Palestine, printemps 2005

Où en est le conflit israélo-palestinien ? Quelle représentation peut-on se faire des rapports de forces, des enjeux et des perspectives, à l'échelle internationale? Voici une lecture qui n'engage que son auteur.

S"agissant de la Palestine, depuis plus d'un demi-siècle, et c'est un de ses traits spécifiques, le pire est toujours sûr.

Quelle est la situation sur le terrain ? Depuis la mort, encore qualifiée de "mystérieuse", par un observateur aussi averti que Youri Avnéry, du Président Yasser Arafat, une nouvelle période s'est ouverte. Ce constat fait l'unanimité. Tout dépend du contenu qu'on lui donne. Si on laisse de côté les spéculations de toutes sortes auxquelles a donné lieu l'événement, en se gardant même d'établir un quelconque lien de causalité entre la disparition d'Abou Amar et la transition qu'elle a provoquée, on peut poser les questions suivantes concernant ce qu'il est convenu de nommer "le processus de paix" :

1. Qu'a obtenu, de la part des Palestiniens, le nouveau Président Abou Mazen, indépendamment des jugements portés sur sa personne ? Il a incontestablement bénéficié d'un consensus populaire, traduisant le caractère démocratique de son élection. Le danger de divisions et de fractures, d'où le principe d'une guerre civile n'était pas exclu, a été écarté. Une trêve, acceptée par les mouvements considérés comme les plus "radicaux", Hamas et Brigades des martyrs d'Al Aqsa, a été jusqu'ici respectée, en dépit des provocations. Le peuple palestinien a donné ainsi une nouvelle preuve de son courage et de la détermination de sa conscience politique.

2. En regard, comme dans tout marché, quels gains, du côté israélien ? La promesse de l'évacuation de la bande de Gaza a été louée dans les chancelleries comme une concession de première importance, mais sa réalisation n'en a pas moins sans cesse été différée. Le développement de la colonisation en Cisjordanie n'a connu aucun ralentissement. Au contraire l'occupation a gagné en nombre et en espace. Il en est allé de même à Jérusalem, par accaparements et tractations financières. A Hébron, qui a valeur de haut symbole, les 500 familles de colons hystériques ont été maintenues, pourrissant délibérément la vie d'une ville de 150.000 habitants. Le mur a poursuivi son implacable progression, entraînant son lot de spoliations et de misère. La statistique des tués a conservé sa courbe. L'asphyxie économique et le chômage en ont fait autant. La libération des prisonniers s'est tenue à un taux ridicule. La question elle-même du retour a été évacuée, de la droite à la gauche et pas seulement en Israël. Des colonies de Gaza à l'Esplanade des Mosquées, les provocations, retournées, comme de coutume, en "représailles", ont tenté de briser la trêve. Enfin, le gouvernement Sharon, loin de capoter, a retrouvé son dynamisme, grâce à ses plus fidèles alliés, les socialistes de Shimon Pérés.

Conclusion : la vieille politique sioniste, likoudo-socialiste, est parvenue à ses fins, empêcher la création d'un Etat palestinien, fût-il réduit à 22 % et bientôt à 17-18 %. Il suffit de regarder la carte des confettis qui défie toute homogénéité territoriale, même minimale. La Cisjordanie ressemble à un foie bouffé par le cancer. Gaza n'est qu'une "bande", dont nul infirmier n'a l'usage. L'occupant, qui ne la quitte cependant qu'à regret, est de longue date convaincu, qu'elle est ingérable.

Existe-t-il des contre tendances ?

Au registre du positif, apprécié et mis en avant aussi par les chancelleries et les médias dociles, on invoque la "Feuille de route", à nouveau déterrée pour les besoins de la (bonne) cause, à l'inverse du mirifique "Plan de Genève", définitivement enseveli. Mais la "Feuille de route" est-elle autre chose qu'une feuille de vigne ? Comme chez les Trois Mousquetaires, seul compte le quatrième, les Etats-Unis, auquel les trois autres font une confiance d'autant plus aveugle qu'ils se savent et se sont réduits à l'impuissance.

Alors les Etats-Unis ? On a tout d'abord proclamé le changement d'attitude de Bush II. Or, à quelques remontrances sans conséquences près, il s'est marqué par la ferme attitude de la nouvelle préposée aux Affaires internationales, Mme C. Rice, -un coup, le Proche-Orient est la dernière roue de la charrette, le coup d'après, il est converti en clef du projet transformateur du grand Moyen-Orient. S'y retrouve qui pourra. Reste cette leçon : indécision ou calcul, rien ne permet de penser qu'ait été retirée la carte blanche accordée à Sharon.

Et l'Europe ? Elle banque et se tait. Depuis que la velléité du Parlement de Strasbourg de sanctionner (un peu) Israël a été passée à la trappe par les satrapes bruxellois, que pourrait-on attendre d'une instance uniquement préoccupée de son destin constitutionnel et, de surcroît, engrossée de recrues récentes, toutes suppôts des E. U. ?

Et du côté de la patrie des Droits de l'Homme, dont les politiques, à droite surtout (mais qui s'en plaindrait ?), ne sont jamais à court de déclamations vibrantes sur les droits "inaliénables" du peuple palestinien, qu'apprend-on ? Versant officiel, le pèlerinage à Tel-Aviv est toujours fort goûté, après Raffarin, voici le dernier pénitent, l'inestimable Devedjian, venu du mouvement "Occident". Mais ce n'est pas grand-chose, auprès de la reconstitution du tandem de choc Maison Blanche/Elysée sur le Liban. On exige de la Syrie le retrait sans délai de toutes ses troupes, après deux décennies de laisser-faire et au risque de renvoyer le pays à ses étripages confessionnels. Le prétexte de l'assassinat d'Hariri, qui n'était guère anti-syrien, comme on sait, pèse peu dans la volonté de la France de rentrer au bercail, après l'épisode des gesticulations contre l'agression de l'Irak. Et il faut que ladite volonté soit forte, pour ne pas craindre de s'aliéner un peu plus la confiance du monde arabe. Notons qu'elle s'est déjà traduite par le rétablissement des relations diplomatiques consécutives à la farce électorale de Bagdad, et les engagements de contributions financières, sur fond, bien entendu, de puissants intérêts économiques locaux. Au point que le diktat adressé à Damas n'est même pas assorti de sa réciproque, si artificielle qu'elle puisse être, du retrait de "Tsahal" du Golan, pourtant tout aussi indûment occupé que la Bekaa.

C'est pourquoi, versant officieux (?), dans l'Hexagone, le camp des inconditionnels d'Israël, le lobby du CRIF et autres terroristes moraux, passe résolument à l'offensive. La fameuse journée de soutien du soldat israélien s'est tenue cette année avec un bel accord des autorités. A Toulouse, un congrès de victimologie infantile, strictement limité aux enfants israéliens touchés par le conflit, a pu se réunir sous le patronage du ministre de la santé, dont on connaît la sollicitude envers les urgences. Les commerçants parisiens viennent d'être invités à placarder sur leurs vitrines des affichettes manifestant leur attachement à Israël. Elevée à la hauteur d'une infamie historique, l'affaire Dieudonné a franchi les frontières. Je n'ai nullement l'intention de tomber dans le piège de la casuistique portant sur les propos tenus ou pas par l'intéressé, il me suffit de comparer, dans ces temps d'inondation dévote, avec le sort réservé par les humoristes à l'institution papale : l'un représente Benoît XVI en uniforme allemand; l'autre voit une fumée rose saluant l'élection d'un pontife pédophile…"Deux poids, deux mesures", comment éviter cette formule fatiguée ?

Conclusion : renvoi hélas à la précédente. Pas d'Etat palestinien, c'est quasiment entendu urbi et orbi. Et le droit de massacrer les Palestiniens, d'accaparer leurs terres, de détruire leurs maisons, de les priver d'eau, et d'inlassablement les humilier est reconduit une fois encore, grâce à la complaisance active des puissances dominantes et le lâche silence des gouvernements arabes. Qu'en sortira-t-il ? Une nouvelle Intifada, vouée plus que jamais à la réprobation universelle ? Une ultime Intifada ? Tout est à craindre. Et le pire.

Ecrasante apparaît de la sorte la responsabilité des organisations de solidarité avec le peuple palestinien. Doivent-elles échanger l'utopie d'un Etat indépendant contre l'utopie d'un Etat binational, le pragmatisme mortellement blessé des années de "négociation" contre l'idéal fantasmé qui présida aux commencements, le moins contre le plus ? Et quel prix à payer par tous les protagonistes ?

Il semble enfin impossible de faire l'économie de la radicalité et d'abord dans la réflexion.

Georges Labica (début avril)

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