La fessée

Le caniche de Bush. Tel fut le charmant sobriquet dont hérita l’ancien premier ministre britannique Anthony Blair du fait de sa servilité sans faille lors de l’invasion de l’Irak, en 2003. A l’époque, le chancelier Schröder et le président Chirac avaient refusé d’enfiler les treillis. Aujourd’hui, Angela Merkel poursuit une politique de prudence diplomatico-militaire – à Berlin, on a sans doute d’autres ambitions que de jouer les seconds couteaux de Washington.

 
En revanche, Paris et Londres semblent avoir échangé leurs rôles. David Cameron a été humilié et ligoté par ses parlementaires, payant ainsi les mensonges de son prédécesseur travailliste. François Hollande, lui, prolonge la ligne extrémiste engagée par Nicolas Sarkozy. Caniche d’Obama ? Bien pire : c’est en véritable pousse-au-crime qu’il a engagé la France sur une voie indigne et périlleuse.

Allemagne, Royaume-Uni, France : trois postures pour le moins différentes, avec pour conséquence le renvoi dans les limbes d’une « Europe de la Défense », tant les Vingt-huit sont divisés – on ne s’en plaindra pas. Ces pays ont en revanche un point commun, et pas des moindres : le rejet populaire massif de toute intervention contre la Syrie. Un rejet qui n’est pas spécifiquement européen : il court de la Turquie aux Etats-Unis eux-mêmes.

Reste une question majeure : comment expliquer l’effroyable activisme guerrier que déploie le maître de l’Elysée, flanqué du patron du Quai d’Orsay ? Et ce, alors même que les firmes françaises n’ont pas en Syrie les intérêts qu’elles soignent par exemple en Afrique.

Il n’y a pas une explication unique, mais plutôt une conjugaison de facteurs. Parmi ceux-ci figure une spécificité hexagonale : l’envie de la classe politique de se faire pardonner par Washington « l’indiscipline » de 2003. Plus généralement, les cercles politico-militaires dirigeants ont une obsession : expier tout ce qui a constitué « l’exception française ». Cela vaut particulièrement en matière de politique étrangère indépendante, celle qui fut déployée notamment pendant la période gaulliste. Nul zèle n’est jugé excessif dès lors qu’il s’agit de faire allégeance à la puissance tutélaire.

Deux autres éléments sont, eux, communs à la France et au Royaume-Uni. D’une part, ces pays possèdent les deux plus puissantes armées de l’UE, et de loin (en outre, un corps expéditionnaire franco-anglais est en gestation). Or on ne peut éternellement soigner de tels outils sans que la tentation de les utiliser ne se fasse jour. D’autre part et surtout, Londres et Paris furent à la tête des deux plus grands empires coloniaux pendant plus d’un siècle. Certes, ce lustre est révolu depuis belle lurette. Mais, dans l’inconscient collectif de la classe dominante, certains réflexes ont la peau dure. A cet égard, le vocabulaire en dit long.

« La France est prête à punir… » assénait ainsi François Hollande le 27 août. Punir : le terme, qui a fait florès et qui aurait dû à lui seul déclencher un tonnerre d’indignation, résume bien l’ingénue et méprisante arrogance présidentielle. M. Sarkozy avait au moins inventé le prétexte de « protéger » la population de Benghazi avant de bombarder la Libye. De protection des civils, il n’est même plus ici question. C’est plutôt le retour du refoulé historique. On pense au « coup d’éventail » qu’aurait asséné le dey d’Alger au consul de France en 1827, et que Charles X entendit « punir » par la conquête de l’Algérie, lancée trois ans plus tard. Pour sa part, le sémillant eurodéputé (UMP) Arnaud Danjean employa le terme de « fessée » susceptible d’être administrée au président syrien (pour la juger insuffisante). Sanctions, punition, fessée – décidément, ces gens se trompent de siècle.

Et devraient méditer sur le mot d’ordre du peuple chilien face au coup d’Etat de septembre 1973 qui s’annonçait, lorsque Washington décida de se débarrasser d’un président gênant (saluons la continuité). Il suffit de changer une lettre – « un peuple puni ne sera jamais vaincu » – pour en faire un slogan syrien.

Et universel.
 
 

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