“Esclaves hier, citoyennes aujourd’hui”

Il aura fallu qu’en décembre 2010 le président Chavez, parcoure une enième fois le pays, organise les secours face aux inondations catastrophiques, pour qu’apparaissent les conséquences des lenteurs de la réforme agraire. En cohortes faméliques, les ouvriers agricoles sans terre et privés de toit par les pluies, rappelèrent que l’État du Zulia, ce bastion de la droite régionaliste, était aussi un latifundio préhistorique.

Lorsque le président a ordonné la récupération immédiate de 47 grandes propriétés totalisant 25000 hectares, l’opposition a dénoncé une “atteinte a la propriété privée et à la productivité”. Les médias privés ont montré des images de la Garde Nationale récupérant ces terres pour les petits paysans, comme preuves de la “dictature chaviste”. Le samedi 8 janvier à l’aube les grands propriétaires envoyèrent leurs hommes de main incendier le siège de l’Institut National des Terres(INTI),à Santa Bárbara.
La réponse de Chavez fut rapide : “Accélérons la réforme agraire !”. L’armée reçut l’ordre de renforcer la protection des fonctionnaires publics et des paysans parmi lesquels beaucoup avaient déjà payé de leur vie l’appui à la réforme agraire.
 

 
Dépêché sur place pour superviser personnellement la concrétisation de la remise des terres, le ministre d’Agriculture et des Terres, Juan Carlos Loyo (à gauche sur la photo), dressa un premier bilan : “Depuis 2004, sur 30 millions d’hectares de vocation agricole, d’élevage et forestière, réparties sur 450.000 propriétés de taille petite, moyenne et grande, l’Etat a pu récupérer 3 millions d’hectares, dont 72% sont redevenus productifs ce qui signifie que la majorité des terres est aux mains de producteurs et de paysans. Mais la chose la plus surprenante que nous avons découverte ici, c’est l’esclavage : pour l’heure nous avons recensé 1150 travailleurs esclaves dont plus de la moitié provient de la Colombie voisine.
Dans 27 des 47 propriétés rurales ont été constatées des “conditions de travail terribles, des violations des droits humains et de la Loi du Travail”.
 
 
Nous traduisons ici les paroles de deux de ces ex-esclaves, recueillies par la journaliste vénézuélienneD’yahana Morales, duCorreo del Orinoco, publiés le 13 janvier 2011 sous le titre “Deux femmes témoignent des abus auxquels furent soumises les personnes qui travaillaient dans un domaine récupéré par le gouvernement national.
Thierry Deronne
 
 
 
 
"Johana Muñoz (photo), a 22 ans. Fillette, elle apprit à se taire et à se résigner face aux abus des propriétaires de l’hacienda où elle vivait. Sa mère se mettait à genoux pour l’en supplier. Protester aurait signifié l’expulsion de la précaire maison où elles vivaient, voire la mort. “Vivre dans une hacienda de cette sorte est quelque chose de terrible, personne ne peut se l’imaginer. Ceux qui vivent dans les grandes villes ou dans la capitale s’asseyent pour manger du fromage, de la viande et boire du lait sans même penser à combien d’agressions subissent ceux qui les produisent, à tout ce qu’il y a derrière une bonne assiette de nourriture”.
Le père de Johana Muñoz a travaillé comme tractoriste et conducteur de machines lourdes pendant 28 ans pour les ex-propriétaires de l’hacienda Bolívar – aujourd’hui rebaptisée “Bolívar Bolivariana”. “Il a offert sa vie à un groupe de vandales, qui ne faisaient rien d’autre que de le traiter comme le pire des esclaves”. “Mon père a commencé à souffrir de convulsions et nous sommes allés parler au chargé de l’hacienda, Lino Quiroz. Nous lui avons demandé d’aider mon père malade, il avait besoin d’être vu par un médecin, d’acheter des médicaments. Ils nous ont tout refusé. Les seules fois où ils ont acheté des médicaments, ils les lui ont décomptés du salaire mensuel. Ils étaient tellement inhumains que ma mère a été parler directement aux propriétaires pour leur dire que mon père ne pouvait plus travailler, qu’ils lui donnent sa retraite. Ils lui ont dit que s’il ne travaillait pas il ne serait pas payé. Qu’ils préféraient le voir mort plutôt que de le payer sans travailler. Cela faisait 25 ans qu’il travaillait pour eux”, raconte Johana.
La jeune fille qui est à présent chargée de l’administration de l’hacienda Bolívar Bolivariana, explique que depuis le gouvernement révolutionnaire les conditions sont différentes. Son père s’est fait diagnostiquer une arythmie cérébrale due à l’activité physique. Il continuera de vivre dans le domaine Bolívar Bolivariana, avec une pension.
 
 
Ces choses ne sont possibles que dans une révolution, que dans le socialisme. Nous en étions à imaginer que mon père allait mourir faute de pouvoir cesser de travailler, malgré sa maladie, parce qu’il était obligé de couvrir nos besoins. Lino Quiroz refusait de lui donner sa retraite et nous, nous avions besoin d’un endroit pour vivre et d’argent pour manger. Ce furent des heures terribles
La jeune fille raconte qu’elle et ses six frères vivaient dans un espace pas plus grand qu’une chambre de couple d’un appartement de Caracas. “Les conditions de vie étaient terribles. Mon père n’a jamais touché de sécurité sociale mais on la lui décomptait toutes les semaines. Les propriétaires profitaient de ce que la majorité des ouvriers n’avaient pas d’instruction, pour les tromper. Quand j’ai commencé à avoir un peu plus d’information à travers Internet et que j’ai su ce qu’étaient les bénéfices sociaux, j’ai cherché les données de mon père sur la page de la sécurité sociale et je me suis rendue compte de l’escroquerie”.
 
 
Ici nous vivions comme des esclaves. Si quelqu’un osait élever la voix, ils le frappaient, ils tiraient en l’air. Ils te disaient qu’ils allaient te tuer ou qu’ils allaient te chasser du domaine et te priver de toit. Aux hommes on leur disait de ne pas chercher de problèmes parce que leurs enfants pourraient payer les pots cassés”.
Johana Muñoz a raconté que pendant de nombreuses années elle s’est crue inférieure aux autres. Sentiment renforcé quand elle voyait des fourgonnettes passer sous son nez, occupées par des femmes élégantes qui la toisaient du regard.
Je suis étudiante du sixième semestre d’administration d’entreprise agricole et parfois ils ne me laissaient pas aller au cours. C’était terrible. Quand les propriétaires venaient, ils faisaient de grandes fêtes et nous, on ne nous laissait nous approcher pour rien au monde de ce qu’on appelait la “zone des riches”. Ils fermaient le portail qui séparait les ouvriers de la zone résidentielle, pour ne pas nous voir, même de loin. Ils se baignaient dans la piscine, écoutaient de la musique, faisaient de grandes fêtes et nous, reclus dans des pièces sans lumière, avec peu d’eau, de la mauvaise nourriture. Eux (les latifundistes) nous faisaient sentir qu’ils pouvaient nous piétiner. Le chargé d’affaires était un despote, grossier, qui s’exprimait par cris, il se fichait de savoir s’il s’adressait à un homme ou à une femme".
 

 
Yesiré Hernández (photo), autre travailleuse de l’hacienda, se dit “libérée” depuis l’arrivée des représentants du gouvernement national. En plus de se déplacer librement, elle peut entrer dans des endroits qu’elle n’avait jamais foulés auparavant, bien qu’ayant passé toute sa vie dans ce domaine.
Nous avons eu accès aux installations qui étaient réservées aux propriétaires. Nous pouvons même nous baigner dans la piscine et les enfants peuvent vivre leur vie d’enfants, alors qu’avant on les obligeait à réaliser des travaux réservés aux hommes, et à l’école on les frappait, du moins ceux qui pouvaient y aller”.
La jeune femme raconte qu’il y a 10 ans à peu près le tracteur de son père s’est abimé et qu’ils l’ont menacé de licenciement. “Mon père a travaillé durant 13 ans et 7 mois dans cette hacienda, ils l’ont renvoyé sans justification, nous avons beaucoup souffert. Ce n’était pas sa faute, la machine ne pouvait supporter autant d’heures de travail, mais le chargé Lino Quiroz ne l’a jamais compris. Nous sommes revenus parce que maintenant c’est aux mains de l’État. Je me sens heureuse de vivre ce changement. Maintenant nous avons les missions sociales, les médecins cubains, le réfectoire qui offre un service de qualité : nous pouvons vivre en paix”.
 
 
Interview : D’Yahana Morales Photos : Héctor Lozano
 
 
 
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