L’Afrique de l’Ouest, la nouvelle aventure des impérialismes états-unien et européen

Les Etats-unis d’Amérique sont les plus voraces consommateurs de pétrole au monde, consommant 21,7% de tout le pétrole extrait, alors qu’ils ne concentrent que 5% de la population mondiale, important 57% de celui qu’ils consomment, reposant de moins en moins sur leur propre production.

« N’oublie pas, ne prend pas comme une fatalité
ce qui n’est pas encore advenu,
ni comme impossible à réaliser ce que tu désires le plus »
Epicure, lettre à Ménécée
 
 
« Même en augmentant leur efficacité énergétique, les Etats-unis auront besoin de nouveux fournisseurs extérieurs, on prévoit qu’en 2020 la demande sera de 22 860 millions de barils par an tandis que la production intérieure atteindra seulement 15 480 millions », affirmait le rapport présentait par Dick Cheney au président Bush en 2001, recommandant « la diversification et l’augmentation de l’approvisionnement extérieur », mettant en garde contre le fait qu’ « une interruption significative de l’approvisionnement extérieur mettrait en danger notre économie et notre capacité à atteindre nos objectifs économiques et politiques. »

En d’autres termes, les grandes multi-nationales du pétrole – ici représentées par Dick Cheney – trouvaient qu’il est plus profitable de voler le pétrole des autres et la Maison Blanche soutint cette pratique. De fait, en se basant sur ce rapport, l’administration Bush a réduit les fonds alloués à l’augmentation de la production nationale et à la recherche de solutions alternatives nationales, cherchant en cela à renforcer le discours selon lequel l’approvisionnement extérieur de pétrole continuerait à augmenter et devrait se diversifier.
C’était l’objectif des grandes multi-nationales du secteur, et c’était la proposition du Council on Foreign Relations (CFR) quand il affirmait que « l’on devait favoriser la recherche d’approvisionnements pétroliers autres que ceux du Golfe Persique ».

Les autres éléments liés à la recherche de nouvelles sources de pétrole sont de nature technique, c’est-à-dire basées sur les réserves existantes particulièrement dans la péninsule Arabique; les grands champs pétroliers d’Arabie Saoudite sont en déclin, comme celui de Ghawar, qui au lieu d’extraire 22 millions de barils par jour comme prévu pour 2025, s’en tiendra finalement à 12,5 millions. Ceci une des maisons majeures pour lesquelles il existe une quête croissante d’autres lieux d’extraction, les plus convoités de tous étant ceux d’Afrique occidentale.

En fait, les pays d’Afrique occidentale fournissent actuellement 18% du pétrole que les Etats-unis importent et ce chiffre atteindra les 25% en 2015; cette région, qui possède des réserves de 40 milliards de barils, est d’une importance stratégique fondamentale pour les Etats-unis et la raison pour laquelle les six pays qui font partie de l’ECOWAS (Communauté économique des Etats d’Afrique occidentale – Angola, Tchad, Guinée équatoriale, Gabon et Nigeria) ont été courtisés par l’administration Bush qui est soudainement tombé amoureux du continent africain.

Il y a, pourtant, des raisons à cette intérêt soudain.
Premièrement, parce que les prévisions sur les quantités de pétrole existantes sont les plus importantes que nous connaissions à ce jour, « on espère que l’Afrique occidentale deviendra le principal fournisseur du marché américain »1; deuxièmement, parce que la concurrence est faible, puisque la Chine va focaliser son intérêt sur les pays d’Afrique orientale; troisièmement, parce que le brut est de « haute qualité et de faible teneur en souffre, idéal pour être raffiné sur la côte Est »2 des Etats-unis; quatrièmement, car les perspectives sont colossales en ce qui concerne le Nigeria, l’Angola, le Gabon et le Congo-Brazzaville et les investissements déjà réalisés, d’une valeur de 3,5 milliards de dollars, dans la construction d’on oléoduc qui relie le Tchad au Cameroun sur la côte occidentale Africaine, ne sont pas négligeables.

Cinquième et dernier argument: la docilité des gouvernements par rapport aux multi-nationales et à l’impérialisme, et la corruption alimentée par les grandes entreprises, font de cette région du monde le terrain idéal pour sa transformation en une nouvelle arrière-cour américaine.

Il existe également des raisons de nature géo-politique qui se trouvent à la base de ce changement radical de politique des Etats-unis par rapport à l’Afrique qui est passé dulaissez-faire à un engagement rapide et de grande ampleur politique, diplomatique et militaire, et d’ingérence dans la vie d’États souverains.
La présente croissante de la Chine, du Brésil et de l’Inde en Afrique – qui ne peuvent se comparer, ni dans la forme ni dans leurs objectifs, avec les objectifs de l’impérialisme américain – est l’autre raison expliquant ce changement de stratégie de la politique étrangère états-unienne par rapport au continent, que l’occupant de la Maison Blanche soit républicain ou démocrate.

Parlez d’une voix douce mais avec un gros bâton à la main…

Ce proverbe, d’origine africaine, synthétisait la politique étrangère du président Theodore Roosvelt, qui l’utilisait fréquemment pour dire: ou les pays obéissent au diktat des intérêts américains, ou la force parlera, c’est-à-dire, l’agression militaire.

Plus de cent ans se sont écoulés, mais cela continue d’être le coeur de la politique étrangère des Etats-unis, comme l’a très bien exprimé récemment le journaliste archi-réactionnaire Thomas Friedman en affirmant: « la main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans son poing invisible ».
Pour défendre les intérêts des multi-nationales du pétrole en Afrique il faut même un poing, et un poing fort.

« En 2008, Chevron a réalisé des profits de l’ordre de 23 milliards de dollars, la moitié provenant d’Afrique; Exxon-Mobil a réalisé 45,2 milliards de dollars, 43% de la même provenance, tout comme c’est le cas pour un tiers des importations de la BP »3, pour ne citer que ceux-là. Avec ces profits colossaux, il n’est pas étonnant que les grands monopoles soient intéressés au maintien dustatus quoet il est nécessaire pour cela que quelqu’un les défende.
Le poing dont le réactionnaire Friedman parle a un nom – Africom.
Le gouvernement au service des pétroliers de George Bush donna une suite pratique aux recommandations du CSIC (Center for Strategic and International Studies) qui affirmait: « étant donné les intérêts énergétiques croissants dans la région, nous recommandons que les Etats-unis fassent de la sécurité et de la gouvernance dans le Golfe de Guinée une priorité absolue de la politique étrangère des Etats-unis par rapport à l’Afrique, en défendant une politique ferme pour la région », en d’autres termes – militariser les relations des Etats-unis avec l’Afrique. Ainsi, George Bush, inlassable serviteur des intérêts des multi-nationales du pétrole, a réalisé une tournée africaine en février 2008.
Ce n’était pas fini puisque George, appliqué, avait créé une structure de commandement indépendante pour l’Afrique – l’Africom, le poing – laissant la poursuite de cette politique au charismatique et candide Obama qui, sans sourciller, mettra en œuvre l’agression, cette fois à l’échelle d’un continent, confirmant que plus les choses changent, plus elles restent identiques dans la politique étrangère de l’impérialisme.

De la Françafrique à l’impérialisme européen


Déjà en 2005, comme préparation à ce qui a suivi, le Pentagone avait lancé l’Initiative contre-terroriste Trans-saharienne (TSCTI) et, auparavant, tant les Etats-unis que la France, particulièrement cette dernière, avaient une présence militaire en France.

Pour dire vrai, les Américains ne sont pas les seuls à jouer les mauvais rôles dans l’affaire.

La France, comme ancienne puissance coloniale, a continué, jusqu’à récemment, à jouer le rôle de bras armé du néo-colonialisme. En Côte d’Ivoire, sont stationnés 3 000 soldats français et au Togo voisin se trouvent encore plus d’hommes et d’appareils aériens.

La France, pour raisons budgétaires, s’est vue contrainte de commencer à un terme à l’aventure néo-coloniale, réduisant les effectifs et fermant des bases entre 1997 et 2002. Sarkozy est le fossoyeur – bien à contre-cœur, en vérité – de la Françafrique, cette politique française particulière pour l’Afrique, en recherchant désormais l’européanisationde l’intervention militaire, selon le général Dominique Trinquand.

Cette prétendue européanisation nous laisse nous, portugais, soucieux tout du moins, étant donné la soumission aux intérêts impérialistes manifestée de nombreuses fois par « nos » gouvernements.

De toute façon, le petit homme de l’Elysée ne portera pas l’idée plus loin: l’Empire commande et lui n’aura pas d’autre choix que de baisser la tête.
En fait, avant que l’impérialisme américain se soit lancé dans la militarisation de l’Afrique, les commanditaires de la politique étrangère de l’Oncle Samavaient déjà estimé les implications/collisions possibles avec la présence française en Afrique et ont été clairs: « alors que les français vont réduire leurs forces en Afrique, les Etats-unis augmenteront les leurs… »et « d’autre part nous pouvons dire qu’une force Américaine en Afrique sera le signal que l’exclusivité de l’influence militaire française est terminée, concrètement »4

Sarkozy l’a compris. Adieu à la France impériale!

Préambules à une occupation

Il y eut plusieurs tentatives pour localiser en Afrique le quartier-général de l’Africom, qui ont été contrariées par l’opposition de plusieurs pays confrontés à la colère populaire que de telles bases pourraient susciter, ce qui n’a pas empêché les relations publiques de l’Africom de mentir en affirmant que « plusieurs pays africains ont déjà offert leurs services pour accueillir le Quartier-général », rappelant en même temps que « quelque soit la localisation du futur quartier-général, il sera nécessaire d’avoir des bases dans le Golfe de Guinée ». Pardi! C’est là que se trouve la poule aux œufs d’or.

Le manque d’un quartier-général n’empêche pas les militaires américains et les mercenaires qu’ils payent de lancer des opérations clandestines à partir des bases de satellites étrangers localisés au Kenya et à Djibouti.

Cependant, le budget de l’Africom est passé de 60 millions à 310 millions de dollars, hors coûts des opérations; fut nommé commandant un des seuls cinq afro-américains parvenus au rang de général quatre étoiles; ont été lancées des manœuvres navales de grande envergure dans le Golfe de Guinée; on développe d’intenses campagnes de persuasion, notamment en fournissant du matériel militaire, des cours et des voyages d’étude, ainsi que des formations à des hauts gradés africains officiellement désignés comme friendly african militaries(militaires africains amis) afin qu’ils ferment les yeux sur ce qui va suivre; sur le plan diplomatique, le mouvement est tout aussi intense, pas seulement parmi les capitales africaines mais aussi parmi celles européennes, et Lisbonne en particulier.

L’argent ne manque pas. Rien que cette année vont être dépensées, pour un seul programme de 431 activités et impliquant 40 pays, 6,3 milliards de dollars.
Le Pentagone désigne l’Africacom comme un commandement de combat unifié, qui combinera des fonctions militaires et civiles, cela afin de promouvoir leur image de « bons rapaces » – goodfellas.

Toute agression impérialiste s’est toujours présentée, publiquement, de la manière la plus altruiste possible; en Afrique, elle est présentée comme une action humanitaire pour combattre la maladie et l’analphabétisme, pour la construction de logements, l’attribution de bourses d’études et ainsi de suite… que de nobles objectifs.

L’autre argument est la lutte contre le terrorisme qui a bon dos et sert même à couvrir les actions terroristes de l’impérialisme états-unien.
Les véritables objectifs de cette nouvelle agression, qui n’en est encore qu’à ses débuts – et que, en cela, il est urgent de dénoncer dès maintenant– ont été éventés clairement dans les lignes précédentes, je l’espère.


La force occupante et l’OTAN


L’OTAN a cessé depuis longtemps d’être une organisation « défensive » de l’Atlantique-Nord, s’assumant comme un bloc militariste mondial, et donc présent aussi en Afrique où, du reste, elle a développé une intense activité notamment sur la Corne de l’Afrique et, particulièrement, au Soudan; si dans cette partie de l’Afrique les intérêts ne sont pas exclusifs, on peut imaginer ce qui se trame pour l’Afrique occidentale, où se trouve ce pétrole vital pour l’Amérique.

Des différents pays grands producteurs de pétrole de cette région, le Nigeria et l’Angola sont ceux qui ont le plus grand potentiel; mais on trouve également Sao Tome et Principe, dont les perspectives en termes de réserves pétrolières restent dans le secret des dieux, malgré le fait que les majors américaines y installent des plates-formes pétrolières et perforent frénétiquement, Hillary Clinton, a visité récemment l’archipel – on perçoit ainsi que ce petit pays est sur l’agenda des priorités américaines – et « offert » la construction d’un port, ce que le premier-ministre de Sao Tome a tenu à saluer en déclarant aux médias que ce serait un grand port, ce qui a été ensuite rectifié par les américains quant à ses dimensions – il serait beaucoup plus petit, disent-ils… On voit.
Selon un commandant américain en Europe, « ce petit port » comme le dit Hillary Clinton, serait une base militaire et navale de la taille de Diego Garcia dans l’Océan indien.

C’est aussi pour le sort du continent africain, et toutes ces raisons-là que nous défilions aussi à Lisbonne ce 20 novembre, sous le mot d’ordre Oui à la paix – Non à l’OTAN!

1 Rapport de 2006 du CFR sur la dépendance énergétique des Etats-unis et ses conséquences sur la sécurité nationale, p 132
2 Idem

3 Rapport 2010 du Center for American progress

4 Andrew Hansen – CFR – 8 février 200

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