En exil dans leur patrie

Divers et variés sont les arguments des Israéliens [juifs] face au défi que représente le jour de la Nakba que les Palestiniens opposent au jour de l’Indépendance [d’Israël] en mettant sur les Israéliens [juifs] la responsabilité totale et sans réserve de leur tragédie. C’est de la provocation contre l’existence même de l’Etat et un appel à sa destruction, affirment les Israéliens [juifs]. Et en plus, les Arabes eux-mêmes sont responsables de leur tragédie parce que ce sont eux qui ont lancé la guerre : qu’on ne vienne pas alors accuser celui qui se défend. En outre, à la guerre, on porte atteinte à des civils et des actes de cruauté sont commis des deux côtés. Il est aussi allégué que même si des expulsions ont eu lieu, il n’est pas possible d’y porter remède parce que cela constituerait un précédent susceptible de fissurer le sentiment de la « droiture du chemin poursuivi ».

Il est facile de faire porter par Israël l’entière responsabilité, sa victoire ayant amené la destruction d’une communauté entière. De l’autre côté, il est facile de dénier cette culpabilité avec des arguments généraux et des analyses historiques permettant d’évacuer et de brouiller des faits graves noyés dans les détails qui composent la tragédie palestinienne. Ce qui permet alors la non prise en compte et la dissimulation derrière des slogans.

Dans ce contexte, la principale manifestation, organisée à Tzippori / Saffouriya, focalise l’attention sur un de ces faits révoltants et repoussants constitutifs de la Nakba que veulent ignorer ceux qui la traite comme le résultat de la guerre « qui nous a été imposée ». Il s’agit de l’expulsion des habitants arabes (déjà citoyens israéliens) de leurs villages après la fin des hostilités, afin de faire de la place pour l’installation des nouveaux immigrants. Des centaines d’habitants de Saffouriya qui avaient été comptés, chez eux, dans le premier recensement de la population israélienne, ont été forcés à grimper sur des camions en janvier 1949 et ont été expulsés vers des villages des alentours.

Les autorités convoitaient les 55 000 dounams [5 500 ha] de terres de ce riche village et, à la fin de 1949, un moshav s’est établi à cet endroit. Les ‘présents-absents’ de Saffouriya ont construit un quartier à Nazareth dont les maisons ont vue sur leur village natal. Un sort comparable a touché 15 autres villages dont les habitants restants ont été chassés après la guerre sans aucune base légale. Dans quelques cas, la Cour suprême a donné ordre qu’on les ramène chez eux mais l’ordre n’a pas été exécuté. Au total : deux villages en Galilée centrale, quatre en Galilée occidentale, trois dans le Doigt de la Galilée, plusieurs hameaux [Khirbout] dans le Triangle, un en Haute Galilée et deux dans les collines de Judée, outre Ikrit et Biram.

L’expulsion ne fut pas le fruit d’une initiative locale, mais bien gouvernementale. Des décisions d’expulsions pour les besoins d’un peuplement par des Juifs, furent adoptées à l’égard de dix autres villages habités : six en Galilée centrale, un en Galilée occidentale, deux sur la côte du Carmel et un dans la région de Jérusalem. Ces projets-là n’ont pas été mis en œuvre.

Les déracinés qui ont trouvé refuge dans des villages des alentours de leur localité abandonnée, ont pu voir comment on s’installait dans leurs maisons, comment on travaillait leurs terres. Pour eux, ce n’était pas un exil lointain mais un exil dans leur patrie. Aucun prétexte lié à la « guerre faisant rage » ou à la constitution d’un « précédent du droit au retour » ne peut être invoqué pour expliquer cette injustice historique qui se prolonge. Le déni, qui suscite une rage impuissante, conduit forcément à des manifestations dures. Plus les années passent et plus la frustration et le sentiment d’injustice se renforcent.

Pour ce qui est du « précédent », il faut renverser l’argument et faire de la réparation de l’injustice un précédent de bonne volonté et une première étape sur le long chemin de la solution au problème des réfugiés et du partage de la responsabilité dans la Nakba. Les ‘présents-absents’ n’aspirent pas à chasser les Juifs de leurs maisons mais demandent qu’on leur alloue des terrains sur une partie de leurs terres et qu’on les laisse réhabiliter leurs cimetières et leurs mosquées détruites. L’inventaire des sols non cultivés dans la plupart des villages dont ils ont été chassés de manière illégale, permet cette solution.

Dans l’ambiance qui règne actuellement, avancer pareille proposition sera bien sûr considéré comme de la naïveté, si pas comme une hérésie ; mais le seul fait de soulever une nouvelle fois le problème effacera peut-être la bonne conscience satisfaite et renforcera la prise de conscience de la douleur de ceux qui, depuis 60 ans, assistent à la ruine de leurs maisons.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

Source : Haaretz, 15 mai 2008

URL : www.haaretz.co.il/hasite/spages/983642.html

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.