Lettre d’une jeunesse pas gâtée à Louis Tobback

Louis Tobback, le bourgmestre de Louvain, ne comprend plus les jeunes. En témoignent les sorties dans la presse néerlandophone du week-end dernier. « Je crains qu’ils ne soient un peu trop gâtés », déclare-t-il sans détour à propos des indignés espagnols et de la jeunesse en Belgique qui se mobilise contre la crise politique.

 

En Espagne, des jeunes, « los indignados », occupent différentes places depuis maintenant deux semaines. Et pour lui, leurs raisons ne sont pas claires. « Ils sont “la jeunesse”, disent-ils, et ils sont contre “la politique”. La plupart sont des gens de gauche, mais ils appellent tout de même à ne pas voter pour le parti social-démocrate du premier ministre Zapatero (PSOE). Et quelle est alors la conséquence de leur protestation ? Le Parti Populaire de droite conservatrice arrive au pouvoir. C’est encore plus grave », dit Tobback.

 

 La semaine dernière, nous étions sur place, à la Puerta del Sol à Madrid, avec des milliers de jeunes espagnols. Et il apparaissait très clairement pourquoi ces jeunes ont choisi de passer leur temps sur les places espagnoles. Le chômage des jeunes est de 45 % et le chômage est limité à deux ans. A cause de la crise de l’immobilier et des très bas salaires, la plupart des jeunes sont forcés d’habiter chez leurs parents ou de vivre les uns sur les autres, à plusieurs familles dans une maison louée. Alors que le secteur de la construction était en pleine expansion ces dernières années, ils sont des milliers à ne pas avoir entamé d’études pour aller y travailler. Maintenant que la bulle immobilière a éclaté, ils sont maintenant sans diplôme ni emploi. Cette précarité croissante se retrouve également en Belgique, où une personne sur cinq vit dans la pauvreté et où près d’un jeune sur trois est sans emploi. Dans certains quartiers de Bruxelles, le taux de chômage grimpe même à plus de 50 %. Et monsieur Tobback se permet de nous traiter de jeunesse gâtée ?!  N’êtes-vous pas gêné d’affirmer cela à la première génération à qui on annonce tous les jours qu’elle vivra moins bien que ses parents ?

 

 Pourtant, nous ne l’avons pas rêvée, cette crise économique, la plus grande depuis 1929. Pas plus que la politique menée ces trente dernières années par tous les partis au pouvoir partout en Europe. Nous comprenons très bien d’où vient la prospérité, monsieur Tobback : du travail des millions de travailleurs de Belgique et d’ailleurs. Et nous savons aussi comment vous détruisez cette prospérité : en menant, comme vous l’avez fait, une politique antisociale, de privatisation des services publics, de cadeaux incessants aux grandes entreprises, de précarisation croissante des conditions de travail et de mise à genoux devant l’Union européenne. Vous pensez que vous auriez dû mieux nous éduquer, que là gît votre responsabilité. Mais quelle condescendance ! Votre responsabilité est que les partis sociaux-démocrates n’ont malheureusement pas mené des politiques fondamentalement différentes des partis de droite. Voilà de quoi on parle, monsieur Tobback. En tant qu’éminence grise de la social-démocratie belge, vous êtes censé comprendre cela.

 

 Les jeunes ne sont pas « contre la politique ». Nous sommes contre la politique de ceux qui poussent vers la misère. Vous dites que les conséquences des occupations sont que le Parti Populaire (PP) a gagné les élections. Mais la raison pour laquelle les jeunes espagnols ont réagi et se sont levés contre le PSOE (tout comme contre le PP) est justement que la social-démocratie espagnole mène la même politique que les conservateurs du PP. La raison pour laquelle ils sont descendus dans la rue est donc la même qui explique la récente défaite électorale du PSOE. C’est vous et vos confrères du PSOE qui avez porté le PP au pouvoir, pas ces jeunes indignés qui manifestent pour leurs droits. Ils manifestent car ils ne sont pas d’accord avec la façon dont les choses se passent aujourd’hui. Ils descendent dans la rue car ce système ne leur permet pas de participer, car leur avenir semble bouché.

 


    Dans ce cadre, les jeunes savent ce qu’ils veulent. En Espagne, au Portugal, en Grèce, en France et aussi en Belgique, se propage un sentiment diffus que cette société ne fonctionne pas. Qu’il y a quelque chose qui cloche. Tout le monde a acclamé les peuples de Tunisie et d’Egypte quand ils se sont soulevés pour défendre leurs droits, mais dès que la contestation passe à l’intérieur des frontières de l’Europe, les critiques s’élèvent. Vous dites que vous « voulez volontiers donner leur place à des jeunes convaincus, volontaristes », mais si ces jeunes sont convaincus que le système ne fonctionne plus, alors vous les considérez comme gâtés, mal éduqués ou simplement trop bêtes pour comprendre d’où vient leur « prospérité ».

 


    Mais la bonne nouvelle, monsieur Tobback, c’est que ces jeunes que vous trouvez tellement gâtés ont de moins en moins envie de se taire. Vous ne nous comprenez pas et, tout comme le clament les indignés, vous ne nous représentez pas. Car depuis des années, vous défendez la même idée terrifiante qu’il n’y a pas d’alternative. Au lieu de nous dire qu’il est possible de construire autre chose comme le faisaient les fondateurs de la pensée socialiste. Remettez-vous en cause ! Vous avez abandonné toute perspective de changement de société. Nous voulons, au contraire, débattre sur cette société dans laquelle on vit et vivront nos enfants. « Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des banquiers et des politiciens. » Nous luttons pour un monde débarrassé du profit, plus juste et plus solidaire. Nous voulons d’un monde où l’on n’oppose plus l’ancienne à la nouvelle génération, où les jeunes ont du travail et où les plus âgés peuvent mériter leur repos.

 

Source: Solidaire

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