Mexique: les médias vous désinforment

La classe politique au pouvoir, ainsi que les institutions, continuent à manipuler l’information avec des demi- vérités, des mensonges flagrants ou en laissant planer un voile de silence sur les faits vérifiés.
De cette manière, ils prétendent dévier l’attention, en donnant une version dénaturée des évènements. Ils culpabilisent souvent les victimes, surtout si les auteurs impliqués sont des membres de l’appareil gouvernemental ou appartenant aux forces armées ou à des corps policiers.

{{Un cas récent emblématique: Tlatlaya}}

{{Faits}}: le 30 juin 2014, 22 civils—une fille de 15 ans et 21 garçons — ont perdu la vie dans un affrontement avec des membres de l’armée mexicaine, dans la Municipalité de Tlatlaya, Etat du Mexique.

{{Version officielle}}: 22 civils ont perdu la vie dans une confrontation armée lorsqu’un groupe de militaires qui effectuait des tâches de surveillance a été agressé par des inconnus.

{{Version non officielle}}: Un seul des supposés délinquants est mort dans l’affrontement entre les délinquants présumés et les membres de l’armée, les autres ont été exécutés après s’être rendus.

La version officielle communiquée par le Secrétariat de la Défense Nationale (Sedena) et appuyée immédiatement par le gouvernement de l’Etat du Mexique, aurait dû être remise en question rapidement, puisqu’une survivante de l’affrontement a déclaré dans la Revue « Esquire Latinoamérica » que ce sont les soldats qui ont tiré les premiers, les délinquants présumés ont répondu et que, lors de l’affrontement, un seul civil est mort, les autres se sont rendus et les soldats les ont exécutés quelques heures après l’interrogatoire. De plus, il semble étrange qu’un seul soldat ait été blessé dans l’attaque si ce sont les délinquants présumés qui ont commencé à tirer.

Avec la version officielle, l’affaire aurait été classée. Néanmoins, les déclarations d’une des survivantes et la présence d’un journaliste AP sur le lieu des faits, ont attiré l’attention des médias nationaux et internationaux qui, doutant de la version officielle, ont enquêté sur les faits. Deux survivants ont expliqué comment les soldats ont déplacé les cadavres et leur ont mis des armes dans les mains, La Sedena a présenté la version d’un affrontement avec les mêmes circonstances.

{{La manipulation}}: depuis le début, tant l’Armée que les Gouvernements d’Etat et Fédéral ont défendu, devant la presse et la télévision, la version selon laquelle il y a eu agression contre des éléments de l’armée, initiée par des délinquants présumés, et que les soldats n’ont fait que répondre à cette attaque sans qu’il n’y ait d’évidence sur des exécutions. De plus, après que l’affaire ait pris de l’importance, le gouvernement et l’armée ont empêché l’accès aux dossiers à la Commission Nationale des Droits de l’Homme et à la Commission qui s’est formée à la Chambre des Députés pour faire des recherches sur cet événement.

Dans sa persistance à ne pas dévoiler la vérité, l’armée mexicaine a bloqué la recherche de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) lors de l’enquête sur la présence de 2 généraux dans l’entrepôt où ont été exécutés les 22 civils (Unité de Recherches MVS, le 26 janvier 2015). Ce qui attire aussi l’attention, c’est que les autorités fédérales ont fait des recherches sur le lieu 2 mois et demi après les faits seulement.

Le 25 septembre 2014, la Sedena a informé qu’un officiel et 7 éléments de troupe avaient été arrêtés pour leur « responsabilité présumée dans des délits disciplinaires ainsi que pour désobéissance et infraction aux devoirs ».

Ainsi, le jargon militaire cherche à déguiser les faits et leur enlever de l’importance, en les qualifiant de « délits contre la discipline, la désobéissance et l’infraction aux devoirs » au lieu de soumettre ces soldats au jugement pour homicide.

D’autre part, le Procureur Général de la République (PGR) a décidé de ne pas faire de recherches sur des hauts commandements militaires ayant participé aux faits de Tlatlaya pour protéger la réputation de l’armée mexicaine. Le PGR a aussi refusé de donner des informations sur l’affaire à la commission spéciale des députés, en argumentant que les recherches «  sont à caractère non seulement confidentiel mais aussi réservé » ; dans les mêmes temps, le gouvernement déclarait que le Procureur réalisait une inspection ouverte et en profondeur pour clarifier les faits de Tlatlaya, ce qui permettrait de trouver de la vérité et de rendre justice.

Cette clarification n’a pas eu lieu. La commission spéciale mentionnée n’a pas atteint son objectif d’arriver à la vérité et, après quelques mois, elle a pratiquement disparu de l’affaire.

De plus, dans une comparution devant les commissions du Gouvernement et de la Sécurité Publique, le Secrétaire du Gouvernement, Miguel Ángel Osorio Chong, a défendu fermement l’Armée en assurant que, dans le cas où la mort des 22 civils serait attribuable aux militaires, ce serait une « exception ».

Finalement, après les recherches menées par le PGR, l’affaire a permis la détention de huit militaires, trois d’entre eux étant accusés d’homicides et d’évidentes violations des droits de l’Homme de la part des forces armées. Malgré cela, les faits n’ont pas été éclaircis dans leur totalité et le sujet est passé sous silence, parce que d’autres faits lamentables ont occupé l’espace public, comme l’affaire des 43 normaliens de l’Ecole Normale Rurale de Ayotzinapa, dans l’Etat de Guerrero, mentionnée dans notre édition antérieure.
Le silence est peut-être la forme la plus perverse de la manipulation de l’information.

Faire disparaître des médias l’information sur des faits et des réalités inconfortables pour les classes gouvernantes et oligarchiques est un procédé fréquemment utilisé qui, non seulement fait souffrir encore plus ceux qui ont subi ces offenses, ainsi que leurs proches, mais aussi permet aux responsables d’échapper à l’action de la justice. Les faits tombent alors graduellement et inexorablement dans l’oubli.

En plus d’oser nier les faits et de les qualifier de rumeurs, les élites au pouvoir imposent le silence, au travers de menaces et d’agressions physiques, à des individus et des institutions, de pressions pour faire taire ou bien faire licencier des journalistes qui les mettent en danger – comme pour le cas de la journaliste détachée Carmen Aristegui—, ou bien en faisant disparaître et en assassinant des journalistes et des communicateurs dont le seul délit est de rechercher la vérité et d’offrir un contrepoids aux versions officielles.

Pour donner un autre exemple de la politique de manipulation de la réalité, de la dissimulation de la violence et de l’insécurité qui continuent de marquer la vie sociale mexicaine, le Président Peña a déclaré il y a quelques jours que « la Stratégie Nationale de la Sécurité de son Administration fonctionne ».

Peña Nieto met en avant la détention de plusieurs leaders de la délinquance organisée comme si le gros problème de violence qu’il y a au Mexique serait ainsi résolu, comme si cette détention allait permettre l’arrêt du trafic et de la distribution des drogues illicites, le trafic des personnes, la prise d’otage, l’extorsion et tant d’autres délits qui, en plus, comptent avec la complicité et la protection des policiers et des fonctionnaires publics ; des détentions qui sont seulement des coups médiatiques et de pures déclarations sans renforcement de la présence de l’autorité, une diminution de la violence à sa plus petite expression qui ne permet pas d’améliorer les conditions de sécurité et d’assurer la tranquillité.

Mais la paix et la tranquillité ne sont pas revenues dans la société mexicaine.

Source: [Le Journal de Notre Amérique n°3->http://www.investigaction.net/Le-Journal-de-Notre-Amerique-no3.html], Investig’Action

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