Le néolibéralisme européen en Amérique Latine

La crise engendrée par les politiques néo-libérales continue de s’aggraver, à l’échelle planétaire, laissant chaque jour davantage de personnes sans travail ni revenus, sans logement ni protection sociale, condamnées à la précarité et à l’incertitude.



La réponse des gouvernements libéraux et sociaux-libéraux à cette crise est simple : il faut encore plus de politiques néo-libérales ! Refusant toute politique alternative, c’est-à-dire toute véritable réponse à la crise, ces gouvernements continuent leur entreprise de liquidation systématique du secteur public, de démantèlement du droit du travail et de la protection sociale, et de marchandisation de tous les produits de l’activité sociale. Menée à l’échelle planétaire comme globalisation néo-libérale, cette  entreprise trouve aujourd’hui un important foyer de résistance en Amérique Latine, où une série de gouvernements s’efforcent de construire des politiques alternatives, visant à mettre l’économie au service de l’ensemble de la société. Ce tournant à gauche de l’Amérique Latine, qui revêt des formes très variées mais qui implique dans tous les cas un certain renforcement du domaine public, suscite l’hostilité de l’Union européenne (UE) comme des États-Unis : aujourd’hui, l’essentiel de la politique des grandes puissances à l’égard de Amérique Latine vise à la neutralisation de ces politiques alternatives qui entravent la « libre circulation des capitaux ». Pour la mise en œuvre de ces politiques néo-libérales, l’UE comme les États-Unis se servent d’un instrument privilégié : les  « Traités de libre échange » (TLC, en espagnol).


Les TLC visent à établir la libéralisation généralisée des services (dans le même esprit que la directive Bolkestein de 2005), les privatisations (y compris et surtout de l’eau et des ressources naturelles), la marchandisation de la vie (brevetabilité du vivant), l’appropriation privée de la connaissance (propriété intellectuelle détenue par les monopoles pharmaceutiques, refus des médicaments génériques), et l’imposition de tribunaux d’arbitrage garantissant les « droits » des entreprises multinationales au détriment des droits fondamentaux des sociétés. Ces normes ultra-libérales, que l’UE a prétendu imposer en 2008 à la Communauté Andine des Nations (Colombie, Équateur, Pérou et Bolivie) comme seul cadre possible de négociation, ont été rejetées par le gouvernement bolivien d’Evo Morales : les accords commerciaux avec l’UE, affirmait Morales, doivent respecter les droits sociaux établis par la nouvelle Constitution bolivienne, préserver le domaine public (notamment au niveau de l’éducation, la santé, l’eau, l’électricité et le gaz) et favoriser les petits producteurs.


Pour contourner l’obstacle de la Bolivie, l’Europe décide alors, avec la  Colombie et le Pérou, de casser de fait la Communauté Andine des Nations (CAN), en ouvrant en février 2009 des négociations bilatérales avec ces deux pays ainsi qu’avec l’Équateur, qui a parié au départ sur la possibilité d’un accord avec l’Europe encadré par un projet économique alternatif. Aujourd’hui, au terme de la troisième ronde de négociations, l’Équateur vient cependant d’annoncer qu’il ne suivra plus le rythme des négociations imposé par l’Europe, la Colombie et le Pérou, choisissant un statut de simple « observateur » dans les tables de négociation relatives à l’accès aux marchés agricoles, la concurrence, les achats publics, la propriété intellectuelle et les services financiers. L’UE a donc choisi comme partenaires privilégiés la Colombie et le Pérou, les deux seuls pays sudaméricains qui n’ont pas assimilé les leçons de la décennie néolibérale des années 1980.


Les TLC et les droits de l’homme


Pratiqué au cours des années 1980, aussi bien par les militaires que par les gouvernements civils de transition à la « démocratie », ce modèle néolibéral, stimulé par les institutions financières internationales, a aggravé la pauvreté et les inégalités sociales partout dans le sous-continent, pour aboutir finalement, en Argentine en 2001, à l’effondrement de l’économie, le crash boursier, la dévaluation, la faillite de l’État et la paupérisation brutale de la plus grande partie de la population.


L’émergence de gouvernements de gauche ou progressistes en Amérique Latine, à partir de la fin de la décennie 1990, marque la prise de conscience de cet échec néolibéral ainsi que de la nécessité de construire des politiques alternatives. Dans cette perspective, le Vénézuéla décide de quitter la CAN en avril 2006, suite à la négociation par la Colombie et le Pérou de deux TLC avec les États-Unis, dirigés par Bush. Or, à ce jour, la Colombie d’Alvaro Uribe n’a pas encore réussi à obtenir la signature du TLC avec les États-Unis, en raison de l’opposition résolue d’un groupe de sénateurs démocrates, qui ont pris acte des graves atteintes aux droits de l’homme perpétrés sous le régime d’Uribe : des milliers d’assassinats et de disparitions de syndicalistes, d’Indiens et d’opposants politiques, implication du régime dans les activités des paramilitaires, impunité, corruption. L’UE, de son côté, ne semble pas partager les scrupules des démocrates étasuniens : « à la base, nous ne croyons pas que la question des droits de l’homme soit un problème pour les négociations, car elle ne fait pas partie des accords commerciaux », a pu déclarer M. Fernando Cardesa García, l’ambassadeur de l’UE à Bogotá (Semana Internacional, 2 février 2009). On assiste actuellement à un durcissement néolibéral de l’UE, déjà explicite dans le document Global Europe : une Europe compétitive dans un marché mondialisé, approuvé au printemps 2007 par les 27 membres de l’UE. Au niveau des négociations commerciales avec la Colombie d’Alvaro Uribe et le Pérou d’Alan García (dont le parti est membre de « l’Internationale socialiste »), l’UE tente ainsi d’accroitre ses exigences par delà même celles pratiquées par les États-Unis, notamment à propos des droits intellectuels et de la pénétration des marchés sudaméricains.


Malgré la très forte opposition sociale et politique, tant en Colombie qu’au Pérou, à la signature de TLC qui entraînent des conséquences néfastes pour l’économie de ces pays, l’UE s’apprête à entamer la quatrième ronde de négociations à Bogotá, en juin 2009. En Europe, en revanche, la mobilisation citoyenne contre la signature de ces traités est encore très faible, et beaucoup de nos concitoyens ignorent même la réalité de ces politiques qui relèvent du néocolonialisme. À gauche, l’une de nos tâches prioritaires, au niveau de nos relations avec les peuples latino-américains, est sans doute d’exiger en Europe un débat public sur ces négociations qui sont menées dans le plus grand secret, et d’essayer de contribuer, par notre présence au Parlement européen, à la construction d’une autre politique à l’égard de l’Amérique Latine.



Professeur d’Études latino-americaines à l’Université Francois-Rabelais et membre du LANPRAT dans la Faculté de Philosophie dans l’Institut Catholique (Paris). Il est auteur de plusieurs travaux sur l’éthique et la philosophie politique.


Source: Parti de Gauche

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