La loi antiterroriste n’est pas nécessaire pour combattre le terrorisme

L’avocat Raf Jespers, co-auteur avec Axel Bernard de "Nos droits démocratiques en danger", est très critique sur l’évolution de nos lois.

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Interview : Ruben Ramboer

Depuis 2003, la Belgique dispose d’une loi antiterrorisme. Cela ne vous plaît guère…

Raf Jespers. Évitons tout malentendu : je désapprouve toute forme de terrorisme. On ne peut tolérer qu’un civil innocent soit victime de violences d’inspiration politique ou religieuse. Il ne peut y avoir de pardon pour les attentats commis par des mouvements fondamentalistes religieux. C’est en fait de la terreur fasciste d’extrême droite. L’État doit pouvoir mener la lutte contre ce terrorisme.

La loi antiterrorisme a donc toute raison d’être…

Raf Jespers. Demandons-nous avec quels instruments l’État doit se charger de la sécurité de ses citoyens. Pour assassinat, l’acte terroriste par excellence, on peut recevoir la perpétuité, en Belgique. Il n’est nul besoin d’une loi antiterroriste, pour cela. Le problème, c’est que, dans la nouvelle loi, le concept de terrorisme est défini au sens très large. La protestation politique qui, naguère, n’aurait jamais été assimilée au terrorisme, peut l’être aujourd’hui.

Comment cela ?

Raf Jespers. Un traité européen de 1977 définit le terrorisme comme la « violence aveugle contre des citoyens ». Quelques délits spécifiques sont cités, comme la prise en otages de diplomates et le détournement d’avions ou de navires. Je suis d’accord avec la conception traditionnelle du terrorisme. La grande différence avec la loi d’aujourd’hui, c’est que, désormais, les actions légitimes de protestation, qui ne sont en aucun cas comparables à des pratiques comme celles d’al-Qaïda, sont également dans le collimateur.

Selon l’article 137 du code pénal, un délit terroriste est une infraction qui peut porter atteinte à un État ou qui est commise pour contraindre indûment des pouvoirs publics à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte. Avec une définition aussi vague, les dockers qui, en 2006, manifestaient à Strasbourg contre la directive portuaire, sont tout de suite devenus des terroristes. Car, au cours d’une manifestation durant laquelle il y a eu des coups, ils ont forcé une autorité « à s’abstenir d’accomplir » (c’est-à-dire d’approuver la directive portuaire). Le législateur voit des « spectres » et crée consciemment une loi qui dépasse de très loin ses buts normaux.

Consciemment ?!?

Raf Jespers. En général, la défense des droits démocratiques et sociaux n’a jamais été acclamée par l’establishment. Depuis les années 70, celui-ci essaie de museler la dissidence politique. Mais il est difficile de faire avaler à la population comme lutte contre le terrorisme le fait de lutter contre un mouvement de libération ou d’interdire une grève générale. L’attentat contre les tours du WTC, le 11 septembre 2001, était l’occasion rêvée de faire passer la législation antiterroriste. D’ailleurs, le décret cadre européen pour la législation antiterrorisme attendait déjà dans le tiroir depuis des mois, sinon des années, avant le 11 septembre. Et ce tiroir s’est donc ouvert après les attentats. Le climat politique était mûr.

Dans un tel climat, quel avenir y a-t-il encore pour la résistance sociale et politique ?

Raf Jespers. Il y a de raisons d’être inquiet. Chaque démocrate doit comprendre que la législation antiterroriste constitue un changement historique dans le droit pénal. Le délit politique n’a jamais figuré dans la loi pénale belge, sauf quelques délits très spécifiques, comme insulter la personne du Roi ou collaborer avec l’ennemi.

Il n’y a pas que la loi antiterroriste qui suscite l’inquiétude. Aujourd’hui, on recourt à toutes sortes de lois pour clouer le bec aux opposants. L’intolérance du parquet et des autorités judiciaires prend des proportions inquiétantes (lire ci-contre). Naguère, on aurait encore fermé les yeux sur un incident comme l’ « entartage » du ministre Peeters (CD&V) en 2006. Aujourd’hui, son auteur est poursuivi pour injures. Nous devons nous opposer le plus possible à toutes ces formes de poursuites. Par des pétitions et dans des actions, bien des organisations citoyennes ont exprimé leur désaccord vis-à-vis de l’évolution de la législation pénale.

Vous êtes avocat. Ne devez-vous pas plutôt vous adapter aux lois, au lieu de les combattre ?

Raf Jespers. Non, justement pas. De par sa pratique, l’avocat est idéalement placé pour montrer du doigt les lois néfastes. Et je suis loin d’être quelqu’un qui prêche dans le désert. Jo Stevens, par exemple, président de l’Ordre des barreaux flamands – une organisation qui n’est pas précisément sans importance – a déjà mis en garde dans deux discours de nouvel an contre le fait que les droits démocratiques étaient sur une pente glissante. Ce même Ordre a également mené des procédures auprès de la Cour d’arbitrage afin de faire déclarer illégale une législation antidémocratique. La Ligue des droits de l’homme l’a déjà fait également et continue à le faire.

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