Les agences (de presse) du Nouvel Ordre Mondial

4 grandes agences de presse contrôlent aujourd’hui l’essentiel de l’info internationale. En 1992, dans Attention, médias ! (pp. 208-209), nous avions analysé leur quasi-monopole mondial. Aujourd’hui, Geoffrey Geuens montre l’intégration toujours plus poussée de ces agences dites « d’information » dans les rouages du pouvoir économique et politique.

Michel Collon

Structurellement intégrées aux dispositifs de maintien de l’ordre politique, idéologique et symbolique du capitalisme, les agences internationales de presse demeurent, aujourd’hui, l’un des principaux relais des intérêts des multinationales et le cœur même du complexe médiatico-industriel. Haut-parleur de la haute finance, « lubrifiant du capital », selon l’expression désormais célèbre de Marx, l’information est plus que jamais sous contrôle du pouvoir économique.

En mai 2000, le Révérent Sun Myung Moon, principal dirigeant de la secte du même nom, annonçait avoir acheté, par l’entremise de sa société de médias News World Communications, longtemps perçue comme une arme de propagande « occidentale » au service de la cause anti-communiste, l’agence United Press International (UPI). La Secte Moon complétait ainsi son Empire industriel, lequel comptait déjà, parmi ses nombreuses propriétés, des écoles, des hôtels, des banques, des journaux et magazines ainsi qu’une usine d’armement.

Aujourd’hui, UPI est dirigée par quelques-unes des figures les plus marquantes du monde de la finance et de la politique de ces dernières années. Son rédacteur en chef, John O’Sullivan, a été conseiller privé de Margaret Thatcher et le fondateur du New Atlantic Initiative, l’un des plus puissants think tanks travaillant simultanément au renforcement des relations transatlantiques, à la défense inconditionnelle de l’OTAN ainsi qu’à l’établissement d’une zone commerciale de libre échange et de commerce entre les deux blocs nord-américain et européen. Les dirigeants de cet influent organisme sont, entre autres, Vaclav Havel, Margaret Thatcher, Helmut Schmidt, Henry Kissinger et Edwin Feulner, le président de la Fondation Heritage, considérée par d’aucuns comme la plus influente boîte à idées des Etats-Unis et cataloguée par certains à l’extrême-droite de l’échiquier politique. D’ailleurs, O’Sullivan est aussi directeur d’études dans cette même institution. Ian Campbell, correspondant économique pour UPI, a été, quant à lui, chef économiste pour la banque néerlandaise ABN Amro. Martin Walker, directeur de la correspondance internationale, est un ancien membre du comité de rédaction de la revue International Affairs, le journal de l’Institut pour les Affaires Internationales (RIIA). Mieux connu sous le nom de Chatham House, cet organisme travaille, lui aussi, à la promotion et au soutien des relations entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Au service des multinationales américaines et britanniques, ce club de l’élite mondiale est présidé par Lord Marshall of Knightsbridge, le président de British Airways, vice-président de British Telecom et administrateur de l’oligopole financier HSBC. Quant à Martin Hutchinson, rédacteur « économie » chez UPI, il a longtemps travaillé pour la Citibank. Enfin, on précisera que le responsable « maison » pour la politique nationale, Peter Roff est l’ancien directeur politique de Newt Gingrich, la figure désormais légendaire de l’ultra-droite américaine, bien connu pour avoir incité « les propriétaires des médias et les annonceurs les plus importants à attaquer vigoureusement les socialistes dans les salles de rédaction »(1).

Reuters, au cœur de la Triade

Reuters est elle aussi particulièrement représentative des relations qui se nouent, au niveau mondial, entre l’information et les principales puissances économiques, diplomatiques et militaires que sont les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. Présidée par Sir Christopher Hogg, aujourd’hui administrateur de GlaxoSmithKline et Air Liquide, après avoir été président des multinationales de l’industrie alimentaire Courtaulds et Allied Domecq, l’agence Reuters compte parmi ses administrateurs Roberto Mendoza, ancien vice-président de JP Morgan Chase & Co, ancien directeur de la banque d’affaires Goldman Sachs ; Ed Kozel, administrateur de Cisco Systems ; Richard Olver, directeur de la compagnie pétrolière BP Amoco ; John Craven, administrateur-délégué de la compagnie financière Merrill Lynch International, ancien directeur de la Deutsche Bank et vice-président de SG Warburg ; ou encore Ian Strachan, ancien directeur d’Exxon Mobil et président d’Esso Hong-Kong et Chine.

Il existe également une structure interne au groupe dont l’objectif est d’assurer, à long terme, l’indépendance, l’intégrité et la liberté de l’agence à l’égard des pressions gouvernementales ou encore financières. Créée pour faire barrage à une éventuelle prise de contrôle « hostile » de l’agence, la société privée Reuters Founders Share est aujourd’hui présidée par le Suédois Pehr Gyllenhammar. Fondateur de la Table Ronde des Industriels européens, ami personnel d’Etienne Davignon et d’Henry Kissinger, cet ancien patron de Volvo est aujourd’hui à la tête de CGNU, administrateur de Lagardère et de la banque d’affaires Lazard. Par ailleurs, Gyllenhammar est membre du conseil international de la Chase Manhattan Bank, de Renault-Nissan et de Toshiba. Siège également au conseil de Reuters Founders Share, le Norvégien Uffe Ellemann-Jensen. Président du Parti Libéral Européen et ancien vice-président de l’Internationale Libérale, il est actuellement administrateur de plusieurs filiales du holding A.P. Möller Group (pétrole, gaz, aéronautique, armement). On citera également le nom de Jacques de Larosière de Champfeu. Ancien directeur général du FMI et ancien président de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement), actuel administrateur de France Telecom, Alstom et Power Corporation of Canada, il est aussi, depuis peu, le conseiller du président de la banque BNP Paribas. Quant à Toyoo Gyohten, également administrateur de Reuters Founders Share, il n’est autre que l’ancien vice-ministre des Finances du Japon et l’actuel président de l’Institut pour les Affaires Monétaires Internationales. Conseiller de la Bank of Tokyo-Mitsubishi, Gyohten est également membre du comité exécutif de la Commission Trilatérale et du comité international du Council on Foreign Relations (CFR), deux institutions majeures du « Nouvel Ordre Mondial ».

Reuters, le porte-parole du complexe militaro-industriel

Le CFR est, en effet, aujourd’hui considéré comme le véritable secrétariat d’Etat américain aux classes dominantes. Son président honoraire n’est autre que David Rockefeller, le président du conseil international de la Chase Manhattan Bank ; quant à son actuel président, Peter G.Peterson, il est administrateur de Sony et ancien Secrétaire d’Etat au Commerce sous Nixon. On retrouve également parmi les dirigeants du CFR des personnalités telles que Carla A.Hills (ancienne Secrétaire au Commerce des Etats-Unis, administratrice d’AOL Time Warner et de Chevron), Martin Feldstein (ancien conseiller économique du Président Reagan), John Deutch (ancien directeur de la CIA, aministrateur de Raytheon, Schlumberger Petroleum et Citigroup) ou encore George Soros. Par ailleurs, le conseil international du CFR compte dans ses rangs Percy Barnevik (patron du Forum Economique Mondial de Davos et administrateur de General Motors), Peter Sutherland (président de Goldman Sachs International et de BP Amoco, ancien directeur général de l’OMC et ancien commissaire européen), Michel Rocard (ancien Premier Ministre français), Moshe Arens (ancien Ministre de la Défense et ambassadeur d’Israël) ou encore Moeen Qureshi (ancien dirigeant de la Banque Mondiale, ancien Premier Ministre du Pakistan et actuel membre du conseil de surveillance de General Electric).

En réalité, comme on le voit, l’agence Reuters est directement placée sous la tutelle du capital et de ses relais politiques. Elle compte en son sein non seulement des représentants des principales organisations économiques internationales (FMI, Banque Mondiale) et des plus puissants oligopoles financiers (HSBC, Golman Sachs, JP Morgan Chase, Merrill Lynch, etc.), mais également quelques-unes des figures les plus marquantes de l’impérialisme contemporain (Rockefeller, Gyllenhammar, Gyohten), « organisé » sur le modèle de la triade Etats-Unis – Europe – Japon . Enfin, les principaux secteurs du nouveau complexe militaro-industriel sont, eux aussi, représentés au sein des instances dirigeantes de l’agence internationale de presse qu’il s’agisse de l’aéronautique et de l’armement (United Technologies, Lagardère, British Aerospace), de l’électronique de défense et des télécoms (Cisco System, France Telecom), de l’industrie chimique (GlaxoSmithKline) ou encore de l’industrie énergétique (Exxon Mobil, BP Amoco, Alstom, Air Liquide, AP Möller Group).

Ces liaisons entre Reuters et certains des acteurs les plus en vue de la militarisation croissante de l’économie, en tête desquels les industriels de la défense et du pétrole, permettent d’expliquer, dans une large mesure, la couverture médiatique des derniers grands conflits militaires laquelle, on le sait, repose sur le flot d’informations déversées par les grandes agences internationales. En mettant à jour l’infrastructure masquée des agences de presse, nous avons tenté d’éclairer l’opinion publique sur les pressions qui peuvent s’exercer sur les rédactions et mettre à mal, consciemment et avec certaines complicités, la liberté d’informer dans le monde. Infiltrées au cœur des agences de presse, les multinationales ont tissé leur toile, par-delà l’entrelacement des directoires et des alliances.

Geoffrey GEUENS

Assistant à l’Université de Liège, auteur de deux ouvrages :

Tous pouvoirs confondus (Anvers, EPO) et Le Complexe médiatico-industriel. Le journalisme belge sous contrôle (Bruxelles, Labor/Espace de libertés)

(1) CHOMSKY Noam et McCHESNEY Robert, Propagande, medias et démocratie, Montréal, Ecosociété, 2000, p.185.

(2) Nous utilisons le terme de « triade » sans que cela ne suppose, à l’instar des thèses professées par Toni Negri, l’existence d’un seul et même Empire. Cette dernière représentation, partagée par une fraction des « anti-mondialistes », est une mystification répondant au fantasme néolibéral du grand marché mondial. En réalité, l’analyse détaillée des relations entre les multinationales et leur Etat respectif ainsi que l’évidente exacerbation des tensions entre grandes puissances mettent en évidence la nature des relations de concurrence profonde et de complicité tacite entre les trois principaux blocs.

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