L’angoisse et l’aveu

Ahurissant. Surréaliste. Edifiant. Comment qualifier autrement le discours qu’a tenu François Hollande le 5 février à Strasbourg ? A Strasbourg, car où, ailleurs que dans la bulle autiste que constitue l’hémicycle européen, de tels propos seraient-ils encore recevables ? Imagine-t-on le président français aller à la rencontre des salariés de Mittal, de Renault, de PSA en leur déclarant : « l’Europe est une formidable idée, une immense aventure, une construction politique exceptionnelle » ? Ou bien rendre visite à ceux de Good Year, de Sanofi, de Petroplus pour leur assurer qu’« elle a produit un modèle envié sur tous les continents, elle a instauré la paix, les droits de l’Homme, la démocratie » ?

 
 
Les eurodéputés, eux, ont adoré. Car le maître de l’Elysée, rappelant qu’il a placé « la réorientation de l’Europe au cœur de son action », a cajolé ses auditeurs en annonçant que « le moment est venu de lancer le grand chantier de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire », expression codée qui désigne le transfert des derniers leviers nationaux vers le futur « gouvernement économique » européen.

L’orateur a précisé que ledit « grand chantier » comprenait notamment la mise en commun des dettes nationales (« eurobonds »), une « union politique plus forte », de « nouveaux instruments financiers, et un budget (…) de la zone euro ». Il s’est cependant réjoui que beaucoup ait déjà été fait : « l’Europe a été capable de se doter de moyens indispensables pour garantir le sérieux budgétaire, les Etats eux-mêmes ont ratifié le traité budgétaire, et la France – sous mon autorité – en a pris la responsabilité ». Le président a également salué l’action de la Banque centrale européenne et le lancement du Mécanisme européen de stabilité.

A peu près au même moment, mais dans le monde réel – c’est-à-dire celui des peuples soumis aux conséquences de ces remarquables « avancées » – Caritas publiait une étude terrifiante décrivant l’extension de la misère dans les pays soumis à l’austérité la plus brutale. Au point que l’organisation caritative catholique, rarement considérée comme radicale ou subversive, concluait que cette situation est de nature à mettre en question « la légitimité même de l’Union européenne ».

Qu’à cela ne tienne : le mot d’ordre que François Hollande a fait ovationner à Strasbourg est bel et bien la rengaine que servent les dirigeants européens depuis le début de « l’immense aventure », en substance : ce qui n’a pas marché avec l’Europe… finira par marcher avec plus d’Europe encore. Au passage, le président n’a pas manqué pas de vanter l’Europe « continent de paix et de démocratie (…) qui apporte au reste du monde son héritage, ses valeurs, ses principes ». Son prédécesseur avait jadis fait montre de la même humilité en martelant que « l’Europe est aujourd’hui la seule force capable (…) de porter un projet de civilisation ».

Mais le plus remarquable de la prestation élyséenne est tout même cette angoisse qui forme le fil rouge du discours. Dès ses premiers mots, le chef de l’Etat s’interrogeait gravement : « comment faire pour retrouver l’adhésion, pour faire resurgir l’envie d’Europe ? ». Et concluait en s’inquiétant de l’état d’esprit populaire : « le risque n’est plus l’indifférence, mais le détachement, pour ne pas dire la rupture ».

Notons l’extraordinaire aveu. Et, plus encore, la conception implicite qui prévaut désormais parmi les dirigeants européens : plutôt que d’appliquer, fût-ce imparfaitement, le programme que les citoyens ont choisi en les élisant, leur « mission » (confiée par qui ?) consiste à tenter de convertir le peuple à une « construction » dont ils reconnaissent eux-mêmes qu’elle est massivement rejetée. Cette inversion de la démocratie nous ramène plusieurs siècles en arrière.

François Hollande a d’ailleurs résumé avec une confondante ingénuité l’angoisse qui l’étreint, lui et ses pairs : « ce qui nous menace aujourd’hui n’est plus la défiance des marchés, c’est celle des peuples ».

On ne saurait mieux dire.
 
 
 

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