Sommet de l’OTAN: l’atlantisme des marchands d’armes

Plusieurs questions capitales étaient à l’ordre du jour du sommet de l’OTAN, qui a réuni le 20 novembre dernier des représentants des 28 États membres de l’OTAN à Lisbonne, la capitale du Portugal, afin de décider de l’avenir de l’alliance. On a débattu en premier- c’était inévitable- de la guerre qui s’éternise en Afghanistan, et où la totalité des membres de l’OTAN combattent les « rebelles afghans » – entendez : les talibans.

Chose funeste, l’OTAN s’est prononcée en faveur d’une prolongation de sa présence, prétendument jusqu’en 2014. En outre les projets du Président Obama visant à moins miser sur la dissuasion nucléaire ont déchaîné une controverse à Lisbonne. Deux puissances européennes majeures, l’Allemagne et la France, avaient à ce sujet des opinions diamétralement opposées. La France, qui a récemment réintégré l’OTAN, tenait au concept traditionnel de dissuasion. L’Allemagne en revanche suivait les États-Unis qui souhaitent réduire les tensions avec la Russie. Mais le point qui devait être décisif pour l’issue du sommet de Lisbonne était l’installation d’un bouclier anti-missiles pour se défendre d’ennemis qui ne furent pas nommés. Ce projet, officiellement présenté par le Secrétaire général de l’OTAN, le Danois Rasmussen, a été approuvé par les membres de l’OTAN.

Tout aussi importante fut la réaction russe aux nouveaux projets de l’OTAN. Alors que la Russie s’était jusqu’ici violemment opposée au bouclier anti-missiles que le Président Bush cherchait à imposer, le Président russe Medvedev, présent au sommet a exprimé – avec quelque réticence- son intérêt pour une coopération avec l’OTAN.

 

Soldats,  par ?evket Yalaz, Turquie

À l’issue du sommet Rasmussen, le chef actuel de l’OTAN, se montra euphorique ; il a qualifié ses résultats « d’historiques ». Une épithète certes justifiée, bien que de par le monde la plus grande partie des médias ait négligé de souligner en quel sens la décision de l’OTAN était inouïe et quelles en seraient les conséquences pour le reste du monde. Il convient tout d’abord de remarquer avec quel enthousiasme l’administration Obama a soutenu le nouveau projet de l’OTAN. Rasmussen a très clairement agi sur les ordres du maître de l’OTAN.

Or Obama avait, il y a juste un an, renoncé à installer un bouclier qui protégerait le territoire états-unien de missiles qui chercheraient à l’atteindre, conformément aux promesses électorales de son prédécesseur. Il avait remplacé ce projet par une version plus modeste, plus proche de la défense anti-aérienne dont use déjà l’OTAN pour protéger ses troupes en campagne – le système connu sous le nom de Theatre Missile Defense (THAAD = défense contre les missiles sur les champs de bataille). Obama a désormais oublié aussi cette position. L’exigence que posent les USA d’un bouclier antimissile constitue un tournant dramatique dans l’attitude du Président des États-Unis. Les missiles qui, selon les données, joueront un le rôle principal dans les nouveaux plans sont des fusées SM-3, déjà installées sur les navires de guerre états-uniens t prêts à l’emploi. Ce sont des éléments du système états-unien Aegis, fabriqués par Raytheon, l’une des 5 gigantesques firmes qui dominent le complexe militaro-industriel des USA. C’est une première preuve que les USA, en conseillant à l’OTAN de d’accepter les projets habituels de défense antimissiles cherchaient à soutenir sa propre industrie d’armement, qui espère bien profiter des futurs contrats de l’OTAN élargie.

Mais une analyse qui se limiterait à cet aspect manquerait l’essentiel. Car la décision prise à Lisbonne entraîne l’union de deux formes d’atlantisme. La coopération entre puissances industrielles de part et d’autre de l’Atlantique prend désormais la forme d’une coopération militaire et militaro-industrielle. Pour mieux éclairer cet aspect, il est nécessaire d’observer de plus près l’évolution de la politique usaméricaine dans le secteur de sa propre défense.

   

 

Money, par ?evket Yalaz

 

Dans les années 90, sous la présidence de Clinton -qui appartenait au même parti qu’Obama, le parti démocrate- le secteur militaire des États-Unis a traversé plusieurs phases de restructuration. À cette époque, de nombreux fabricants d’armes ont fusionné avec d’ex-concurrents ou ont été avalés part d’autres grandes firmes d’armement. À la fin de ce processus, le secteur était dominé par 5 multinationales de seulement– Martin Lockheed, Boeing, Raytheon, General Dynamics et Northrop Grumman. Mais l’administration usaméricaine qui avait approuvé cette restructuration interne alla encore plus loin. Elle initia maintenant une autre forme de concentration du capital. Cette fois, la concentration devait enjamber l’Atlantique et inclure des fusions et joint ventures entre les firmes d’armement européennes et usaméricaines.

Cette dernière forme d’atlantisme est une première historique, car les USA, par le passé, n’ont ni facilité ni souhaité tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une alliance transatlantique entre fabricants d’armement. Il faut en outre signaler que l’orientation stratégique qu’ont choisie les USA à la fin du siècle dernier a eu une influence dramatique sur la restructuration en Europe occidentale. Alors qu’au cours de l’histoire les grands États européens ont jalousement considéré leur défense comme leur pré carré la nouvelle forme de transatlantisme voulue par Clinton a accéléré ou favorisé une intégration transfrontalière des grandes firmes d’armement. Là aussi on a abouti à une concentration très forte du capital et à la formation d’un petit nombre de géants. Sans compter que la plupart des firmes européennes d’armement, à l’exception du système anglais BAE, sont relativement plus petites que leurs homologues usaméricaines. En tout cas, toutes les firmes d’armement usaméricaines et européennes ont conclu depuis le début de ce siècle une ou plusieurs alliances avec des fabricants d’armes opérant de l’autre côté de l’océan : Martin Lockheed s’est allié à BAE, l’Américain Boeing a choisi le Parisien Thalès, etc. L’idée d’un nouvel atlantisme n’et donc pas resté lettre morte mais a effectivement obtenu le résultat souhaité par les USA : la création d’une industrie de défense mondialisée sous l’hégémonie des entreprises usaméricaines.

Mais enfin, objecteront peut-être quelques sceptiques, quel rapport avec le bouclier anti-missiles ? Eh bien, il se trouve que c’est précisément dans le domaine des missiles que (la plupart) des firmes européennes avaient formé leur propre consortium. C’est le cas pour MBDA, une entreprise créée il y a 7 ans et dont le chiffre d’affaires atteignait en 2007 3 milliards d’euros- un record. Le capital de départ était détenu à 37,5% par BEA Systems, 37,5% par EADS et 25% par Finmeccanica. Il  est sûr que MBDA sera dans les couloirs de Bruxelles pour s’approprier une bonne part du gâteau que représenteront les nouveaux contrats liés à la décision prise à Lisbonne par l’OTAN.

Il serait toutefois erroné de penser que MBDA soit totalement étrangère au nouveau transatlantisme décrit plus haut. Bien au contraire : selon certaines sources MBDA a conclu un accord de sécurité spécial avec le Pentagone et a déjà passé au moins deux « contrats de coopération » avec Boeing. L’un d’entre eux concernait… le bouclier antimissiles mondial (en 2004 !). Le cas de MBDA ne contredit donc nullement mon interprétation du sommet de Lisbonne, il la confirmerait plutôt.

Nous assistons donc à un mariage entre deux formes de transatlantisme, l’une, traditionnelle à l’OTAN, de l’union entre les forces armées des États de l’Alliance atlantique, et une autre, celles des fabricants d’armes. Et alors que les dirigeants russes, très courtisés par l’OTAN, n’ont peut-être pas grand-chose à craindre de ces noces, des États tels que la Chine et le Brésil, qui appartiennent au Sud mondialisé, sont en droit d’être inquiets pour leur sécurité. Car l’OTAN se propose désormais de jouer un rôle militaire bien au-delà de son territoire historique originel. Voir la guerre en Afghanistan. On se demande quelle offensive peut préparer à l’avenir la combinaison de ces deux transatlantismes.

Armes futées, hommes idiots, par George Riemann, Allemagne

 

Source: Tlaxcala

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