«L’Aqmi sert aussi de couverture aux services secrets occidentaux»

Journaliste au magazine Afrique Asie, Gilles Munier anime débats et conférences ici et là dans le monde arabe et occidental. Il a été un élément incontournable lors de la politique de pétrole contre nourriture – infligé à l’Irak – dont il a subi quelques histoires qu’il n’y a pas lieu de citer dans cet entretien qu’il a bien voulu accorder au quotidien algérien Le Jeune Indépendant.

  Samedi 25/09/2010


Le Jeune Indépendant : Les évènements se précipitent au Sahel, le rapt des expatriés français alimente toutes les hypothèses. Certains ne veulent même plus s’avancer en analyses… Quelle est votre réaction ?

Gilles Munier : Les enlèvements avec rançon relèvent du gangstérisme. Ils discréditent la cause que l’on prétend défendre. Mais dans cette affaire, il faut être franc : Sarkozy a semé le vent, il récolte la tempête. Il a joué avec le feu dans une région stratégiquement convoitée par les Américains qui veulent y implanter l’Africom, le commandement régional américain pour l’Afrique, malgré les réticences des pays du Sahel, notamment l’Algérie. Cette région est de ce fait sujette à toutes les manipulations. On l’a constaté en Irak : «Al-Qaïda» est une appellation qui sert aussi de couverture aux services secrets occidentaux. C’est le cas de l’Aqmi.

Est-ce à dire que ces ouvertures aux services secrets occidentaux remplaceront les troupes militaires et justifient le repli de l’armée américaine en Irak, à titre d’exemple ?

On peut le dire. Mais la situation est devenue intenable pour les troupes américaines qui ne sortaient plus beaucoup de leurs bases pour ne pas augmenter le nombre de morts, car il ne faut pas croire qu’il n’y a eu que 4 700 soldats tués. Selon des ONG américaines indépendantes, le chiffre tournerait plutôt autour des 35 000 tués. C’est d’ailleurs celui fourni par la Résistance et ce n’est pas aux Algériens qu’il faut raconter des histoires : ils savent ce que coûtent de part et d’autre sept ans de guerre ! Et puis, les Etats-Unis pouvaient difficilement mener en même temps deux guerres : en Irak et en Afghanistan. Alors, Obama a réduit la voilure, comme disent les marins. Mais, il ne faut pas se leurrer, près de 50 000 GI’s sont toujours en Irak, des bases américaines sont en construction, les Forces spéciales – Bérets verts et autres – ratissent le pays à la recherche de résistants. La guerre d’Irak est loin d’être finie, elle change seulement de forme.


Le pétrole et la sécurité d’Israël étaient les enjeux de la guerre d’Irak, dont il faut rappeler qu’elle a débuté en 1990 avec l’embargo. Le pétrole a été dénationalisé et est aux mains des Occidentaux ou de leurs alliés. Le pétrole coule, sans que l’on sache vraiment qui en profite. En tout cas, pas le peuple irakien. Moqtada al-Sadr a demandé la renégociation de tous les contrats et il a raison.

L’Irak est votre spécialité justement. Quelle est la situation du peuple irakien aujourd’hui ?

Les Irakiens sont au comble du désespoir. Leur situation est pire qu’à l’époque de l’embargo international. La corruption, la prostitution, la drogue et le crime font des ravages. Toutes les familles ont été touchées par la guerre de 2003 et par l’occupation. Des dizaines de milliers de familles sont parquées dans des bidonvilles à la lisière des villes, d’autres vivent dans le no man’s land entre l’Irak et la Jordanie. Les exilés, la fine fleur de la nation, se comptent par millions. Pendant ce temps, les dirigeants se remplissent les poches. Prenons l’exemple des députés : ils touchent 25 000 $ par mois pour donner l’illusion d’un pays démocratique, tandis qu’en Irak le salaire moyen est de 500 $ et qu’un bon tiers des habitants est sans emploi. Et je ne donne là qu’un aperçu du bilan du renversement du président Saddam Hussein…

Autre sujet également d’actualité, les pourparlers israélo-palestiniens. Nous avons le sentiment qu’ils sont frappés du sceau de l’embargo. Qu’en est-il exactement?


Je ne vois pas ce que Mahmoud Abbas peut négocier, sinon retarder un petit peu la colonisation de nouveaux territoires palestiniens. Rendre publics leurs entretiens mettrait le chef de la soi-disant Autorité palestinienne encore plus en difficulté, et surtout gênerait la campagne électorale de Barak Obama de mi-mandat. Il faut que les électeurs démocrates aient l’impression que le président américain tient ses engagements au Proche-Orient. Obama sait que les Israéliens «jouent la montre», mais ce qui le préoccupe le plus, c’est sa réélection dans deux ans. Son fameux discours du Caire n’était en définitive que de la poudre aux yeux des Arabes. L’avenir n’est porteur de rien de positif pour les Palestiniens, sinon de crainte !
On se dirige vers une nouvelle guerre israélo-arabe, plus terrible encore que les précédentes. Ses effets ne se feront pas seulement sentir dans la région, mais dans tous les pays arabes et musulmans. On verra bien alors de quel côté pencheront les chefs d’Etat muselés par Washington. Les paroles ne suffiront pas pour calmer la colère des peuples. Le monde a changé au fil des guerres israélo et américano-arabes. Grâce à Internet, l’information circule presque en temps réel. J’ai confiance en la génération nouvelle qui va prendre le relais un peu partout. Un vent d’air frais soufflera bientôt du Maghreb au Machrek.

Quelle menace reste-t-il entre l’Iran et l’Irak ? Du même coup avec Israël ?

L’Irak subit deux occupations : l’américaine et l’iranienne. Ceux qui sont au pouvoir, ou qui veulent les remplacer, sont tous arrivés dans les fourgons de l’armée américaine, mollahs compris, à l’exception notable de Moqtada al-Sadr. Le nettoyage ethnico-religieux, c’est-à-dire antisunnite, a placé Bagdad sous la coupe des Gardiens de la révolution iranienne et des groupes irakiens qu’ils manipulent.

Par ailleurs, il est toujours question de l’option israélienne : la partition du pays. L’idée est de créer deux sortes d’émirats pétroliers : au nord, le Kurdistan auquel on adjoindrait les champs pétroliers de Kirkouk et de Mossoul, au sud, un soi-disant «Chiitistan» comprenant les régions de Nadjaf et de Bassora. Ces projets ne datent pas d’hier. Israël a toujours eu pour objectif de diviser les pays arabes sur des bases ethniques ou sectaires.
Il nous reste à espérer que la Résistance irakienne fasse avorter tous ces projets et libère le pays. Pour l’instant, seules les armes parlent. Un premier résultat a été obtenu avec le retrait partiel des troupes américaines, après le départ de leurs alliés britanniques et autres. Le combat continue. Mais la voie parlementaire ne doit pas être négligée. Elle me semble être également un moyen d’éliminer les collaborateurs des occupations. Il faut lutter pour la tenue de véritables élections démocratiques en Irak, c’est-à-dire avec la participation de partis issus de la Résistance.

Entretien réalisé à Paris par Samir Méhalla
source : http://www.jeune-independant.net/pages/Actualite4.htm

 

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