Kosovo : des camps empoisonnés pour les Roms

Paul Polansky, un écrivain des Etats-Unis, se bat depuis des années, pratiquement tout seul, pour défendre les Roms du Kosovo, victimes oubliées de la situation créée par la guerre et l'occupation de l'Otan…

Dans sa hâte à proclamer le succès de sa tâche, la mission des Nations unies au Kosovo ignore, ou couvre, une tragédie médicale dont elle est directement responsable.

Dans trois camps construits par le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés, quelque 60 enfants rom de moins de 6 ans ont été exposés à des taux de saturnisme (empoisonnement au plomb) tellement élevés qu’ils sont hautement susceptibles de mourir bientôt de lésions cérébrales irréversibles. Ce nombre représente chaque enfant né dans les camps depuis qu’ils ont été construits, voici cinq ans et demi – il s’agit d’enfants que leurs systèmes immunitaires non développés rendent particulièrement vulnérables.

Rokho Kim, expert en saturnisme et médecin du Centre européen de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l’Environnement et la santé, situé à Bonn, a visité les camps en février et a déclaré qu’il n’avait jamais entendu mentionner des taux de plomb aussi élevés dans le sang des enfants.

Il a ajouté que les taux de toxicité autour des camps étaient de trois à quatre fois supérieurs à ceux de Tar Creek, en Oklahoma, la décharge sauvage la plus toxique des Etats-Unis.

Les camps, situés à Zitkovac, Cesmin Lug et Kablare, dans le nord du Kosovo, ont été construits à partir de novembre 1999 afin d’héberger quelque 500 personnes déplacées de la plus grosse concentration de Rom du Kosovo, détruite en juin de cette même année par les extrémistes albanais ethniques après que les troupes de l’Otan se furent emparées de la ville du Mitrovica-Sud..

Aujourd’hui, de nombreux enfants vivant dans ces camps sordides présentent des symptômes évidents de saturnisme : perte de mémoire, perte de coordination, vomissements et convulsions.

Ces cinq dernières années, 27 personnes sont mortes dans les camps, dont bon nombre vraisemblablement des effets de l’empoisonnement aux métaux lourds, bien qu’on n’ait jamais pratiqué d’autopsie. Deux des morts étaient des enfants et on s’attend à ce qu’il y ait davantage de décès au cours des tout prochains mois.

Il ne fallait tout simplement pas que les choses en arrivent là.

En novembre 1999, en ma qualité de représentant de la Société des Peuples menacés, j’ai mis en garde le chef de la mission du Haut Commissariat pour les Réfugiés, à Pristina, contre le fait que les endroits où se situaient les camps étaient en fait des terrains vagues très toxiques, au pied des crassiers des vastes mines de Trepca.

Mais le commissariat a poursuivi la construction, prétendant que ce n’était que pour 45 jours.

Des tests sanguins ordinaires, effectués en août et septembre 2000 par le Dr Andreï Andreyev, un conseiller russe aux Nations unies, ont confirmé des taux dangereux de saturnisme. Le médecin soumit son rapport à l’OMS et à la Mission des Nations unies au Kosovo (connue sous l’appellation d’Unmik), en recommandant l’évacuation immédiate des camps.

Son rapport qui, aujourd’hui, n’est pas accessible au public, n’a jamais été enregistré, à une exception près : plusieurs officiers de police de l’Unmik International ont été testés, vu qu’ils couraient à pied le long d’un sentier à proximité des terrils proches du camp de Cesmin Lug. Leur taux de saturnisme était tellement élevé que l’Unmik les aussitôt rapatriés.

Mais, tant que l’OMS n’a pas effectué davantage de tests sanguins dans les camps, en juillet dernier, il n’y a pas eu du tout de réaction de la part des officiels de l’Unmik face aux taux extraordinairement élevés de saturnisme chez les Rom.

Des tests capillaires effectués sur 75 personnes en provenance des camps, pour la plupart des enfants et des femmes enceintes, ont révélé que 44 présentaient des taux sanguins supérieurs à 65 microgrammes par décilitre, le niveau le plus élevé que l’équipement disponible était à même de mesurer.

Des niveaux supérieurs à 10 microgrammes sont considérés comme la limite du risque de dommage cérébral ou de lésion du système nerveux; moins de 10 personnes ont été testées sous 40 microgrammes. Le chiffre de 70 est considéré comme la limite de l’urgence médicale immédiate.

Des tests ultérieurs ont confirmé les implications de ces données. J’ai emmené neuf enfants à l’hôpital afin de leur faire subir des tests. Sept avaient des taux de plomb supérieurs à ce que pouvait enregistrer l’appareil. Deux furent immédiatement hospitalisés, sans test, et le personnel médical déclara qu’il ne pensait pas que l’un ou l’autre des deux pût être sauvé.

Le rapport 2004 de l’OMSD recommandait une intervention immédiate, mais la réponse de l’Unmik consista à entamer des réunions hebdomadaires sur la question. Lors d’une de ces réunions, qui se tint le 16 novembre dernier, il fut même « accepté que l’actuelle situation d’urgence due au plomb nécessite une action immédiate, tout d’abord sous forme de relogement des personnes déplacées hors des camps… »

Mais, malgré les appels des groupes humanitaires et des experts de la santé, et malgré une demande écrite du Comité international de la Croix-Rouge pour que les camps soient immédiatement évacués, la seule action entreprise par l’Unmik fut de tenir encore plus de réunions, sans toutefois prendre la moindre décision.

En juillet dernier, Jenita Mehmeti, une fillette de 4 ans, est morte au camp de Zitkovac, après avoir été traitée durant deux mois pour son saturnisme dans un hôpital serbe.

Elle ne sera pas la dernière. Avec l’indépendance du Kosovo figurant manifestement à l’agenda des Nations unies pour cette année ou l’an prochain, il apparaît que l’Unmik ne veut que s’en aller sans prendre de décision ni assumer les responsabilités de sa négligence flagrante.

IHT Copyright © 2005 The International Herald Tribune

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