L’OTAN en Afghanistan : une armée encerclée ?

Alexandre Knyaziev, spécialiste éminent de l’Asie centrale parfois à l’origine de « révélations » venues des hautes sphères du pouvoir russe et de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS)(1), vient d’annoncer ce que nombre d’experts du monde oriental subodorent depuis des mois : les forces de l’OTAN en Afghanistan sont bel et bien en passe d’être encerclées !

 

Le 29 février, dans un article intitulé « Le piège afghan pour l’Amérique est-il en train de se refermer ? »(2), ce journaliste affirme rien de moins que « la décision de fermeture à bref délai du Réseau de distribution nord (RDN), itinéraire d’approvisionnement des unités militaires de l’Amérique et de l’OTAN engagées en Afghanistan, est pratiquement prise à Moscou ».

Ce réseau de voies ferrées et routières qui, à partir de Riga en Lettonie, traverse la Russie pour atteindre l’Afghanistan via le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, et par lequel passeraient aujourd’hui 90% des fournitures nécessaires au corps expéditionnaire, peut effectivement être fermé sur simple décision du Kremlin. Les Russes ont aussi la possibilité, par leur influence à Astana ou en brandissant le statut de la Caspienne, de fortement gêner voire d’interdire le recours à la rocade de remplacement envisagée au travers de la Trancaucasie (par la Géorgie et l’Azerbaïdjan) puis via la Caspienne et le Kazakhstan(3). De même, le fonctionnement du transit aérien par les bases de Manas (Etats-Unis et OTAN), Termez (Allemagne) et Douchanbé (France) pourrait être entravé par le report, voire la suppression d’autorisations de survol au-dessus du territoire russe.

Une telle mesure, si elle intervient prochainement, prendra effet juste au moment où les pays engagés en Afghanistan commencent à agencer le repli des « armadas » dont ils disposent sur ce théâtre lointain : 3000 blindés, dit-on pour la Grande-Bretagne, plus de 400 pour la France, au moins 10 000 pour les Etats-Unis, sans tenir compte des matériels de pointe (missiles, drones, transmissions, artillerie, etc ) dont il est impensable qu’ils puissent tous emprunter une voie aérienne particulièrement ruineuse. L’heure de vol de l’avion gros porteur le plus utilisé (l’AN124, comme par hasard russe…) ne coûte-t-elle pas déjà, alors qu’elle est en constante augmentation, plus de 35 000 euros ?

Pour que Moscou recoure à une telle extrémité, il faut évidemment que le contentieux entre elle, d’une part, l’Amérique et l’OTAN, d’autre part, soit particulièrement critique. C’est le cas en effet : les événements en Syrie, en Iran, en Géorgie, en Azerbaïdjan, le déploiement en Europe centrale d’un bouclier anti-missiles et jusqu’à la « subversion » que le Kremlin perçoit derrière les agissements de l’opposition russe, tout cela rassemble les ingrédients d’une crise majeure. Dans le Très Grand Jeu en cours, le président Poutine, fort de sa réélection, ne devrait pas manquer de brandir au moins la menace d’une fermeture du RDN. C’est justement ce qu’annonce, sans doute intentionnellement, l’article de Knyaziev.

Non moins intentionnellement, ce spécialiste signale en conclusion que la seule organisation internationale en mesure d’aborder le problème n’est autre que l’Organisation de coopération de Shanghaï « qui regroupe en tant que pays-membres ou observateurs tous les voisins de l’Afghanistan tout en faisant participer le gouvernement de Kaboul à ses travaux ». Il souligne aussi, en bon oriental, que les Etats-Unis et l’OTAN n’échapperont pas au piège sans que leur prestige ait à en souffrir…

Un tel retrait vient de commencer puisque, le 5 mars, 25 camions gros porteurs américains viennent de franchir pour la première fois la frontière tadjiko-afghane et se dirigent vers Bichkek où les conteneurs qu’ils convoient seront chargés sur des trains en partance pour Riga via le Kazakhstan et la Russie(4), si cette dernière y consent…

Il convient de noter, cependant, que l’éventualité d’un veto russe ne sera pas sans braquer contre Moscou les pays d’Asie centrale qui comptent tirer parti au maximum du repli occidental aussi bien en argent qu’en récupération de matériels militaires. L’itinéraire routier actuel par le Tadjikistan et le Kyrgyzstan, difficile et exposé au harcèlement éventuel d’islamistes, ne devrait être que secondaire par rapport au transit ferroviaire au travers de l’Ouzbékistan présentement bloqué du fait des exigences financières excessives de Tachkent.

*Cet article fait suite à la fiche IRIS «  Le réseau de distribution nord sur la sellette » de fin décembre 2011.


Source: Affaires stratégiques


(1) Créée en 1996 à l’instigation de la Chine, l’OCS regroupe aujourd’hui comme pays membres ou observateurs tous les voisins de l’Afghanistan.
(2) Centrasia.ru/news2.phpst ?=1330511700, texte en russe.
(3) L’itinéraire ferroviaire possible au travers du Turkménistan via Turkmenbachi et Kouchka se heurte à l’obstacle de la neutralité turkmène, relatif au demeurant.
(4) Cf http://www.centrasia.ru/news2.php?s… du 7/3/2012.

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