"L'INITIATIVE DU FITR" ÉCLATÉE PRÉPARE-T-ELLE DE NOUVELLES VIOLENCES ?
Depuis que le président de la Chambre, Nabih Berri, avait lancé
"l'initiative du Fitr" appelant à de nouvelles consultations entre la
majorité haririste et l'opposition, menée par Aoun et le Hezbollah, les
commentaires vont bon train sur les conséquences de l'échec d'une telle
initiative et les répercussions que cela peut avoir sur la situation
politique et, surtout, économique au Liban.
Ces commentaires sont basés sur un fond de vérité selon lequel les nouveaux développements dans la
région, spécialement en Irak et en Palestine, ne peuvent que se
répercuter sur la situation, déjà très instable, du Liban, puisque ce
pays vit les suites de l'agression dramatique des troupes israéliennes
mais aussi celles de la victoire remportée par le Hezbollah contre ces
troupes et, avec eux, les Etats-Unis, véritables instigateurs de
l'agression.
Voilà pourquoi l'ordre du jour de ces consultations a fait couler
beaucoup d'encre et suscité des commentaires quotidiens de la part de
toutes les parties de la classe politique libanaise, tant au pouvoir que
dans l'opposition… Sans oublier les capitales des grandes puissances et
des pays arabes, visitées par des délégations qui tentaient d'attirer la
bienveillance de tel ou tel gouvernement sur des requêtes concernant,
pour les uns, la nécessité de changer le président de la République ou,
pour les autres, d'élargir le gouvernement afin de récupérer le tiers
"garant" de leur participation aux affaires de l'Etat. Et, voilà
pourquoi l'échec de ces consultations et la démission des ministres
chiites ont poussé les Libanais à se demander si la crise politique
vécue allait s'envenimer et se diriger vers des affrontements violents
entre les deux parties constituées en 2004, à la suite du vote par le
Conseil de sécurité de la résolution 1559, et séparés à nouveau par la
résolution 1701 qui donne toutes les facilités aux violations de la
souveraineté du Liban par les troupes israéliennes. Surtout que les
protestations de la Finul n'ont rien donné, tant sur le plan du retrait
israélien du village d'Al-Ghajar que sur celui des "promenades" de
l'aviation israélienne au-dessus du territoire national libanais.
Pendant que Georges W. Bush et son équipe continuent leurs menaces et
que les navires de guerre américains s'entassent, non seulement dans les
bases disséminées à travers la Méditerranée, mais aussi face au littoral
libanais.
Et, tandis que le ton monte et que les "belligérants" se menacent
mutuellement en attendant les décisions de la réunion gouvernementale
qui doit étudier le projet du "tribunal international" concernant
l'assassinat de l'ex Premier ministre Rafic Hariri, les scénarios se
multiplient au son des tambours battant les rassemblements prochains sur
les grandes places du centre-ville de Beyrouth, dont :
-La création d'un nouveau gouvernement selon de "nouveaux critères" non
encore précisés.
-Le vote du projet du tribunal international sans tenir compte de la
démission des ministres chiites, représentant le mouvement Amal, présidé
par Berri, et le Hezbollah.
-Un mouvement de grèves et, surtout, de manifestations de la part de
l'opposition jusqu'à la démission de Fouad Sanioura et de son gouvernement.
-Le retour à la table des négociations, à partir du mercredi, date du
retour prochain de Nabih Berri, de son voyage en Iran, pour étudier les
possibilités d'un consensus qui résoudrait en même temps les problèmes
du gouvernement et de la présidence de la République et mettrait au
point le schéma d'une nouvelle loi électorale.
Ces scénarios restent, cependant, assez creux, surtout que les
véritables causes de la crise latente ne sont pas évoquées : le régime
politique basé sur des quotas confessionnels et faisant des grandes
confessions politiques du pays des entités autonomes, des Etats au sein
de l'Etat. Ce qui fait que toutes les solutions ne sont pas basées sur
une vision globale prenant en considération les intérêts nationaux, mais
sur le rapprochement entre des visions confessionnelles tenant plus
compte des intérêts partisans de tel ou tel "émir" ou chef chrétien ou
musulman…
Ainsi, les Libanais peuvent se diviser sur tout, puisque les intérêts
des chefs peuvent changer avec le temps ainsi que leurs alliances et la
tutelle extérieure qui les appuie. Et c'est ce que nous voyons,
actuellement, dans les positions de certains vis-à-vis du conflit
arabo-israélien ou, plutôt, palestino-israélien. Ou, encore, sur la
conception de l'indépendance et de la souveraineté du pays, à tel point
que certains ne voient aucun inconvénient à ce que les Américains (et
leurs alliés de l'OTAN) s'immiscent dans les affaires intérieures
libanaises comme d'autres, avant eux, avaient tantôt fait appel à la
Syrie et tantôt à Israël pour préserver leurs intérêts, usant du slogan
: "pour sauver notre pays, nous sommes prêts à pactiser avec le diable
même" !
Nous pensons, en réponse à tout ce qui se dit et se prépare, que la
solution juste réside dans un changement radical, à savoir la séparation
des confessions religieuses et politiques de l'Etat et le vote des
réformes nécessaires sur le plan politique, à commencer par une loi
électorale basée sur la proportionnelle.
Nous pensons aussi que le peuple libanais doit refuser les "réformes"
économiques préconisées par le gouvernement libanais, sous le nom de
"Paris 3" et les pressions de la Banque mondiale et du Fond monétaire
international, ne font que privatiser les services essentiels et
augmenter les impôts indirects tout en facilitant l'implantation d'une
république bananière au Liban.
Nous pensons, enfin, que ces changements, tant politiques
qu'économiques, pourront être le point de départ de la création d'une
patrie libanaise où la guerre civile, toujours latente, n'aura plus de
place et sera bannie pour toujours de la terminologie politique libanaise.
Marie NASSIF-DEBS
Beyrouth, le dimanche 12 novembre 2006