Equateur: Raphaël Correa, l’antithèse des «deux gauches»

Socialiste, réformateur, partisan de l’économie de marché, le président équatorien Raphaël Correa est devenu le leader d’une Amérique latine en devenir. Mais le coup d’État qui vient d’agiter l’Équateur va-t-il changer la donne? Selon Gaël Brustier, essayiste, cet événement devrait au moins inciter l’Europe à changer son regard sur ce continent.

Si la réussite des Forums sociaux mondiaux devait porter un nom, ce serait sans aucun doute celui de Rafaël Correa. Universitaire équatorien, ancien étudiant en Belgique et dans l’Illinois, coutumier du Vieux Continent et défenseur du Nouveau Monde, Correa est emblématique de la génération de cadres politiques de gauche latino-américains qui a marqué les années 2000. Familier des forums sociaux de son continent, il a compris en même temps que d’autres hommes de sa génération politique (Chavez, Morales, Lugos, etc…) la nécessité de donner un débouché politique aux mouvements sociaux ou indigènes. Devenu Président de son pays, il a insufflé à celui-ci nombre de réformes démocratiques, a renforcé les droits de l’homme, les droits civiques et les droits économiques et sociaux. La tentative de coup d’État qui vient d’avoir lieu à Quito – et dont le déroulement exact nous échappe – traduit à la fois la lutte interne à l’Équateur, rappelle d’autres précédents qui, aujourd’hui encore, hantent l’Amérique latine et révèle une réalité latino-américaine beaucoup plus complexe que ne nous le laissent penser les analyses des médias du Nord (Adler a encore qualifié de « grotesque » Rafaël Correa, justifiant ainsi le putsch d’hier).

Souvenons nous que le 11 septembre 1973 au Chili fut précédé, le 29 juin de la même année, par le tanquetazo, déjoué par les Généraux Prats ou Bachelet et nombre d’officiers qui, par la suite, devaient être purement et simplement éliminés par la junte de Pinochet. Ce tanquetazo trahissait la cristallisation des forces golpistas… C’est en ce sens que les événements de l'Équateur sont particulièrement inquiétants pour l’avenir politique immédiat de ce pays. Mais l’Équateur nous révèle d’autres choses…

Le 11 avril 2002, lorsque Chavez fut déposé pendant moins de quarante-huit heures par Pedro Carmona, patron de la Fedecamara (le MEDEF local) avec l’appui des télévisions privées (Globovision, RCTV), on savait que le pétrole vénézuelien était en jeu et que, quelques mois après le 11 septembre 2001, l’activisme d’Otto Reich et des plus extrémistes des « faucons » de Washington jouait à plein contre Chavez… En Équateur, malgré la présence d’hydrocarbures et sans nier les enjeux géopolitiques régionaux, le problème est différent. Pour qui ne prend pas ses renseignements dans les écrits de Paulo Paranagua, de Libération ou dans les brillantes analyses d’Alexandre Adler, il apparaît que Correa est de manière croissante, en Amérique latine, le leader charismatique d’un continent. A Cuba, par exemple, du peuple des campagnes aux milieux intellectuels et artistiques de La Havane, la popularité de Correa est immense et dépasse de très loin celle de Chavez. Chez les Habaneros, on a deux idoles : Correa et Juanes (aussi connu là bas que Michael Jackson)…

Mais Correa dérange surtout par son pragmatisme. Socialiste, réformiste au sens fort, respectueux de l’économie de marché mais refusant de faire de celle-ci le déterminant des choix démocratiques de son peuple, il est l’antithèse parfaite de la théorie des « deux gauches » en Amérique latine. Cette théorie, d’essence néo-conservatrice vénézuelienne, vise en fait à délégitimer les mouvements « radicaux » tels que peuvent les représenter, chacun à leur manière, Chavez ou Morales, en opposant un prétendu « réformisme » de centre-gauche à une voie « populiste » de gauche radicale. Correa est la preuve que cette théorie est fausse. La cérémonie d’investiture de Correa à son second mandat, retransmise par beaucoup de chaînes en Amérique latine au mois d’août 2009, a été par exemple spontanément suivie, avec passion et ferveur, par les Cubains qui ont vu dans l’action de Correa un débouché politique possible après cinquante ans de castrisme. Bref avec Correa, c’est les décennies à venir et pas celles du passé que les latinos regardent… La théorie des « deux gauches », instrument politique au service d’une cause est le produit d’un homme : Teodoro Petkoff. Petkoff, ancien guérilléro, puis ministre des Infrastructures du gouvernement de droite de Caldera dans les années 1990, est un peu le Kouchner vénézuelien : ancien marxiste reconverti dans le néo-conservatisme. Directeur de l’hebdomadaire Tal Cual, il a écrit un ouvrage intitulé « Las Dos Izquierdas » dans lequel il oppose Lula à Chavez, Michele Bachelet à Evo Morales… Succès garanti auprès des élites européennes qui ne savent jamais trouver, vis-à-vis du Sud, une troisième voie entre mépris et repentance… Teodoro Petkoff est complaisamment interviewé par tous les médias du Nord. Il n’effraie pas : il parle bien l’anglais et le français et en plus il est … blanc. L’identification de nos élites est immédiate (un peu comme pour Ingrid Bétancourt) et flatte leur bonne conscience. Le drame de l’Amérique latine, c’est qu’on ne veut la connaître qu’à travers des représentations déformées et européocentrées…

Le cas des récentes élections vénézueliennes est symptomatique. Le PSUV de Chavez a obtenu dimanche dernier 48% des voix, l’opposition a obtenu 47%. Le mouvement autogestionnaire Patria Para Todos – chaviste jusqu’à il y a quelques mois et brouillé avec lui pour des raisons plus boutiquières que métapolitiques – a obtenu 5%. Qui, en Europe, a expliqué que l’opposition est éclatée en vingt partis et que le premier d’entre eux – Primero Justicia – est un parti de droite extrême allié pour la circonstance à une myriade d’intérêts locaux ? Personne. Ceux qui auront la curiosité de lire dans le détail les résultats de cette élection constateront que le seul parti représenté nationalement est le PSUV et que chaque parti d’opposition a un fief local exclusif (Miranda pour Primero Justicia, Zulia pour Un Nuevo Tiempo etc…).

Ce qui se déroule à Quito devrait donner à nos augustes commentateurs l’occasion de faire preuve d’un peu d’empathie pour les peuples latino-américains et de faire preuve d’un minimum de sens critique par rapport à leurs propres analyses passées. Cessons de voir les pays d’Amérique latine comme devant nécessairement correspondre en tous points à nos codes, à notre histoire, comme si un homme né il y a cinquante ans dans un état des Andes devait voir le monde avec les yeux d’un germanopratin né à Paris…Correa peut contribuer au dialogue entre le Sud et le Nord : c’est là la raison fondamentale de s’intéresser à ce qui se passe à Quito en délaissant enfin les clichés…

 

Sources: Gaël Brustier, Marianne2.fr , Samedi 2 Octobre 2010

Crédits photo: Flickr – Luigi Ochoa

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