient 20.000 exclus et ce brutalement dès le 1er janvier 2015! Rien en nous sera donc épargné, puisque le FOREM – dont je loue le travail par ailleurs – sera relativement privilégié, mais relaiera les exclusions dont je viens de parler en nous les « refilant »…

Il serait fastidieux de montrer tous les effets pervers de mesures qui, in fine, font des CPAS les « punching balls » des diverses politiques menées au-dessus d’eux. Un exemple? Ce dont nous sommes le plus fier, c’est notre capacité, via ce que l’on appelle l’Article 60, de remettre au travail beaucoup des plus éloignés du travail. Au niveau wallon, les CPAS rendent espoir en 2013, à 4323 bénéficiaires du Revenu d’Intégration, grands blessés sociaux de la vie…

Et bien, puisque les Articles 60 font baisser le nombre de dossiers de R.I., ils produisent un effet pervers, celui de faire baisser mécaniquement, via l’importance de ce critère dans le calcul, le niveau de la dotation du Fonds Spécial de l’Aide Sociale. Ce n’est certes pas l’élément le plus grave, mais il est significatif de l’incompréhension de nos mécanismes propres, et de ce qui est fondamental: la dignité par le travail AUSSI pour ceux qui au départ sont les plus éloignés de l’emploi..

Laissons pour l’instant de côté la menace que ce soient d’autres que les CPAS qui, régionalisation oblige, recevront peut-être (?) cette compétence dans le futur, alors que et l’intérêt des personnes, et les savoir-faire, se trouvent dans les CPAS.   Un autre exemple? Les communes ont des difficultés à boucler leurs budgets? Et bien dans la panoplie des mesures, on réduit la dotation que les CPAS reçoivent de leur commune, ou on ne l’indexe pas, (Ce mécanisme légal sert à combler le déficit que par définition les CPAS enregistrent chaque année et ce logiquement, puisqu’on ne leur rembourse pas ce qu’on leur impose – légitimement cette fois – de donner aux gens sous forme de R.I.). Il faut aussi signaler que les communes sont soumises aux mêmes difficultés et je fais appel à tous les conseillers communaux ayant un sens social pour qu’ils prennent la parole aussi en défense de leur CPAS. Car souvent, la compréhension des problèmes de pauvreté croissante est aux abonnés absents, ou au régime des mesures linéaires.

Il faut que je m’arrête ici, mais le sort que l’on réserve aux pouvoirs locaux, et en ce qui me concerne aux CPAS, n’est pas digne d’un pays qui se dit avoir (et c’est exact) un des meilleurs systèmes de sécurité sociale au monde? Alors je crie: à quand un PLAN MARCHAL SOCIAL? Vais-je devoir me suicider devant le 16 rue de la Loi, à Jambes ou Place Saint-Lambert à Liège, pour obtenir des réponses à ces questions?

Puis-je espérer avant cet acte spectaculaire, obtenir une réponse qui non seulement dit comprendre les CPAS, leurs actions, leurs difficultés, celle de leur personnel qui s’épuise psychologiquement et physiquement, mais aussi une INTENTION autre que des réponses mécaniques de l’ordre du « cherchez des économies, via des synergies avec votre communes »? Car que ferait-on si les CPAS étaient intégrés à la commune (vieux rêve de certains), sinon y déplacer la pauvreté?

Parle, parle, Emonts, me dit-on souvent, tu prêches dans le désert… Il y-a-t-il en effet quelqu’un à l’autre bout du téléphone? Au soir de ma carrière, je me pose singulièrement la question. Quand reconnaîtra-t-on ce bel outil qu’est le CPAS?

Quand comprendra-t-on qu’au-delà des économies (logiques quand elles luttent contre des mauvaises pratiques), la dignité et la défense de notre système social si durement gagné par nos grands-parents, vaut une réflexion tout au bas de l’échelle. Ce serait m’éviter le suicide (au moins moral) et rien moins que juste et logique.

Claude Emonts
Président du CPAS de Liège.

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