Népal 2008, une avancée révolutionnaire prometteuse

Une armée de libération qui soutient une révolte généralisée de la paysannerie, parvient aux portes de la capitale dont le peuple se soulève à son tour, chasse le gouvernement royal en place, accueille en libérateur le Parti Communiste (maoïste), dont l’efficacité de la stratégie révolutionnaire n’est plus à démontrer.
1.Une authentique avancée révolutionnaire

Il s’agit là de l’avancée révolutionnaire victorieuse la plus radicale de notre époque, et, à ce titre, la plus prometteuse. On imagine – pour la comparaison – les FARC de Colombie parvenus à mobiliser l’ensemble de la paysannerie du pays (impossible à imaginer), articulant leur victoire à un soulèvement populaire urbain chassant Uribe de Bogota (tout également impossible à imaginer), permettant ainsi, aux FARC de diriger le nouveau gouvernement révolutionnaire !

Cette victoire au Népal a créé les conditions d’un premier succès, celui d’une révolution nationale, populaire et démocratique, qualifiée de révolution antiféodale/anti-impérialiste par le PC (maoïste) lui-même. En effet la révolte urbaine généralisée, associant classes populaires et classes moyennes, a contraint tous les partis politiques de la place à se proclamer à leur tour « révolutionnaires/républicains ». Ce à quoi ils n’avaient jamais pensé quelques semaines encore avant la victoire des Maos, ayant fait l’option du « combat pacifique », de la voie « réformiste » et investi leurs espoirs dans des « élections ». L’autre parti communiste – l’Union des Communistes marxistes léninistes – avait lui-même rejoint le camp des réformistes et dénoncé « l’aventurisme » des Maos.

Le Parti communiste (maoïste) a choisi délibérément de passer un accord de compromis avec les partis en question (le Congrès du Népal, l’UCML et d’autres), estimant qu’ils avaient regagné par leur ralliement à la révolution un minimum de légitimité qui ne pouvait être contestée dans la foulée.

Un compromis – qualifié « d’accord de paix » par les instances de l’ONU qui l’ont préconisé – qui a transféré à une Assemblée Constituante le soin de rédiger la nouvelle constitution républicaine démocratique et populaire. Ces élections, pluri partistes, ont donné aux Maos la première place dans la constitution de la coalition victorieuse (confiant ainsi la responsabilité de la primature à leur dirigeant « Prachanda »). A l’Assemblée siègent pour la première fois dans l’histoire du pays et de toute la région du sous continent indien d’authentiques élus du peuple, paysans pauvres, travailleurs de l’informel urbain, femmes du peuple.

2.Cinq défis majeurs pour l’avenir

L’accord de compromis ne règle pas les problèmes à venir, au contraire il en révèle toute l’ampleur. Les défis auxquels les forces populaires révolutionnaires sont désormais confrontées sont gigantesques. Nous les examinerons dans les cinq rubriques qui suivent.

(i) La réforme agraire

Le soulèvement paysan a été le produit de l’analyse correcte de la question agraire faite par les Maos et des conclusions stratégiques, également correctes, qu’ils en ont tiré : la grande majorité de la paysannerie, constituée de sans terre (souvent Dalits dans certaines régions du pays), de fermiers/métayers sur-exploités, de minifundiaires pauvres, pouvait être organisée dans un front uni et passer à la lutte armée, à l’occupation des terres (y compris en donnant aux Dalits l’accès à celle-ci, refusé par le système des castes en Inde), à la réduction des rentes foncières payées aux propriétaires etc. Le soulèvement s’est, pour ces raisons, progressivement généralisé à travers le pays, et son armée, organisée par les maos, a infligé des défaites à l’armée de l’Etat. Mais il est vrai qu’au moment où la révolte dans la capitale ouvrait ses portes au Parti Communiste (maoïste), l’armée populaire n’était pas (ou pas encore) parvenu à désintégrer celle de l’Etat, fortement soutenue et équipée par le gouvernement de Delhi et les puissances impérialistes.

Dans le moment actuel de « compromis » deux lignes sont avancées par forces politiques associées et représentées dans l’Assemblée :

– La ligne défendue par les Maos, celle d’une réforme agraire révolutionnaire radicale, garantissant l’accès au sol (et aux moyens nécessaires pour en vivre) à toute la paysannerie pauvre (la grande majorité), sans néanmoins toucher aux propriétés des paysans riches.

– La ligne, imprécise, défendue par d’autres partis (en particulier le Congrés), d’une réforme « modérée », exigeant de surcroit, avant que la loi n’en détermine les contours, le retour de l’ordre ancien dans les régions libérées par la révolte paysanne.

(ii)L’avenir des forces armées

Les deux forces armées coexistent dans le moment actuel. Une coexistence qui ne saurait évidemment être perpétuée indéfiniment.

– Le Parti Communiste (mao) suggère leur fusion

– Ses adversaires craignent (ils le reconnaissent publiquement) que celle-ci conduirait les soldats de l’Armée de l’Etat à être « gangrenés » par l’idéologie mao ! mais ils ne proposent rien, et n’osent pas exiger la dissolution de l’Armée populaire.

(iii)Démocratie bourgeoise ou démocratie populaire ?

La question est majeure et anime tous les débats à l’Assemblée Constituante, dans les partis politiques, dans les organisations populaires de paysans, de femmes, d’étudiants, dans les syndicats et les associations diverses dans lesquelles se retrouvent principalement les couches politisées des classes moyennes.

Il y a dans la société des défenseurs de la formule conventionnelle de la démocratie, réduite au pluripartisme, aux élections, à la séparation formelle des pouvoirs (entre autre à l’indépendance du judiciaire), à la proclamation des droits humains et politiques fondamentaux. Telle est d’ailleurs la formule générale dans laquelle l’idéologie dominante à l’échelle mondiale, relayée par les médias majeurs (entre autre eux des pays occidentaux) tente d’enfermer le débat.

Les maos font observer que les droits fondamentaux sur lesquels repose la « démocratie » proposée placent le respect de la propriété privée au sommet de la hiérarchie des droits dits humains. En contrepoint les Maos défendent la priorité des droits sociaux sans la mise en œuvre effective desquels aucun progrès social n’est possible : droit à la vie, à l’alimentation, au logement, au travail, à l’éducation, à la santé. La propriété privée n’est pas « sacrée », son respect trouve sa limite dans les exigences de la mise en œuvre des droits sociaux.

Autrement dit les uns défendent le concept de démocratie dissociée des questions du progrès social (le concept bourgeois et dominant dit de « démocratie »), les autres celui de la démocratie associée au progrès social.

Le débat – au Népal – n’est pas confus, mais il est souvent polémique. Les défenseurs de la « démocratie à l’occidentale » comptent dans leurs rangs d’authentiques réactionnaires, qui, hier encore, ne protestaient guère contre l’autocratie royale, ou se contentaient de protestations mineures, souhaitant être associés davantage à celle-ci. Mais ils comptent dans leurs rangs également des démocrates sans doute sincères mais peu sensibles aux misères réelles dont souffrent les classes populaires. Les ONG de « défense des droits démocratiques », mobilisées en masse dans ce cadre, largement soutenues par l’extérieur, plaident la cause « modérée » comme elles le peuvent. Les unes se contentent de dire que la démocratie conventionnelle et limitée vaut mieux que rien, comme si davantage était impossible. Les autres dressent un procès d’intention aux Maos, « communistes invétérés », « staliniens », « totalitaires », imitateurs du modèle d’autocratie chinoise etc.

Les Maos ne se défendent pas mal, face à ces attaques pernicieuses. Ils rappellent qu’ils ne récusent pas la propriété privée paysanne, artisanale et même capitaliste, nationale ou étrangère. Sans pour autant s’interdire la nationalisation si l’intérêt national l’exige (interdisant aux banques étrangères d’imposer l’intégration du pays au marché financier globalisé). Ils ne remettent en question que la propriété foncière « féodale », dont les bénéficiaires avaient été les clients des rois successifs, autorisés à déposséder les communautés paysannes. Ils ne récusent pas d’avantages les droits personnels et l’indépendance de la justice chargée d’en garantir le respect. Ils ajoutent à ce programme, sans le réduire, en invitant l’Assemblée Constituante à formuler non seulement les grands principes des droits sociaux, mais encore les formes institutionnelles nécessaires à leur mise en œuvre. La démocratie populaire qu’ils définissent de cette manière reste, bien entendu, à inventer progressivement, par le moyen de l’intervention à la fois des classes populaires s’organisant par elles mêmes et de l’Etat.

Evidemment il n’existe pas de « garantie » protégeant l’avenir de risques de dérapage. Soit dans le sens d’une autocratie du pouvoir de l’Etat. Soit dans celui non moins réel, d’un alignement opportuniste sur ce qui paraît être le « possible » dans l’immédiat, acceptant par là même le ralliement des Maos à la ligne « modérée » de leurs concurrents. Mais de quel droit condamner à l’avance l’expérience, quand on sait que les questions soulevées ici sont l’objet de débats sérieux au sein du parti ? Et que la pluralité des opinions y est admise ?

Ces analyses et les stratégies de poursuite des luttes vont au-delà de celles qui ont été formulées à l’époque de Bandoung à partir de 1955. A l’époque les régimes issus des luttes de libération nationale d’Asie et d’Afrique, légitimes et populaires de ce fait, étaient d’une nature généralement « populiste » qui se reconnaissait dans les pratiques de l’Etat (souvent confondu avec son héro charismatique) et du parti (fabriqué par en haut dans certains cas, toujours peu démocratique dans sa pratique même lorsqu’il héritait des mobilisations populaires associées aux luttes de libération) dans leurs relations au « peuple » (substitut vague de l’alliance de classes populaires identifiées). L’idéologie sur laquelle reposait la légitimité du pouvoir ne faisait pas référence au marxisme, elle avait été fabriqué de brics et de brocs, associant une lecture du passé largement réinventé et présenté comme essentiellement « progressiste » (par les formes prétendues démocratiques de l’exercice des pouvoirs dans les communautés anciennes, par des interprétations religieuses de même nature) et des mythes nationalistes fondateurs, à un pragmatisme peu critique en ce qui concerne les exigences de la modernisation technologique et administrative. Le « socialisme » par lequel les régimes de Bandoung s’auto qualifiaient demeurait vague à l’extrême, difficile à distinguer de l’étatisme populiste redistributeur et garant de la « justice sociale ». Doit-on signaler la permanence de beaucoup de ces caractères dans les avancées récentes de l’Amérique latine qui n’avait pas eu la chance de connaître l’expérience de Bandoung, et risque de ce fait d’en reproduire les limites ?

Les Maos du Népal ont développé une toute autre vision de la question du socialisme. Ils s’abstiennent de réduire la « construction du socialisme » à la réalisation même de l’ensemble de leur programme actuel maximal (réforme agraire radicale, Armée du peuple, démocratie populaire). Ils qualifient ce programme de « national populaire démocratique », ouvrant la voie (mais pas plus) à la longue transition (séculaire) au socialisme. Ils n’utilisent pas l’expression de « socialisme du XXIe siècle ».

(iv)La question du fédéralisme

La géographie physique et humaine des vallées de l’Himalaya s’exprime par l’extrême diversité des communautés paysannes du Népal. Il ne s’agit pas de deux, trois ou quatre « ethnies », mais d’une centaine dit-on de communautés, parentes certes par la langue (népali ou tibétain) et la religion (hindouiste ou bouddhiste), mais néanmoins fières de leur particularité. Les peuples de ces communautés aspirent à récupérer l’usage de leurs terres, expropriées par les clientèles des généraux conquérants au service des rois, à la reconnaissance de leur dignité et à l’égalité de traitement. Mais ils ne nourrissent aucune aspiration à la sécession.

La formule de la République Fédérale, prônée par les maoïstes, peut certainement répondre aux demandes des peuples népalais. Elle n’en comporte pas moins le danger d’être mobilisée par les adversaires du pouvoir central, le cas échéant.

(v)La question de l’indépendance économique du pays

Le Népal est classé par les Nations Unies dans la catégorie des « pays moins développés ». L’administration « moderne » de l’Etat et des services sociaux, les travaux d’infrastructure dépendent de ce fait de l’aide extérieure. Le gouvernement en place est conscient semble-t-il de la nécessité de se libérer de cette dépendance extrême. Mais il sait que celle-ci ne peut être que graduelle. La souveraineté alimentaire ne constitue pas au Népal le problème majeur, bien que l’autosuffisance dans ce domaine soit associée à des rations alimentaires souvent déplorables. L’organisation de réseaux de commercialisation plus efficaces et moins coûteux pour les producteurs paysans et les consommateurs urbains fait par contre problème, car elle met en jeu les intérêts des intermédiaires. Celle de la petite production mi artisanale, mi industrielle capable de réduire la dépendance des importations exigera des efforts difficiles et du temps pour donner des résultats convenables.

Le discours maoïste sur un modèle de développement « inclusif » (« inclusive » en anglais), c’est-à-dire bénéficiant directement et à chacune des étapes de son déploiement aux classes populaires, par opposition au modèle « indien » de croissance associée à un modèle social « excluant » (« exclusive ») c’est-à-dire ne bénéficiant qu’à 20% de la population, et condamnant les autres – 80% – à la stagnation quand cela n’est pas la paupérisation, témoigne d’une option de principe qu’on ne peut que soutenir. Sa traduction en programmes de mise en œuvre effectifs reste à être formulée.

3.Qui l’emportera ?

Le Népal révolutionnaire se heurte à l’hostilité féroce de son voisin majeur, l’Inde, dont la classe dirigeante craint les effets de contagion. La révolte endémique des Naxalites indiens pourrait, en s’inspirant des leçons des victoires remportées au Népal, remettre sérieusement en cause la stabilité des modes d’exploitation et d’oppression en vigueur dans le sous continent indien.

Cette hostilité ne doit pas être sous estimée. Elle constitue l’une des raisons du rapprochement militaire entre l’Inde et les Etats Unis. Elle mobilise des moyens matériels politiques considérables. Elle finance entre autre la constitution d’une « alternative » hindouiste politique, sur le modèle du BJP indien, l’analogue de l’Islam politique du Pakistan et ailleurs ou du Bouddhisme politique du Dalai Lama et d’autres. Le soutien des Etats Unis et autres puissances occidentales – la Grande Bretagne en particulier – s’articule sur ces projets réactionnaires. La cristallisation d’un hindouiste politique népalais puissant aurait ses chances si les réalisations – même modestes – du nouveau Népal venaient à piétiner trop longtemps. L’intervention extérieure pourrait alors également mobiliser les réactionnaires népalais et susciter même des mouvements « sécessionnistes ». L’utilisation de l’aide extérieure, toujours conditionnelle même si on ne l’avoue pas, et les discours démagogiques concernant les “droits de l’homme » et la démocratie, que les réseaux d’ONG alimentent, trouvent leur place dans cette stratégie de l’ennemi.

Le compromis en vigueur retarde la mise en œuvre du programme de réformes radicales qui sont à l’origine de la popularité des maos. Il encourage certaines tendances – dans les rangs de la direction politique elle-même – à vouloir s’en tenir à ce que ce compromis permet, préparant ainsi le terrain à la contre offensive de la réaction.

Mais il n’y a pas lieu de désespérer. Les Maos répètent publiquement que les classes populaires ont le droit de rester mobilisées et de poursuivre leur combat pour la réalisation de leur programme, quels que soient les résultats des délibérations de l’Assemblée Constituante. Les Maos ne sont pas tombés dans le piège de l’électoralisme. Ils distinguent soigneusement ce qu’ils appellent leur base sociale (« social constituency »), constituée de la majorité (les paysans pauvres, les travailleurs urbains des classes populaires, les étudiants et les jeunes, les femmes, les segments patriotes et démocratiques des classes moyennes) de leur base électorale (« electoral constituency ») qui, comme toutes les bases électorales reste volatile. Construire cette base sociale populaire dans un bloc social organisé dominant, alternatif au bloc féodal – compradore du pouvoir renversé, constitue l’objectif du combat de longue haleine du Parti Communiste (maoïste).

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