Mais si, Monsieur Sarkozy, c'est le rôle de la France qui explique l'état présent de l'Afrique !

Lettre ouverte au Président Nicolas SARKOZY, suite à son voyage en Afrique

Monsieur le Président,

Permettez-moi de joindre ma modeste voix à celles, nombreuses et plus autorisées, (Alpha O. KONARE, Mater A. MBOW, Doudou DIENE, Mamadou Coulibaly, etc.) qui se sont déjà exprimées après votre visite-éclair au Sénégal et au Gabon.

Votre discours de près de 50 minutes à l’adresse de « l’élite de la jeunesse africaine », dans l’enceinte même de l’Université CHEIKH ANTA DIOP, ce haut lieu de la transmission du Savoir qui a vu passer les meilleures élites du continent, a agacé, révolté, et choqué bon nombre d’Africains qui se sont sentis « insultés »par vos propos.

Faut-il vous rappeler, Monsieur le Président, ce que symbolise aux yeux de la jeunesse africaine le nom que porte cette haute institution universitaire ?

Première entorse à la « Teranga » sénégalaise : vous n’avez même pas daigné saluer, ou évoquer la mémoire de cet illustre et savant africain, l’un des dignes fils que la terre africaine ait jamais porté. Ainsi,vous avez profané la mémoire de tout un continent, donnant raison à tous ceux qui qualifient vos penchants et postures « d’arrogants »,de « méprisants », et d’ « insultants ». Mais, cela peut se comprendre dans une moindre mesure, car pendant plus d’un demi-siècle, une certaine élite intellectuelle française acquise aux thèses négationnistes révisionnistes, voire négrophobes n’a eu de cesse de contester et de diaboliser l’auteur de « Nations Nègres et Cultures », l’ouvrage « le plus génial qu’un Nègre ait jamais écrit », si l’on en croit le Grand Maître de la pensée historique Nègre, Aimé CESAIRE, lui-même.

Que peut-on donc retenir grosso modo de votre longue litanie de récriminations contre L’Afrique et les Africains ?

-Que ces derniers ressassaient sans arrêt le procès de la colonisation.

-Qu’ils seraient des nostalgiques du temps mythique de L’Eternel Retour, d’où leur refus d’entrer dans la modernité.

-Que des Africains ont vendu d’autres Africains aux négriers.

Avant de répondre à quelques unes de vos nombreuses charges, permettez-moi de revenir sur l’idée de rupture, socle essentiel de votre législature, et leitmotiv de tous vos discours.

Au lendemain de votre intervention de DAKAR, un grand démocrate africain, le président Alpha O. KONARE vous répondait aussitôt en ces termes : « Je suis certain que le président souhaite la rupture […] je pense que pour l’aider dans la rupture, il a besoin de mieux connaître l’Afrique et nous sommes prêts dans ces échanges avec lui. » Avant d’ajouter : « SARKOZY a besoin de mieux connaître l’Afrique ». On ne pouvait pas mieux dire. Dans un article récent, moi-même, je m’interrogeais sur votre « vraie fausse rupture ». A l’évidence, en choisissant de visiter les deux postes avancés de la « Françafrique » qui constituent votre « pré carré » (même si vous récusez ce terme) : le SENEGAL, pays en net et inquiétant recul démocratique, et le GABON, vieille terre « françafricaine » dirigée votre «ami » OMAR, peu respectueux des règles élémentaires des droits de l’Homme, vous ne faites que poursuivre la voie tracée par vos prédécesseurs. Mais cela ne peut en être autrement car, malgré vos dénégations « La France n’a pas besoin économiquement de l’Afrique », le continent noir reste un enjeu économique majeur pour le Grand Patronat Français dont vous êtes très proche, et qui contrôle diverses activités économiques en Afrique sub-saharienne, à travers certaines entreprises telles que : Bouygues, Bolloré, Areva, Elf, Total, Lafarge, Air -France, …pour ne citer que celles-là.

En somme, votre prétendue rupture s’inscrit dans la continuité de la « Françafrique », initiée par vos prédécesseurs, le style en plus.

« La colonisation n’est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de L’Afrique. Elle n’est pas responsable de guerres sanglantes [ … ] Elle n’est pas responsable des génocides. Elle n’est pas responsable des dictateurs. Elle n’est pas responsable du fanatisme. Elle n’est pas responsable de la corruption, de la prévarication [… ]» affirmiez-vous sans ambages.

Monsieur le Président, il est curieux que votre mémoire historique ne s’arrête qu’à une seule période : celle de la colonisation. De la période néocoloniale, aucune mention, ni allusion.

Avez-vous oublié que la corruption, la dictature, le clientélisme et leurs différentes déclinaisons, avant de devenir des pratiques néocoloniales, furent d’abord des inventions coloniales ? Les chefs d’Etats africains compradores n’ont fait que « tropicaliser » les vieilles habitudes clientélistes et prévaricatrices de leurs anciens maîtres (Commandants de cercle, Gouverneurs et autres relais de la puissance coloniale). C’est dire que les bons élèves « françafricains » (BIYA, BONGO, SASSOU, EYADEMA, DEBY, HABRE, BOZIZE, WADE, HOUPHOUET, COMPAORE…) ont bien assimilé les leçons de leurs maîtres au point de dépasser ces derniers, voire d’exceller en la matière .Derrière ces africains corrompus, se profile immanquablement l’ombre de leurs corrupteurs occidentaux, dont mon ami, le regretté François- Xavier VERSCHAVE, avait en son temps, dénoncé les méthodes et pratiques politico mafieuses dans ses nombreux ouvrages dédiés entre autres, à la « France à Fric ». Quelques exemples de corruption « françafricaines » pourraient vous rafraîchir la mémoire: Affaire Carrefour de Développement, Affaire ELF, Angolagate, les Diamants de BOKASSA etc.…

Pour en revenir aux dictatures dont la colonisation ne serait pas responsable, une question, Monsieur le Président : qui a armé, mis au pouvoir et soutenu des satrapes comme AHIDJO, MOBUTU, EYADEMA, BOKASSA et les autres, tous des marques de fabrique de la colonisation franco-belge ? Que sont devenus les véritables Panafricains qui avaient de grands desseins pour l’Afrique : Sylvanus OLYMPIO, Barthélemy BOGANDA , Patrice LUMUMBA,Ruben UM NYOBE , Afandé ASSANA , Félix MOUNIE (ces trois derniers, membres- fondateurs de L’armée de Libération Nationale du Kamerun), Thomas SANKARA , Amilcar CABRAL , Eduardo MONDLANE , Mehdi Ben BARKA … ? Tous assassinés soit directement par des agents de la colonisation, soit indirectement par les suppôts locaux de la néo- colonisation, pour avoir préféré la liberté et la dignité dans la pauvreté, plutôt que la servitude et la soumission dans l’opulence corruptrice.

Quant aux crimes et génocides coloniaux, pourquoi ne parlez-vous pas du massacre des militants de L’U.P.C. (Union du Peuple Camerounais), ainsi que des Bamiléké dans le maquis en 1958 (300 à 400. 000 morts), des massacres de Sétif et de Madagascar… ? Par ailleurs, on attend toujours les rapports complets de l’ONU pour connaître le véritable rôle joué par la France mitterrandienne dans le génocide rwandais, dont quelques initiateurs ont trouvé refuge en Europe, et notamment en France.

Offense suprême à nos morts ! Vous n’avez même pas, Monsieur le Président, sur cette terre sénégalaise de sueur, de sang, et de déportation, évoqué la mémoire de ces soldats, (« chairs à canon », comme on disait à l’époque), enrôlés dans l’Armée française, pour défendre la « Mère Patrie » pendant la Seconde guerre mondiale, et qui furent par la suite, honteusement massacrés à THIAROYE. Leur seul tort était d’avoir légitimement demandé que leurs pensions de guerre fussent alignées sur celles de leurs camarades d’armes français, eux, de « vraie » souche. Une simple allusion à cette histoire douloureuse vous aurait réconcilié avec les descendants de ces « Tirailleurs », et par voie de conséquence avec toute l’Afrique.

« Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources des richesses qui ne lui appartenaient pas […]Il a construit des ponts, des routes, de hôpitaux, des dispensaires, des écoles… », Dites –vous aussi.

«La colonisation a été une grande faute » avez-vous ajouté en substance. Est-ce une repentance tardive de votre part, qui relèguerait dans les poubelles de l’Histoire la Loi du 23 février sur « les bienfaits de la colonisation » ?

Une simple « faute » la colonisation ? Pourquoi voulez-vous, Monsieur le Président, passer par pertes et profits, voire banaliser les crimes coloniaux en Afrique entre les 19ème et le 20ème siècles ? Déportations, dépersonnalisation et perte d’identité des peuples, division des familles, des ethnies et des tribus, ségrégation raciale (code de l’indigénat), balkanisation des territoires naguère homogènes, viol des cultures, assassinats et déportations des résistants à la colonisation, travaux forcés, expropriations…Voilà ce que vous qualifiez, sans sourciller de simple « faute ».

Tout cela au nom d’une certaine « Mission Civilisatrice » de la France, comme naguère, pendant la période esclavagiste.

Ces crimes coloniaux resteront des tâches indélébiles dans la profonde mémoire des Africains, tant qu’une certaine élite politique et intellectuelle française refusera d’assumer son histoire pour s’en démarquer et condamner ses postures contemporaines, au lieu de persister dans le déni de mémoire .Il ne s’agit pas de demander comme de l’aumône, une quelconque repentance. Les Africains dans leur grande majorité ne réclament pas cela, Monsieur le Président. La démarche contraire serait indigne de leur part..

Un des paradoxes, et non des moindres,de vos propos est que, tout en reconnaissant vous-même que la colonisation fut une de « grande faute »,curieusement, vous ne résistez pas à l’envie d’en faire le panégyrique. De fait, il apparaît que vous n’avez pas totalement renoncé à la Loi du 23 février qui vous colle de manière indécrottable à la peau. Lorsque vous vantez les ponts, les routes, les dispensaires, les écoles…, comme étant des « bienfaits de la colonisation », vous semblez ignorer la réalité de la colonisation en Afrique.

Bien avant les équipées coloniales en Afrique, ce continent était à l’époque, en avance sur l’Europe dans plusieurs domaines dont les traces encore visibles, sont révélées par l’archéologie, l’Anthropologie,l’Histoire et d’autres disciplines des sciences de l’Homme.

Et l’acharnement des historiens négationnistes ne peut rien changer à cette réalité historique. D’ailleurs, quelle certitude avez-vous que, sans la colonisation, l’Afrique n’aurait pas poursuivi son développement endogène, qui était déjà à son paroxysme ? Affirmer le contraire serait une insulte à l’intelligence et à l’esprit de créativité de ces peuples qui furent de grands bâtisseurs et inventeurs de tous les temps.

Aussi, les Africains qui se sont intéressés à la question sont unanimes pour reconnaître que les « bienfaits »matériels de la colonisation ne visaient qu’un seul et unique but : la satisfaction exclusive des besoins des colons et de leurs pays, à travers les captations dolosives et léonines des richesses minières, agricoles et énergétiques du continent. L’observateur averti remarquera que la plupart des ponts, routes et autres infrastructures construits sous la colonisation l’ont été en particulier dans des régions très florissantes, dans le but de favoriser plus facilement l’écoulement de certaines matières premières. On oublie trop souvent que ces infrastuctures furent l’œuvre de nos grands- parents, soumis aux travaux forcés, humiliés, et, courbant l’échine sous les fouets de féroces et impitoyables gardes-chiourmes coloniaux, assistés de leurs supplétifs locaux. Faut-il rappeler, à l’instar du regretté et talentueux Sembene OUSMANE dans son excellent ouvrage, « Les Bouts de Bois de Dieu » ,comment et dans quelles conditions fut construit le chemin de fer Dakar-Niger ? Que dire des chemins de fer « Congo Océan », « Daho-Niger », etc., où des milliers d’Africains laissèrent leur vie ?

S’agissant des hôpitaux et des écoles dont tous les adeptes de la colonisation bienfaitrice nous rabâchent sans arrêt, ils contribuaient tout simplement à soigner et à éduquer une masse de serviteurs et une main-d’œuvre corvéable, tel un cheptel que l’on entretient aux fins de rentabilité, dans lesquelles le colon pouvait puiser à satiété et sans vergogne.

Que dire également du recul des connaissances et transmissions des savoirs traditionnels (médecine et pharmacopée), et du patrimoine socio-culturel, (religion, éducation…) détruit par de multiples invasions et occupations étrangères sur le continent, au nom d’une prétendue civilisation blanche et chrétienne ?

Force donc est de reconnaître que la colonisation et son parangon, le néo-colonialisme, ont une lourde responsabilité dans l’état actuel de l’Afrique, en stoppant net ses grands progrès et son avance sur l’Europe.

Vous assénez ensuite, mutatis mutandis: « Le problème de L’Afrique […] c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, n’a jamais existé ».

N’en déplaise aux négationnistes et eurocentristes de tous poils : L’Afrique a véritablement connu un âge d’or. En effet, nous tenons du grand savant sénégalais, Cheikh Anta DIOP, propos confirmés par d’autres savants de renom, que les Sciences, les Arts, la Philosophie…, sont nés en Afrique et que la plupart des grands savants grecs qui furent à l’origine de la Pensée Occidentale, THALES, PYTHAGORE, SOCRATE, DIODORE de SICILE…, avaient eu comme Grands Maîtres, d’éminents érudits égyptiens, dont le vénérable professeur WENNOFER. « A l’époque où les Grecs commencèrent à venir en Egypte étudier aux 7ème et 8ème siècles, les philosophes égyptiens avaient déjà fondé d’immenses bibliothèques spécialisés dans l’Histoire, les Sciences, la Politique et les Religions », nous apprend le professeur MOLEFI ASANTE de L’ Université d’Etat de Philadelphie. C’est vous dire, Monsieur le Président, que cela fait des siècles et des siècles que nous étions dans la modernité. Au demeurant, celle-ci ne s’évalue pas, comme vous semblez l’imaginer, au nombre des bateaux négriers, de canons, de crimes coloniaux ayant entraîné des centaines de milliers de victimes africaines.

Il ne s’agit pas, comme vous le prétendez, de « ressasser le passé », mais d’en prendre conscience pour mieux appréhender le futur, fort en cela, de la sagesse de nos Ancêtres : « c’est au bout de l’ancienne corde que l’on tisse la nouvelle ».

« L’Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur. Ce sont des Africains qui ont vendu aux négriers d’autres Africains… » Dites –vous.

Monsieur le Président, vos propos vont à l’encontre de la vérité historique et sont faciles à identifier : leur base idéologique est le négationnisme dont certains intellectuels français comme PETRE GRENOUILLEAU, BRUCKNER, FINKIELKRAUT, CARRERE-D’ENCAUSSE, ZEMMOUR…, et quelques amuseurs publics du petit écran : SEVRAN, FOGIEL…., se sont faits les chantres tout récemment.

Le but manifeste de cette entreprise de déculpabilisation est de minimiser le rôle de l’Occident Négrier, dont la France, dans la Traite Négrière, et de culpabiliser les victimes et leurs descendants.

Prétendre, comme vous le faites, de manière péremptoire et sans aucune nuance, que « les Africains ont vendu leurs frères », révèle votre méconnaissance de l’Histoire de L’Afrique. Dans toute l’histoire des guerres d’occupation et des invasions étrangères,- cela est vrai depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours- des collaborateurs, traîtres, et renégats se sont toujours mis du côté des plus forts, soit par lâcheté, soit par intérêt .En témoigne l’exemple de la France pétainiste. Pourquoi ce qui est vérité au-delà de l’Hexagone serait-il mensonge en deçà, Monsieur le Président ?

L’histoire africaine ayant été longtemps occultée des programmes scolaires et de la mémoire française, vous n’avez, sans doute, jamais retenu les noms des grandes figures anti- esclavagistes du continent : NZINGA MBEMBA, ANA NZINGA MBANDI (Royaume du KONGO) ; NAZIR AL-DIN (Sénégambie) ; AMADOR (Sao Tomé) ; TEZIFON (Royaume d’ALLADA). Point n’est besoin de revenir sur les combats héroïques et multiformes des Jagas, des Bubi, des Angolares, qui s’opposèrent vaillamment à l’infâme commerce humain entre les 17ème et 18ème siècles.

Bien entendu, il n’est pas ici question de dédouaner quelques princes et rois collaborateurs, traites à leurs peuples qui furent souvent des supplétifs ou des créations des esclavagistes occidentaux. Ces « roitelets » dont nos chefs d’Etat « françafricains » actuels ne sont que de pâles et obscures répliques, n’agissaient qu’en leur nom propre et pour leur compte personnel, comme on peut encore le constater dans les ploutocraties post- coloniales.

D’ailleurs, Monsieur le Président, les Africains conscients, n’ont pas attendu la leçon de l’Occident, anciennement négrier, pour commencer leur devoir de mémoire.

Une dernière question si vous le permettez : qui a écrit le Code Noir, cet instrument juridique, barbare et déshumanisant qui ravalait les Nègres à l’état de « bien meuble » ? Ce ne sont pas des Africains contre d’autres Africains.

Avez-vous donc oublié ce qui fit naguère la prospérité des grandes villes comme BORDEAUX, NANTES, LA ROCHELLE, LE HAVRE, SAINT-MALO etc. ? Chacune des pierres des édifices de ces anciennes villes négrières porte la marque indélébile des filles et fils des Royaumes du Kongo, Dan Xomé, Mali, Ashanti, Bénin, Mossi…

Vous déclarez avec une arrogante certitude : « le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour [ … ] Le problème de l’Afrique c’est trop souvent, elle juge le présent par rapport à une pureté des origines totalement imaginaire et que personne ne peut espérer ressusciter […] »

Monsieur le Président, ce n’est pas vous faire injure que de vous rétorquer que vos connaissances sur l’Afrique méritent d’être réactualisées, car de toute évidence, elles se sont arrêtées au milieu du 19ème siècle. Tout d’abord, n’est pas Mircea ELIADE qui veut. Ensuite, votre conseiller spécial, Henri Guaino, l’inspirateur de votre discours devrait savoir que l’auteur du « Mythe de l’Eternel Retour » dut lui-même, passer au crible de la critique le concept hégélien de la « nécessité historique », qu’il a confronté à la problématique de « difficultés de l’historisme ». Et cela, Monsieur Guaino, par méconnaissance des éloquents travaux des chercheurs africains, américains et allemands, s’en est tenu –consciemment ou non – aux thèses négrophobes du philosophe allemand HEGEL, dont les idées furent à l’époque jugées par son compatriote, le philosophe SCHOPENHAUER de : « verbiage le plus creux (…) de galimatias le plus stupide qui ait jamais été entendu, du moins en dehors de maisons de fous ». HEGEL ne pensait-il pas, comme vous, aujourd’hui, que : « l’Afrique est le pays de la substance immobile et du désordre éblouissant, joyeux et tragique de la création ? Cette partie du monde n’a, à proprement parler, pas d’histoire », affirmait-il déjà, péremptoire. Les anthropologues E.TYLOR (Britannique) et L.LEVY-BRUHL (Français) reprirent plus tard les mêmes thèses racistes « du primitif rêveur, croyant à ses rêves » ainsi que celles de « la mentalité du primitif ignorant les principes logiques ». Ce sont donc toutes ces vieilles thèses, racistes et négrophobes des philosophes réactionnaires et des anthropologues colonialistes, décriées par des chercheurs sérieux, que vous avez maladroitement parodiées, ignorant que LEVY-BRUHL lui-même est revenu depuis, sur ses propres convictions. Quoique la réponse la plus pertinente à vos propos vous ait été apportée par le professeur camerounais, Achille MBEMBE de l’Université de Johannesburg, je me permettrai de relever encore une fois une énorme contradiction entre votre discours et la pratique courante en France. Ce pays est connu pour être, de tous les autres pays d’Europe, celui qui accumule les commémorations. Quel Africain vous a jamais fait le reproche de ressasser à longueur de commémorations des dates telles que le 11 novembre, le 8 mai, le 18 juin, le 14 juillet, la libération de la ville de Paris, l’anniversaire de l’autocrate et esclavagiste de Saint-Domingue, Napoléon Bonaparte, Le baptême de Clovis…, ou de ressasser à longueur d’ouvrages scolaires, la guerre de Cent ans, ou les deux Guerres mondiales ?

Monsieur le Président, mieux que quiconque, nous Africains, savons que notre Présent ne peut s’éclairer que par notre Passé et que seules ces deux temporalités peuvent nous permettre de projeter nos innovations dans le Futur. De grands sages Africains, dont l’illustre Amadou HAMPATE BÂ nous ont enseigné que la tridimensionnalité du temps (passé présent futur) est constitutive de l’ontologie de l’Être. Cette assertion transcende même la temporalité africaine pour ainsi participer d’une commune règle universelle.

Comme le disait encore le Président Alpha KONARE, vous avez « besoin de mieux connaître l’Afrique », j’ajouterai pour ma part, mieux connaître l’Afrique, mais la profonde, la vraie, celle qui avance et innove, envers et contre les aléas et les contraintes imposés par la nature et les hommes, souvent, d’une manière inique et cynique.

Or, visiblement, nous ne parlons pas de la même Afrique. Vous qui prétendez être proche du peuple, avez-vous demandé à vos pairs de vous promener dans les quartiers populaires des grandes capitales africaines ? Vous y rencontrerez cette jeunesse africaine inventive, imaginative et créatrice, qui semble tant vous préoccuper, et que malheureusement, vous enfermez dans des stéréotypes. Ce sont surtout, des étudiants de l’université Cheikh A. DIOP ou de Bamako suivant par visioconférence des cours d’économie ou de management dispensés par les meilleures universités d’Amérique du Nord, de jeunes chômeurs de Dakar surfant sur le net et dialoguant avec d’autres jeunes d’Asie, d’Europe, et d’ Amérique, de jeunes apprentis- mécaniciens de COTONOU essayant -fait pathétique- de faire fonctionner avec les moyens du bord, presque à mains nues, des voitures Peugeot vieilles de 20 ans, dites, « venues de France » , des turfistes d’ ABIDJAN suivant en direct et en temps réel des courses de chevaux à Vincennes ou à Longchamp, des étudiantes de LOME, diplômées mais sans emploi, passant commande -grâce aux solidarités familiales- de conteneurs de tissus à UTRECHT ou à ROTTERDAM, au moyen de « texto » ou des « MSN », si elles ne décident pas elles-mêmes, de prendre le premier vol pour Pékin ou Taiwan ; ce sont enfin, des rabatteurs de taxis d’ABUJA, capables de vous donner à la minute même, les cours des principales devises étrangères, comme sur n’importe quelle place boursière d’Europe, d’Amérique ou d’Asie, pour ne citer que ces exemples.

C’est vous dire, Monsieur le Président, que la jeunesse Africaine, est loin de « ressasser » le temps passé, mais vit au diapason du même temps que leurs homologues des autres pays du monde, et ne demande que des moyens pour se réaliser pleinement sur place au lieu d’aller « cramer » dans des immeubles vétustes à Paris, de risquer sa vie sur les côtes espagnoles ,ou de devenir d’éternels assistés des services sociaux de France et d’ailleurs, avec en prime, le mépris, le racisme et la menace des avions charters, à défaut d’être « karchérisés »dans des quartiers ghettos.

Cette jeunesse là n’attend plus rien de la France, 40 ans après les indépendances nominales; elle sait qu’il lui appartient de se prendre en charge. Elle se veut créatrice de modernité, luttant avec peu ou pas de moyens. Et, c’est par désespoir et par dépit qu’elle quitte le sol natal pour d’autres cieux plus cléments, bravant les mers, les océans, les obstacles bureaucratiques les consulats, et les fils barbelés des pays nantis.

Monsieur le Président, savez- vous que « l’élite de la jeunesse africaine » n’aspire qu’à travailler chez elle, au pays ? « Le terroir ne ment jamais », professe un vieux dicton africain du Sud- Togo. Croyez-vous donc que c’est de gaîté de cœur que ces jeunes Africains prennent le large vers l’inconnu, au mépris de leur vie ? En réalité, ils ne sont que des victimes expiatoires de votre politique « françafricaine », relayée sur place par certains de vos « amis », ainsi que de la mondialisation sauvage, néo libérale, que vous appelez de tous vos vœux à travers le fumeux concept « d’Eurafrique », version dépoussiérée en trompe- l’œil de l’obsolète « Françafrique ».

Aussi, tant que les moyens économiques demeureront concentrés dans les mains d’une minorité africaine prédatrice et corrompue avec le soutien et la complicité de leurs parrains étrangers, et aussi longtemps que les redistributions des ressources planétaires resteront inégalitaires, voyez-vous, Monsieur le Président, « l’élite de la jeunesse africaine » continuera à vider le continent, et, ni l’immensité insondable des océans, ni la hauteur démesurée des fils barbelés de Ceuta et Mélilla (enclaves espagnoles), ni enfin votre politique musclée de « reconduites aux frontières » ne pourront venir à bout de la détermination de ceux qui pensent, comme les Abidjanais que :« cabri mort n’a plus peur du couteau ».

Enfin, Monsieur le Président, dans le prolongement de vos élucubrations sur le « Mythe de L’Eternel Retour », vous avez interpellé le paysan africain en ces termes « […] Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. »

Encore une fois, quelle méconnaissance des réalités de la paysannerie africaine ! Et pourtant, les agronomes travaillant dans vos instituts de recherche (ORSTOM, INRA, CIRAD, IRD…), qui ont une longue expérience du terrain africain, auraient pu vous renseigner sur les conditions d’existence quotidienne des paysans africains victimes, non seulement des aléas climatiques naturels, mais aussi et surtout de la détérioration des termes de l’échange. Vous êtes-vous tout simplement demandé, au nom de quelle logique le F.M.I. et la Banque Mondiale interdisent-ils aux pays africains toute subvention à leurs paysans, pendant que les pays développés eux, (surtout les Etats-Unis) n’arrêtent pas de subventionner leurs propres agriculteurs ? Quand l’ « Association des Producteurs de coton Africains » a tenté de défendre ses intérêts face à L’O.M.C, lors de la dernière Conférence sur le coton, ce furent les pays du Nord qui se sont, comme toujours, opposés à leurs légitimes revendications. Vous feignez d’ignorer que les prix du café, du cacao et des autres matières premières dont vivent les paysans africains sont arbitrairement fixés à la Bourse de Londres, New-York, Paris, Milan,… Alors, Monsieur le Président, vos propos sonnent comme du mépris à l’égard de toute la paysannerie africaine brimée par une certaine mondialisation inhumaine et arrogante.

Avant de terminer cette lettre, permettez-moi de soumettre à votre sagacité une dernière question qui me taraude depuis votre visite en Afrique : auriez- vous eu la même outrecuidance, face à un chef d’Etat asiatique, arabe, ou même européen, pour réécrire l’Histoire de son peuple, lui dire avec condescendance qui étaient ses ancêtres, et lui dicter les règles de conduite de sa jeunesse ? Alors pourquoi cela fut-il possible avec les Africains ce 26 juillet 2007, où vous vous êtes arrogé le droit de remonter le temps du plus vieux continent, Matrice et Mère de l’Humanité, et donner des « leçons » à ses habitants ? Peut-être qu’à vos yeux, nous sommes toujours restés d’éternels « Damnés de la Terre »ou bien, il faut interpréter votre discours comme « L’Afrique insultée par elle-même », parce que nous-mêmes n’avons rien fait, pour qu’un étranger, fut-il Président chez lui, ne vienne travestir notre Histoire multi millénaire, profaner notre Mémoire, offenser nos Ancêtres et nos Morts, et nous insulter chez nous. Si aujourd’hui, j’ai davantage « mal à L’Afrique », c’est que, depuis votre forfaiture dakaroise, aucun Chef d’Etat Africain n’a pris la moindre peine de rompre le silence, bravant l’omerta « françafricaine », pour vous apporter une réponse à la hauteur de votre impudence et de votre opprobre, ne serait-ce que pour sauver la face.Il n’empêche que les peuples Africains eux, ont déjà pris acte par- devers leurs dirigeants

Lawoetey- Pierre AJAVON : Enseignant-Chercheur, Président du Cercle d’Initiatives pour l’Afrique (CEDIPA)

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