Je ne sais rien sur Cuba ni sur Fidel Castro, mais moi je sais que je ne sais rien

Il en est de Cuba comme de la plupart des pays de la planète, nous avons une illusion médiatique d’un savoir immédiat, à laquelle il faut ajouter une propagande « anti-castriste », un mensonge systématique qui cache les faits ou les interprète d’une manière orientée.

Dimanche 17 décembre à la Havane, quelques événements dont il sera rendu compte par des flashs télévisuels :

– Premièrement, visite d’une délégation de parlementaires venus des Etats-Unis. Ceux-ci, républicains et démocrates sont partisans de la fin du blocus et de la normalisation des relations entre les Etats-Unis et Cuba.

L’événement si l’on connaît bien l’état réel des relations entre Cuba et les Etats-Unis n’en est pas un. Depuis de nombreuses années il y a une majorité au Congrès qui s’est prononcé pour cette issue et qui agit en ce sens. Dans cette majorité, il y a des militants de la paix, des progressistes, en particulier les démocrates noirs nord-américains, des religieux. Il y a également des démocrates de plus en plus convaincus de l’échec de la politique des Etats-Unis à l’égard de Cuba et qui pensent que la meilleure solution pour que Cuba change de régime est justement de changer de politique, enfin il y a de plus en plus de milieux d’affaires, de l’agro-alimentaires, des transports, des voyages, etc… qui considèrent qu’il y a des affaires fructueuses à faire avec l’île, ce sont des lobbys puissants.

En fait les médias français adoptent à l’égard de Cuba, non pas cette vision de la majorité des Etats-Unis mais celle de l’extrême-droite, elle véhicule les thèmes fabriqués dans des officines de Miami. Donc nous sommes condamnés à ignorer à peu près tout de la réalité de Cuba et à nous exclamer devant la nouveauté d’une visite qui au contraire témoigne de la continuité.

– Deuxièmement alors bien sûr on va l’attribuer à « l’agonie » de Castro cette visite, ce serait une réponse à l’ouverture de Raoul Castro. A la seule différence près que ce qu’a dit Raoul est répété depuis des années par les Cubains. Il suffit de relire les textes d’Alarcon, le président de l’Assemblée populaire qui est plus particulièrement chargé des relations avec les Etats-Unis. Cuba depuis toujours propose des collaborations, en particulier en matière de lutte contre la drogue, et contre le terrorisme. Mais nous en France nous ignorons cela donc nous allons l’attribuer aux changements liés à la fin de Fidel.

– Alors tombe la nouvelle, Fidel se rétablit et elle est confirmée par la délégation US. Ceci intervient après que les médias français nous aient abreuvés non seulement de bulletins alarmistes, mais d’indignes comparaisons entre Pinochet le boucher de Santiago et Fidel le rebelle de l’Amérique latine.

Ces derniers temps sur cette question de l’état de santé de Fidel, j’ai été conduite à répéter les choses suivantes :

Je n’en sais pas plus sur la question que les responsables de la CIA qui ont fait état d’un cancer ou de l’agonie. Fidel Castro l’a dit très simplement aux Cubains : « mon état de santé va devenir un secret d’Etat ». Fidel est un être humain et comme nous tous il est mortel, quelle que soit l’estime, la vénération même que des millions d’individus de par le monde et dans son propre pays lui portent, il mourra un jour. Cuba aujourd’hui fait la preuve comme il n’a cessé de le répéter que la résistance ne dépend plus de lui. Lui mort Cuba est prêt : voilà ce que Fidel n’a cessé de répéter. Dans tous mes textes, dans toutes mes conférences je n’ai cessé de répondre cela. L’essentiel est aussi ce qu’il a dit dans le discours à l’Université de novembre 2005 : les ennemis extérieurs ne peuvent rien contre Cuba, contre son indépendance, son socialisme, seuls les Cubains peuvent détruire tout cela. Le bilan, l’oeuvre de Fidel et de la Révolution cubaine est là : le sort de Cuba dépend des Cubains et d’eux seuls. Alors qu’en 59, Cuba était "notre colonie" pour les Etats-Unis. Sur l’avenir de Cuba là est la seule réponse, le reste n’est qu’élucubration.

Oui mais voilà n’ont droit à la parole dans les médias que ceux qui ne veulent pas voir la réalité cubaine.

Enfin ce que je sais c’est que Fidel Castro et les dirigeants cubains ont une habitude politique : ils ne mentent jamais. Ils peuvent dire des vérités partielles, cacher des choses qui n’ont pas à être dites, mais ce qu’ils disent est vrai. Cette caractéristique est à la base de la confiance que les Cubains ont dans leurs dirigeants. S’ils disent que Fidel se rétablit, je les crois. Ce rétablissement pour un homme de cet âge peut être fragile.

Alors il ne reste plus à tous ceux qui ont de l’admiration et de l’estime pour un des plus grands hommes politiques de notre temps, pour le défenseur inlassable de la justice pour les pauvres, à être aux côtés des Cubains de la rue qui hier ont célébré la Saint Lazare en la dédiant à leur commandant. Saint Lazare est une orisha (vaudou cubain) celle des désespérés, des misérables. Le pèlerinage à Saint Lazare a été jadis condamné par l’église catholique qui aujourd’hui le récupère depuis la période spéciale. Et il faut bien mesurer que pour pénétrer dans les masses populaires, ces Cubains dont on dit à juste raisons qu’ils subissent le plus les difficultés du blocus mais qui sont aussi ceux qui aiment le plus Fidel, cette église a été obligée non seulement de reconnaître le saint vaudou, mais encore de dédier ces manifestations de foi populaire au rétablissement de Fidel.

Chacun de ces faits mériterait une analyse beaucoup plus complète, mais je me contente en bonne sociologue de tenter d’ébranler si faire ce peut vos illusions sur ce que vous savez ou croyez savoir sur Cuba. Peut-être un jour prononcerez-vous la phrase la plus intelligente qui soit : « Je ne sais pas ! »

Danielle Bleitrach, sociologue.

Danielle Bleitrach, coauteur avec Viktor Dedaj et Jacques-François Bonaldi de Cuba est une île

– et coauteur avec Viktor Dedaj et Maxime Vivas de Les États-Unis DE MAL EMPIRE Ces leçons de résistance qui nous viennent du Sud.

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