Egypte : les réseaux de la corruption

Hosni Moubarak, sa famille et d’autres fidèles partisans du régime ont récolté des milliards à travers la négociation de plusieurs affaires louches, rapporte Gamal Essam El-Din.

Bien avant le 11 février, date où Hosni Moubarak a été chassé du pouvoir, de nombreuses rumeurs au sujet de sa fortune circulaient déjà.

 

Mardi dernier, la Cour Pénale du Caire a ordonné le gel des comptes bancaires appartenant à l’ancien président, à son épouse et à ses deux fils Alaa et Gamal. Cette mesure intervient au lendemain de la publication de documents par l’hebdomadaire indépendant Al-Osbou, démontrant que Gamal et Alaa possèdent, tous les deux, 100 millions LE (Livre Egyptienne) à la Banque Nationale d’Egypte (branche d’Héliopolis). Pour sa part, Suzanne Moubarak a maintenu un compte secret auprès de la même banque. Cette dernière posséderait des dons provenant de pays Européens, destinés à la Bibliothèque d’Alexandrie, un des grands projets de Suzanne Moubarak.

 

Toutefois, Ismail Serageldin, directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie avait nié avoir eu connaissance du compte secret. Il affirme que, ni lui, ni l’administration de la Bibliothèque n’avaient été informés de son existence, soit par le biais du cabinet de l’ancien président ou par Suzanne Moubarak même.

 

De ce fait, les membres de la famille de l’ancien président, y compris l’ancien président en personne, encourraient la prison et ce, si les enquêtes autour des richesses et de la fortune de la famille Moubarak mettent la lumière sur des preuves d’actes répréhensibles.

 

Dans cette optique, il convient de souligner qu’un bon nombre d’avocats de premier plan avaient déjà refusé de défendre Moubarak. Cependant, Mohamed Hamouda a été le seul à déclarer qu’il accepterait le dossier à condition que le client lui présente « une preuve de son innocence ».

 

D’autre part, dans une déclaration faite le 2 mars dernier, la famille Moubarak a nié toutes les allégations selon lesquelles Suzanne Moubarak avait détourné des dons étrangers. La déclaration affirme que l’ex première dame « était seulement habilitée à signer sur ces comptes en sa qualité d’épouse du président, mais que l’argent était strictement contrôlé par le staff du président ».

 

En effet, les spéculations autour du montant de la fortune des Moubarak ont commencé à prendre de sérieuses proportions lorsque le journal Britannique the Guardian avait, dans son article, estimé la fortune à hauteur de $70 milliards.

 

Par ailleurs, l’article ajoute qu’une grande partie de cette fortune est placée dans des banques britanniques et suisses ou investie dans des biens immobiliers à Londres, New York, Los Angeles et tout le long des terrains côtiers onéreux de la Mer Rouge.

 

Toutefois, d’autres journaux, à l’instar du Financial Times qui, plus réalistes, ont ré-estimé la fortune entre $3 et $5 milliards.

 

Pour rappel, deux jours après le renversement de Moubarak, les autorités suisses ont annoncé le gel de tous les actifs de l’ancien président et sa famille en Suisse. En Grande-Bretagne, le Serious Fraud Office – SFO – (Service de Répression des Fraudes) a déclaré qu’il a déjà entamé l’identification des actifs de Moubarak dans le pays pour qu’ils puissent être saisis dans le cas où le gouvernement égyptien introduit une requête.

 

Petit à petit, des informations autour des fortunes considérables amassées par Moubarak, sa famille et leurs amis en affaires ont commencé à circuler. Au début des années 80, une enquête menée par la chaine américaine d’informations ABC a révélé l’implication de Moubarak dans un trafic d’armes ayant marqué le début des décennies de combines de pots-de-vin et des affaires de corruption.

 

En outre, ABC raconte comment Moubarak, encore Vice-président, soutenu par Hussein Salem (ancien officier des renseignements) avait fondé la Egyptian American Transport and Service Company EATSCO (Société égypto-américaine des transports et services) avec un partenaire américain et ce, dans le but de transporter des armes américaines vers l’Egypte. Par conséquent, une enquête fédérale a mis a nu des actions de détournement d’EATSCO, estimées à des millions de dollars, par le biais d’un contrat exclusif du Pentagone, signé suite aux accords de paix avec Israël en 1978, à Camp David.

 

A ce titre, Ibrahim Oweiss, Professeur en économie à l’Université de Georgetown, à l’époque chef de la mission économique égyptienne aux Etats-Unis reconnait les efforts considérables et le travail énorme fournis pour envoyer des milliards de dollars dans l’armement car, il y avait beaucoup d’armes.

 

Il ajoute : « Hussein était une façade pour la famille Moubarak ». Après avoir rencontré Hussein Salem, Oweiss était convaincu que ce dernier entretenait des liens forts avec la communauté égyptienne de renseignements et avec Mounir Thabet, le beau-frère de Moubarak, à l’époque haut responsable égyptien des approvisionnements militaires.

 

Plus tard, profitant de ses liens étroits avec Moubarak, Salem prend le monopole du marché d’exportation de gaz naturel vers Israël à travers East Mediterranean Gas Company. En outre, il a acquis des terrains vastes dans la station de Charm El Cheikh. C’est pourquoi, beaucoup pensent que Moubarak et sa famille séjournent actuellement dans une des villas de l’Hôtel Maritime Jolie Ville appartenant à Salem.

 

Ainsi, Moubarak et ses deux fils Alaa et Gamal sont soupçonnés d’avoir empoché de Salem des commissions de centaines de millions de dollars grâce à la vente de gaz naturel à Israël.

 

Sur un autre front, profitant de sa résidence à Londres et son travail au sein de la Banque d’Amérique (The Bank of America), d’une part, et s’appuyant sur la position de son père président, d’autre part, Gamal Moubarak a réussi, au début des années 90, à gagner des sommes faramineuses à travers la négociation de la dette extérieure de son pays. En 1993, dans une interview accordée au magazine Al-Musawwar, Hosni Moubarak a reconnu que son fils avait, de ce fait, amassé une fortune et que cela ne constituait, apparemment, aucun conflit d’intérêts.

 

Mais la famille Moubarak n’est pas seule sur la sellette : des hauts fonctionnaires qui ont entouré le président pendant plus de trois décennies au pouvoir sont également entrainés dans les enquêtes.

 

Pour rappel, des hommes comme Zakaria Azmi, Chef de cabinet de Moubarak ; Fathi Sorour, le plus ancien président du parlement dans l’histoire d’Egypte et Safwat El-Sherif, secrétaire général du parti de Moubarak, en l’occurrence le Parti National Démocratique (PND), sont restés au pouvoir aussi longtemps que le public les a nommés « les immortels ».

 

Cependant, conjoncture actuelle oblige, le bureau du Procureur Général Abdel-Meguid Mahmoud a annoncé, le 2 mars, que les trois hommes de Moubarak seront interrogés sur leurs finances et biens personnels.

 

S’agissant de Zakaria Azmi, âgé de 73 ans, sa nomination à la tête du cabinet de Moubarak a eu lieu en 1989. Ses missions consistaient à la préparation de l’agenda quotidien des réunions et visites de Moubarak, ainsi qu’à la réception des documents et messages au président, émanant d’Egypte et de l’étranger. Il assistait à la majorité, si ce n’est à la totalité des réunions de Moubarak avec les dirigeants du monde entier, qu’elles soient en privé ou en public. Aussi, il ne manquait à aucun déplacement de Moubarak à l’étranger, notamment lors de ses deux visites en Allemagne pour des soins médicaux (en 2004 et en 2010).

 

C’est pourquoi, les manifestants de la place Tahrir estiment que Azmi détient les informations nécessaires pour démêler les affaires de la famille du président déchu. Il est également accusé d’avoir profité de sa position afin d’obtenir des sommes colossales pour lui et pour sa famille, sans oublier l’acquisition de biens immobilier et des terres agricoles de premier choix à travers toute l’Egypte.

 

Pour sa part, Safwat El-Sherif, 78 ans, est un autre homme de confiance de l’ancien président. La première décision de ce dernier lorsqu’il a accédé au pouvoir en octobre 1981 était de nommer El-Sherif au poste de Ministre de l’Information.

 

Ancien officier des renseignements, El-Sherif a été chargé de recruter des femmes pour des postes d’espionnage. Toutefois, le fait qu’il soit obligé de démissionner au lendemain de la guerre de 67 ne l’a pas empêché de servir en tant que ministre de l’information pendant 22 ans durant lesquels, El-Sherif a aussi été l’envoyé spécial de Moubarak auprès des leaders de ce monde, notamment le colonel Mouammar Kadhafi en Libye et le Roi Abdullah d’Arabie Saoudite.

 

Tout comme Azmi, El-Sherif est accusé d’usurpation. En effet, profitant de sa position, il a pu garantir des transactions foncières et un portefeuille de biens immobiliers, et a réussi par le biais d’accords favorables à son fils Omar à l’introduire dans le secteur des médias. Dans ce contexte, El-Sherif avait nié toutes les allégations autour de son business, insistant sur le fait que toutes les acquisitions de ses propriétés s’étaient faites honnêtement. Mais ces garanties n’auront aucun poids à en croire l’action récente de Amel Othman, ancienne collègue d’E-Sherif et ancienne ministre des affaires sociales et député du PND au sein de l’Assemblée Populaire. La semaine écoulée, Othman a surpris tout le monde en présentant un dossier au Procureur Général qui, selon elle, contient suffisamment d’informations pour voir El-Sherif traduit en justice.

 

Le troisième homme fort de la liste, en l’occurrence Fathi Sorour, 79 ans, a été nommé Président de l’Assemblée Populaire de 1990 à 2011. Désormais, il fait face à des accusations relatives au trafic d’influence pour ses intérêts personnels. Comme ses collègues, Sorour est montré du doigt quant à l’acquisition d’un portefeuille de biens immobiliers.

 

Outre les noms précités, d’autres hauts fonctionnaires font l’objet d’une enquête, entre autres, l’ancien ministre du développement local Abdel-Salam El-Mahgoub et le gouverneur d’Alexandrie Adel Labib.

 

D’autres personnalités y figurent aussi à l’instar de Sameh Fahmi, ancien ministre du pétrole ; Zoheir Garana, ancien ministre du tourisme ; Ahmed El-Maghrabi, ministre de l’habitat ; Anas El-Fiqi, ministre de l’information et Habib El-Adli, ministre de l’intérieur. Ce dernier, accusé pour des irrégularités financières, devra également être jugé pour avoir donné l’ordre à la police de tirer sur les manifestants avec des balles réelles.

 

Accusés eux aussi de corruption, Rachid Mohamed Rachid et Youssef Boutros Ghali, respectivement ancien ministre du commerce et des finances, ont fui l’Egypte avant la démission de Moubarak.

 

La liste comporte également les noms des deux anciens premiers ministres Ahmed Nazif et Atef Ebeid, ainsi que l’ancien ministre de la culture Farouk Hosni. Inculpés pour corruption, ils sont désormais interdits de quitter le pays.

 

Quant aux hommes d’affaires, 28 noms proches du fils de Moubarak, Gamal, sont à présent en détention. Parmi eux, Mohamed Abul-Enein, patron de Ceramica Cleopatra ; Yassin Mansour, directeur de Mansour Group et Mahmoud El-Gammal, beau-frère de Gamal Moubarak.

 

La plupart des hommes d’affaires arrêtés sont accusés d’exploitation et de dépassements des limites légales de leur adhésion au PND et au parlement à des fins personnelles, y compris l’acquisition de vastes terrains de l’état à des prix inférieurs à leur valeur marchande pour ensuite les revendre à des prix exorbitants pour en tirer d’énormes profits.

 

Traduit de l'anglais par Niha

 

Source: Info Palestine

 

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