Il était une fois la révolution

Lisbonne, 12 avril. Ils sont descendus discrètement la veille dans le plus luxueux hôtel de la ville. Lunettes noires, mâchoires carrées, attaché-case, les « experts » de l’UE, de la BCE et du FMI pénètrent en maîtres au ministère portugais des finances. Ils prennent possession des lieux, se font ouvrir les livres de comptes.

 
Leurs chefs ont été clairs : d’ici un mois, il faudra s’être approprié les rênes de la politique économique du pays. La feuille de route devra avoir été établie avant le 5 juin, jour où les électeurs sont appelés aux urnes. Et appliquée, quel que soit le résultat du scrutin, a exigé aimablement la Commission européenne.


Loin d’être une fiction diffusée par TF1, le scénario a bel et bien eu lieu. Athènes, puis Dublin, l’avaient déjà expérimenté en 2010. Il pourrait préfigurer la banalité européenne de demain.


Pour comprendre, il faut revenir à Bruxelles. Les 24 et 25 mars, le Conseil européen boucle le projet de « gouvernance économique européenne ». Et ce, dans une remarquable discrétion médiatique eu égard à l’énormité de ce qui est entrain de se passer. Les mécanismes, outils et procédures, à même de bouleverser le fonctionnement de l’Union, représentent un véritable « bond en avant », selon les termes du président de la Commission européenne, qui jubile : « les Etats-membres ont accepté – j’espère qu’ils ont bien compris ce que cela signifie, mais ils ont accepté – d’accorder de très importants pouvoirs supplémentaires aux institutions européennes en matière de surveillance et de contrôle strict des finances publiques ». José-Manuel Barroso a même évoqué une « révolution silencieuse ».


L’on devrait donc assister littéralement à un dessaisissement des prérogatives économiques qui restaient encore aux gouvernements et parlements nationaux. Certes, ces dernières s’étaient déjà réduites comme peau de chagrin. Cette fois cependant, c’est ouvertement assumé. L’on a pris soin de rendre les sanctions financières quasi-automatiques. Et cela va bien au-delà de la « discipline budgétaire » : tous les paramètres économiques et sociaux passent sous la surveillance de l’UE, ce qui inclut le niveau des salaires, le temps de travail, l’âge de la retraite, les systèmes de protection sociale, la législation en matière de licenciements…


C’est une aggravation majeure de la souffrance sociale qui se profile ainsi. Officiellement, tous ces mécanismes sont mis en place pour faire face à la crise, par le « rétablissement de la compétitivité » (terme qui signifie la conquête de parts de marché… au détriment des autres). La réalité est que cela va précisément accélérer ladite crise en aggravant les causes qui en sont à la racine : la fuite en avant dans l’intégration favorise les contagions ; l’imposition de normes uniques à des économies fort différentes mine celle des pays les plus faibles ; surtout, la pression sur le travail (sa rémunération, sa protection), seule source créatrice de richesses, ne peut qu’attiser les déséquilibres et plomber la consommation et la croissance.


Les pays qui ont été poussés à se mettre sous curatelle en fournissent de dramatiques illustrations. La Grèce, un an après le début d’un plan de « sauvetage » cruel pour le monde du travail, s’enfonce dans la récession, et voit s’approcher l’horizon du défaut de paiement. Idem à Dublin, où l’on vient d’annoncer un cinquième (!) plan pour renflouer les banques (avec l’argent d’un peuple déjà saigné à blanc), en plus des 35 milliards d’euros déjà prévus – rappelons que l’Irlande était naguère louée pour son respect admirable des règles européennes.


Qu’importe : avec la nouvelle gouvernance européenne, M. Barroso entend rejouer Il était une fois la révolution. Peut-être faudrait-il alors se souvenir du premier titre que Sergio Leone avait imaginé pour son film – « Plonge, crétin ! » (« Duck You, Sucker ») – voire du titre original en italien : « Baisse la tête » (« Giù la testa »).


Des messages subliminaux adressés respectivement aux pays à renflouer, et aux peuples ?
 
 

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