La révolte des affamés d’Amindeo

«?Esclavage?», «?Moyen Âge?», «?faim?»… ?ainsi parlent ces Grecs, ouvriers sur le chantier minier à Amindeo, en grève à 90?% depuis début septembre. Écoutez l’exploitation ?à laquelle ils sont contraints dans un pays où le chômage frappe 30?% de la population…

 

 

 

       

Les intervenants à la tribune n’en crurent d’abord pas leurs yeux. D’un coup, 400 gueules noires des temps modernes sont rentrées, fin septembre, dans la salle du centre culturel d’Amindeo, au nord de la Grèce, en plein débat sur l’économie grecque. De la modernité, eux n’ont rien. Des turpitudes des politiques économiques, ils vivent tout. Ils ont décidé de se mettre en grève et de le faire savoir. De dénoncer l’esclavage qu’ils subissent au quotidien sur le site d’Aghi Anargyri 9. Là, des mines à ciel ouvert s’étendent à perte de vue, plaies béantes dans un paysage bouleversé par l’extraction de lignite, dominées par deux centrales électriques, richesses de la région.

 

Ce qu’ils disent résonne comme un coup de grisou : « On a faim ! », « C’est une honte, les salaires que vous versez ! On ne peut même pas se payer le minimum vital : le pain, l’eau, l’électricité »…

 

Dans la salle, le parterre regroupant les notables régionaux – le gouverneur, le vice-gouverneur, leurs conseillers, les maires de Florina et d’Amindeo, le président et le vice-président de DEI, la compagnie nationale d’électricité – ne bronche pas. Les mineurs quittent le lieu. « Il aurait été intéressant qu’ils restent », déclare à  l’« HD », quelques jours plus tard, Giorgos Dakis, le gouverneur régional. Et l’élu de Nouvelle Démocratie (droite) de poursuivre : « La grande conquête de l’Europe, c’est l’expression démocratique et la protestation, mais la discussion aussi. »

 

« Nous subissons un chantage », rétorquent les salariés. Fannis Pentegos développe : « Ils ont licencié certains d’entre nous lorsque nous nous sommes mis en grève, début septembre. »

 

Il a presque 26 ans et fait partie de ces mineurs recrutés en juillet par la société AKMI, sous-traitante de DEI, pour réaliser les fouilles archéologiques préalables à l’ouverture d’une nouvelle brèche dans le sol. « AKMI a promis 26 euros par jour aux plus de 25 ans, 20 euros aux plus jeunes. Et pour tous, une prime de travaux pénibles. Rien n’a été respecté. Quand nos salaires ont été versés, début septembre, nous n’avions que 24 euros, et 19 pour les moins de 25 ans et pas de prime. Nous n’avons même été payés que pour les journées travaillées, alors que certains jours, les intempéries nous ont empêchés d’avancer le chantier. » 

 

Conséquence : le salaire des 700 ouvriers du chantier des fouilles n’atteignait même pas le minimum légal, 586 euros brut pour les plus de 25 ans (751 euros en 2010). « Les salaires, chez AKMI, sont extrêmement bas. En fait, depuis que la convention collective n’est plus obligatoire, en Grèce, les sociétés embauchent à un salaire journalier et pas mensuel. Elles suppriment toutes les primes, payent avec retard… » déclare Athanasios Germanidis, député Syriza-EKM de la circonscription. Signe de cette casse du droit, le bon sous-traitant est systématiquement le moins-disant social. « En 3 ans, depuis que DEI a sous-traité l’activité d’exploration, nous avons connu trois sociétés différentes. La première, GEA, payait 34 euros brut par jour ; la deuxième, Neo Teknik, 28 euros. Et maintenant, AKMI, entre 19 et 24 euros », se rappellent les plus anciens. Cette situation, les ouvriers ne l’acceptent plus. 90 % d’entre eux suivent la grève. « Nous n’avons plus rien à perdre », explique ce jeune membre du comité de grève.

 

Dans le vent et le froid qui balaient la plaine, les salariés sont à bout. « J’ai une formation de biologiste. Il n’y a qu’ici que j’ai trouvé du travail. Pour 19 euros par jour. On en a besoin dans la famille. Mais ça ne suffit pas pour vivre », témoigne Marios Athanasiadis, 21 ans.

 

« Toute la journée, je creuse à la pioche. C’est dangereux. Nous devrions avoir du matériel de sécurité. Mais même les chaussures, ils ne nous les payent pas », ajoute Alexandros Tsingopoulos. À 54 ans, il avoue, en montrant ses mains qui ont toujours travaillé, qu’il était soulagé d’avoir retrouvé un emploi. « Avant, j’étais dans le bâtiment. Mais avec la crise, il n’y a plus d’activité dans ce secteur. J’ai 4 enfants, ma femme n’a pas de travail. Il faut bien qu’ils mangent ! » poursuit-il. Et puis, « ce n’est pas forcément inintéressant : nous pouvons discuter un peu avec les archéologues ».

 

« On pouvait, au début, l’interrompt gentiment Nikolaos Parasidis, 20 ans, la silhouette efflanquée. Mais la direction met la pression : les cadences accélèrent. Le boulot est épuisant. Je pioche, je ramasse la terre à la pelle, je la mets dans les chariots. Sans arrêt. À ce rythme, nous risquons toujours de donner un coup à ceux qui travaillent à côté de nous. Et j’en ai même vu tomber dans les trous. »

 

« Il y a eu des accidents, explique Nikolaos Petzakis, lui aussi membre du comité de grève. Nous nous sommes occupés nous-mêmes des blessés : nous les avons transportés dans les bennes. On nous a dit qu’il y avait une ambulance sur le chantier et du personnel médical. Nous ne les avons jamais vus. » Malgré l’obligation légale. Nikolaos Petzakis, fixant, au loin, les centrales thermiques, sait qu’elles sont à la fois son malheur et l’un des derniers moyens d’assurer la subsistance de sa famille.

 

« Dans la région, près de 8 000 personnes travaillent pour DEI, et beaucoup d’autres chez ses sous-traitants », précise Stathis Konstandinidis, député Nouvelle Démocratie du département, qui compte environ 60 000 habitants. Or, la région est la 5e de l’UE pour le taux de chômage (29,9 % en 2012).

 

« En Grèce, l’avenir est bouché. Nos conditions de travail sont terribles, comme au début du XXe siècle », estime Nikolaos Parasidis, qui veut « partir en Allemagne ». « Nous sommes tombés à l’état d’esclaves. J’ai grandi en Grèce, je n’avais jamais pensé qu’un jour, je songerais à quitter le pays », conclut Fannis.


« On vit à dix dans trois pièces »


« Au point où j’en suis, je ne peux même pas acheter de lait pour mon bébé. » Il a deux mois et demi. C’est son père, Emilio, qui raconte ce drame. « Aujourd’hui, je suis chômeur, licencié par AKMI* car j’ai mené la grève. La direction fait tout pour nous soumettre. Elle menace de tous nous licencier si nous maintenons la grève. » Dans le flot des mots qui jaillissent de sa bouche, sa détresse revient : « Je n’arrive pas à nourrir mes enfants. » La famille doit en assumer deux. Sa femme en a eu un d’un premier mariage, il y a cinq ans ; elle est au chômage. De longue durée, donc sans indemnités.

 

« J’ai été licencié parce que je me battais pour mes droits, reprend-il. Notre vie est celle du XIXe siècle. Nous vivons à 10 dans la maison de mes beaux-parents. Ils dorment dans le salon. Mon beau-frère et sa famille sont dans une chambre, nous dans une autre. Nous avons tous des difficultés financières. Nous achetons à manger quand nous pouvons, peu de viande, c’est trop cher. »

 

Et l’hiver, très rigoureux dans cette région du Nord-Ouest, est aussi source d’angoisse : « Comment allons-nous chauffer ? » Le long des routes, des tas de bois s’accumulent. « Même le bois a augmenté », précise-t-il.

 

En cas d’élections, ce père de 30 ans irait quand même voter. « J’ai testé tous les partis jusqu’alors : PASOK, Syriza, Nouvelle Démocratie. » Et même, admet-il, les néonazis d’Aube dorée. « Un vote de protestation ! Je veux des partis qui se battent ensemble pour aider ma famille et la Grèce. » Et si le scrutin avait lieu demain ? ?Il voterait Samaras, le premier ministre qui vient de donner un coup de balai chez les néonazis. « Il peut maintenir l’ordre. »


* Sollicitée par l’« HD », ?la direction d’AKMI, ?qui exploite le terrain ?et néglige les droits les plus élémentaires, n’a pas souhaité répondre.

 

Photo: Fabien Perrier

Source: L'Humanité Dimanche

 

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